Débridé

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Avec l’arrivée de Sergio Brio, l’horizon d’un des rares rescapés de D2 s’est éclairci.

Les hauts et les bas d’une carrière de footballeur, Dieudonné Londo (27 ans) connaît. En début de saison dernière, ce médian à la technique flamboyante était un des incontournables de Mons. Au deuxième tour, par contre, on ne le vit pratiquement plus. En fin de championnat, il fut même expédié dans le noyau B où il a poireauté jusqu’à l’arrivée de Sergio Brio. Aujourd’hui, il est de nouveau un des joueurs de base de l’Albert. Il pourrait avoir une dent contre ceux qui lui ont fait vivre ce cauchemar. Mais le garçon est trop bien éduqué pour maudire un entraîneur ou un manager.

Emballé dans une doudoune qui ne le quitte pas et lui rappelle que le soleil de son Gabon natal est bien loin, il nous raconte sa traversée du désert en touillant négligemment dans sa tasse de thé.

Dieudonné Londo : Loin de moi l’idée d’avoir aujourd’hui des envies de revanche par rapport à Marc Grosjean et Jean-Claude Verbist, qui ne croyaient plus en moi. Ils avaient bien le droit d’avoir un avis. J’ai été surpris quand, un mois avant la fin du championnat, ils m’ont annoncé que je ne faisais plus partie de leurs plans et que je devais essayer de trouver un nouveau club. Surpris, mais pas abattu. En six ans de professionnalisme, c’était mon premier coup dur. Ma moyenne restait bonne, non ? J’avais connu de grandes choses au Maroc, avec le Raja Casablanca. Et j’avais permis à Mons de monter en D1 pour la première fois de son histoire, en marquant le but décisif dans le tour final. Il devait être écrit que mon tour était venu de connaître un coup d’arrêt.

C’était une décision surprenante parce que vous aviez été un des joueurs les plus en vue du premier tour ?

Oui, tout avait très bien commencé. Mais une blessure, dans le match contre Mouscron, a subitement tout compliqué. Je me suis occasionné une entorse délicate à la cheville. J’ai été mal soigné et ce fut le vrai début de mes problèmes.

Mal soigné ?

Oui, mais les responsabilités étaient partagées. Peu de temps après Mouscron, nous devions jouer contre Anderlecht. Ce match-là, j’avais vraiment envie de le disputer. Alors, j’ai forcé en essayant d’oublier la douleur. Du côté du club aussi, on me mettait la pression. On comptait sur moi. Le staff technique et l’équipe médicale tenaient à ce que je revienne le plus vite possible. J’ai reçu pas mal de piqûres ! Au bout du compte, cela m’a coûté très cher. Un jour, on a compris que je devais absolument me reposer, laisser ma cheville guérir naturellement. J’ai dû stopper complètement pendant six semaines. Une fois rétabli, je n’ai pas retrouvé ma place. Normal : l’équipe tournait très bien sans moi. Je ne pouvais même pas en vouloir à Marc Grosjean. C’est une des lois du foot : on ne retire pas un joueur qui donne satisfaction. Il n’empêche que j’ai mal vécu certains gros matches du deuxième tour. Tout était beau à Mons : pour sa première saison en D1, ce club étonnait la Belgique entière. Moi, j’étais là en spectateur, en ayant la conviction de ne jamais avoir démérité. Je n’étais plus très bien dans ma tête. En plus de mes problèmes sportifs, j’étais tourmenté par des soucis familiaux. Mon père était tombé malade. Ce fut une période difficile à vivre. Que ce soit sur le terrain ou dans la vie de tous les jours, je n’étais plus du tout dans le coup.

 » Footballeurs sans Frontières : tous dans la même galère  »

Pourquoi n’avez-vous pas quitté Mons pendant l’été ?

Ce n’était pas l’envie qui manquait, mais je ne maîtrisais pas toutes les données du problème. On me demandait d’aller voir ailleurs, mais on réclamait une somme de transfert importante parce que j’étais sous contrat jusqu’en 2005. Mon agent a eu des touches avec deux équipes belges, mais leurs dirigeants refusaient de débourser une indemnité de transfert. Je tournais en rond, je ne voyais pas d’issue. J’ai même mis mon avocat sur le coup, mais il a été formel : je ne pourrais rien faire aussi longtemps que Mons ne me rendrait pas ma liberté.

