DECADENCE autrichienne

La trêve hivernale a pris cours la semaine dernière en Autriche. En championnat, jusqu’à présent, Bregenz constitue la bonne surprise, avec en ses rangs les Belges Regi Van Acker (en tant qu’entraîneur), Axel Lawarée et Gunther Schepens. Tout aussi surprenante est la position de Sturm Graz, l’équipe de Filip De Wilde, qui se retrouve en bout de classement après quelques crises internes.

L’autoroute est longue jusqu’à Graz, une ville que l’on rencontre en allant vers l’Italie et la Slovénie. Depuis Vienne, elle est facilement accessible mais ceux qui viennent d’Allemagne via Salzbourg doivent emprunter des petites routes. La mentalité est différente de celle de la capitale autrichienne. Les gens sont plus libérés, moins coincés, ils mangent davantage de salades et moins de Torte.

Cette nonchalance, Filip De Wilde la vit tous les jours dans son club :  » Nous nous sommes entraînés des semaines durant sans que les lignes du terrain ne soient tracées. Cela a le don de m’énerver mais en fin de compte, je me dis que je n’aurai pas d’influence sur cette situation, cela ne sert à rien que je m’énerve outre mesure « .

L’été, il fait magnifique à Graz, alors qu’il fait moins beau dans les montagnes. A défaut de vent û il ne souffle jamais dans la région û le brouillard, parfois épais, a tendance à stagner dans la vallée. Il faut alors monter en altitude pour voir le soleil. Filip De Wilde réside à 400 m d’altitude et il lui arrive parfois de retrouver le soleil chez lui après s’être entraîné en ville, dans la purée de pois. Et en cet automne finissant, il lui est encore arrivé de bouquiner sur sa terrasse, c’est dire la clémence de la météo.

Filip De Wilde n’a pas beaucoup changé : toujours ces traits vifs, marques d’un entraînement soutenu et d’une vie très saine. Mais en mentalité, il a changé. Il ne s’énerve plus sur ses coéquipiers qui grignotent des chips parce que le régime diététique du club leur donne faim, par exemple.  » Je retombe de haut par rapport au professionnalisme qui régnait à Anderlecht. Je prends alors du recul, ce qui me permet de mieux comprendre les choses « .

Il se permet même d’être cinq minutes en retard à l’entraînement…  » Cela ne me serait jamais arrivé au Sporting mais ici cela ne fait rien, il arrive même que l’entraîneur lui-même ne soit pas encore sur le terrain à l’heure de l’entraînement « .

Un jeu trop défensif

Sturm Graz est avant-dernier. Des petites erreurs, une balle qui transperce un mur de joueurs, un but contre son camp dans les dernières secondes, voilà des situations vécues par l’équipe ces dernières semaines. De Wilde :  » A mon avis l’Austria Vienne sera champion. Les clubs du top autrichien ne valent pas les équipes de tête en Belgique mais par contre le niveau des autres est supérieur à la moyenne de la D1 belge. Vu qu’il n’y a que dix équipes, la qualité est plus concentrée. Nous sommes avant-derniers, d’accord, mais mis à part l’Austria et le Rapid Vienne, aucune équipe ne nous est vraiment supérieure. Le rythme est peu élevé, avec de nombreux moments de flottement durant les matches. C’est dû à la manière de jouer, souvent on attend l’adversaire. Le pressing ici, on ne connaît pas !  »

La discussion du moment à Graz a trait à l’utilisation du Vierrakete, la défense en zone.  » Nous jouons encore avec un véritable libero et deux stoppeurs. Or, il apparaît que les équipes qui sont en tête, les deux Viennoises, Bregenz et Grazer AK évoluent à quatre derrière. Apparemment, ici on n’ose pas changer la tactique. Cela explique selon moi le fait qu’on marque aussi difficilement. Nous développons un jeu plus prudent, encaissons moins mais marquons également moins souvent. Neuf matches sur dix-neuf se sont terminés sans que nous ayons marqué. Il nous manque également un véritable patron sur le terrain, un joueur qui dirige la man£uvre et discute avec l’entraîneur. Nous sommes trop dociles, il n’y a pas de contestation. Et puis, les Autrichiens ne parlent pas le français et à peine l’anglais. Or, notre libero est Frank Sylvestre, 36 ans, un Français. Il ne parle pas l’allemand, je discute de temps à autre avec lui concernant l’approche footballistique mais il a du mal à expliquer ses vues à l’entraîneur. Quant à moi, cela n’a pas beaucoup de sens que j’en parle avec Van Acker parce qu’il estime que tout va bien ! Le début de saison fut assez chaotique. Notre entraîneur, Gilbert Gress, avait envoyé presque tous nos défenseurs en équipe amateurs. Des garçons qui évoluent normalement au milieu de terrain ont dès lors dû descendre d’un cran dans le jeu. Personne n’était plus sûr de rien. Cela a duré sept semaines, jusqu’à son limogeage et son remplacement par Regi « .

Avec quatorze mois d’affilée à la tête de Bregenz avant d’arriver à Graz, Regi Van Acker est l’entraîneur qui est en fonction depuis le plus longtemps en D1 autrichienne. Lorsque Gilbert Gress fut prié de quitter Graz, le club songea à Franky Van der Elst pour lui succéder.  » Didier Frenay l’avait recommandé. Ils m’ont demandé des informations à son sujet, mais que pouvais-je dire ? Je voyais une solution : qu’il soit assisté par quelqu’un du pays, et j’ai songé que Richard Niederbacher (ex-Waregem) pourrait faire l’affaire. Il habite à vingt kilomètres d’ici, connaît l’équipe et le championnat en tant qu’ex-joueur et aurait pu converser en néerlandais avec Franky. Le fait que Van der Elst ne connaisse pas l’allemand était problématique. Selon moi, ils étaient même tombés d’accord mais le club jugea finalement le risque trop élevé. Nous étions derniers, tout de même « .

Il aurait pu prévoir

Il y a quelques années, Sturm Graz disputait la Ligue des Champions et la chute est d’autant plus dure… L’argent du bal des champions investi trop rapidement est épuisé et les grands projets d’accommodations sportives se révèlent finalement irréalistes.

 » Commercialement, ça tourne pourtant bien, les droits TV ont beau être moins élevés qu’en Belgique, le gâteau ne doit être réparti qu’en dix. Fiscalement, la situation est moins rose puisque les clubs paient 50 % d’impôts. Je ne pense pas que l’on tolérerait ici un régime spécial pour les footballeurs. Nous avons une aussi mauvaise réputation ici qu’en Belgique. On ne travaille pas beaucoup et on touche beaucoup d’argent (il rit) « .

Le président du Sturm Graz est un personnage étonnant qui a été jusqu’à déclarer à la TV qu’il gèlerait les salaires suite aux mauvais résultats.  » Il n’en fut rien « , reprend De Wilde.  » De nombreuses erreurs de recrutement furent commises : le club a acheté des joueurs soi-disant réputés et leur a offert des ponts d’or pour aboutir finalement à un résultat mitigé. Surtout des Français… Sturm Graz demeure une petite équipe. Nous avons une très bonne base de supporters mais suite aux contre-performances, seules 6.000 personnes garnissent les travées à domicile, ce qui reste très décent par rapport à l’assistance moyenne « .

Filip De Wilde confie qu’il aurait lui-même dû mieux s’informer avant de débarquer en Autriche.  » J’aurais pu prévoir notre avant-dernière place à l’heure actuelle. En fin de saison dernière déjà, l’équipe n’avait pris qu’un point en cinq rencontres. La situation était déjà chaotique à l’époque mais je l’ignorais. Bon, si j’avais eu 28 ans, cela n’aurait certainement pas été une bonne affaire. Mais j’avais très peu à perdre. Je pouvais encore gagner ma vie, j’allais jouer dans un beau stade et vivre dans une ville agréable. J’avais demandé et obtenu des garanties quant à mon logement et ma voiture, choses pour lesquelles j’avais dû attendre deux mois au Sporting du Portugal. Et la langue ne me pose pas de problème : je parle français avec Sylvestre, l’anglais avec notre Australien et l’allemand, que je trouve facile, avec les autres joueurs. Ils trouvent cela incroyable, ici. J’ai déjà corrigé des lettres en français pour la secrétaire de direction du club ! Mon français n’est pourtant pas parfait, mais que dire du sien !  »

Continuer ou pas ?

Via le satellite, Filip De Wilde suit énormément de rencontres. Et après une saison difficile à Anderlecht, il se sent à nouveau footballeur, c’est le bon côté de la vie à Graz. Mais il y a un revers à la médaille.

 » L’été dernier, je souhaitais rester footballeur professionnel « , explique De Wilde.  » Ne plus rien avoir à prouver mais rester en bonne condition, rester actif tout en gagnant de l’argent. Cela représente aussi certains sacrifices : vivre tout seul à l’étranger n’est pas évident, par exemple. Je me suis demandé à de nombreuses reprises si ma place était vraiment ici. Le fait de savoir que la situation n’est que temporaire adoucit mes peines passagères. Mais de là à rempiler l’an prochain, il y a de la marge. Je pèserai le pour et le contre en fin de saison. Mon caractère empêche que je tombe dans la routine mais parfois j’enclenche le pilote automatique. Dès qu’on commence à réfléchir, ce n’est pas bon. Je vais à présent voir comment je supporte la longue trêve et la période de préparation pour le second tour. Si cela se passe de manière très positive, je rempilerai peut-être pour un an ou six mois. Sinon, j’arrête « .

Pour l’instant, De Wilde touche du bois car il n’a pas connu de gros pépins physiques. Il a disputé 16 des 19 rencontres, étant suspendu un match et ratant deux parties à cause d’une entorse à la cheville. Non, c’est plutôt la famille qui lui manque. Il sait cuisiner et l’appartement, situé dans un château, est entretenu par une femme de ménage qui s’occupe du linge et du repassage.  » Début août, ma femme est venue une semaine, ensuite c’est toute la famille qui m’a rendu visite, tout comme lors des congés de Toussaint. Je profite aussi des week-ends libres pour retourner en Belgique. Je ne veux pas me plaindre car finalement je suis le seul qui gagne ma vie et il y a tant de familles qui sont séparées pour des raisons professionnelles. Toutes les six semaines, je suis à la maison « .

A l’avenir, il aimerait demeurer dans le monde du foot, comme entraîneur des gardiens ou, pourquoi pas, en tant qu’entraîneur principal.  » J’ai l’impression que je m’en sortirais bien. Et puis, je poursuis toujours mes études de comptabilité, j’ai davantage de temps à y consacrer, même si j’ai peur que la transition vers ce métier soit quelque peu rude « .

Par contre, ne lui parlez pas de devenir agent de joueurs :  » Placer un gars dans un club et puis disparaître dans la nature, très peu pour moi « , reprend-il.  » C’est après que cela se complique pour un joueur : trouver un logement, la langue, l’accueil, les modalités financières, etc. Mais comme c’est un métier où il faut prendre de l’argent, à mon avis on est parfois forcé de faire des choses qui ne seront pas entièrement dans l’intérêt de son poulain. Ne me faites pas dire que les managers ne sont pas honnêtes mais je pense que souvent ils se taisent pour préserver leurs intérêts. Ce n’est pas mon style « .

Peter T’Kint, envoyé spécial à Graz

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