Vous n’avez même pas réussi à en vouloir à Grosjean et Verbist, à ce moment-là ?

Mais non ! C’est le foot, que voulez-vous ? Nous pratiquons un métier à part. Tu es bon, tu restes ; tu es mauvais, tu n’as plus qu’à te débrouiller, on t’envoie à la casse, même si tu as rendu des services. Tu es en haut aujourd’hui, en bas demain. Et tu ne restes de toute façon qu’une marchandise. C’est vrai à Mons comme ailleurs. Je ne reprochais qu’une chose à l’entraîneur et au manager : ils me récompensaient très mal pour les sacrifices que j’avais faits. Je n’avais jamais demandé d’infiltrations : je les avais seulement acceptées pour le bien de l’équipe. J’avais mis ma santé en danger, mais ces deux personnes ne s’en souvenaient visiblement plus. Tant pis, j’avais mes certitudes : je ne pouvais pas avoir perdu mes qualités du jour au lendemain.

Qu’avez-vous retiré de votre expérience avec les footballeurs chômeurs entraînés par Marc Wuyts ?

Je n’ai même pas hésité quand on m’a proposé de travailler avec eux. Je préférais souffrir avec d’autres pros sans contrat que tourner bêtement entre les quatre murs de ma maison. Les entraînements avec le noyau B de Mons n’avaient pas encore repris et j’estimais que c’était la meilleure façon d’entretenir ma condition. Je n’étais pas le seul Montois à Bruxelles : Olivier Baudry s’entraînait aussi avec les Footballeurs sans Frontières. C’était du sérieux, on mettait le pied. Et il régnait une solidarité incroyable dans ce groupe. Nous étions tous dans la même galère et cela forge des liens. Après la reprise des entraînements avec la Réserve de Mons, j’ai aussi fait une escapade aux Emirats. J’y suis resté une semaine, mais le club ne voulait pas prendre de décision avant d’avoir testé d’autres joueurs. J’étais pris entre deux feux car Mons ne m’avait donné qu’une permission de huit jours. Et je suis donc revenu ici. Je n’imaginais pas, à ce moment-là, que mon destin allait basculer.

Brio n’avait aucun a priori

Parce que ce retour des Emirats coïncidait avec l’arrivée de Sergio Brio ?

Oui. Du jour au lendemain, mon horizon s’est éclairci. Sergio Brio n’avait aucun a priori. Il n’avait jamais entendu parler de moi. J’imagine que Michel Wintacq lui a expliqué que je pourrais renforcer son noyau. Quand j’ai été invité à retourner dans le groupe, je n’étais nulle part physiquement, mais je me suis accroché et j’ai tout donné. Petit à petit, j’ai remarqué que Brio commençait à compter sur moi. J’ai fait quelques apparitions dans l’équipe en fin de premier tour, puis je me suis remis au niveau des autres joueurs pendant le stage en Italie.

Mais pendant que vous travailliez en Italie, on annonçait que votre transfert à Courtrai était pratiquement réglé !

Oui, je l’ai appris en rentrant. Manu Ferrera est venu me voir et m’a annoncé que la direction de Mons ne s’opposait pas à mon départ. Je retombais de haut. On m’a fait comprendre que la décision m’appartenait mais que mon intérêt était de partir. J’ai demandé un délai de réflexion de dix jours. A ce moment-là, Brio m’a dit que je commencerais le premier match du deuxième tour, contre le Germinal Beerschot. En montant sur le terrain, j’ai lu des interrogations dans les regards des supporters. Ils pensaient qu’ils ne me reverraient plus ! Mais je leur ai montré ce soir-là que j’avais encore le niveau de la D1, et depuis lors, je suis dans l’équipe.

Aujourd’hui, vous êtes un des seuls rescapés de l’équipe de D2 !

Avec Jean-Pierre La Placa, oui. Mais Olivier Berquemanne et Chemcedine El Araichi font aussi des apparitions régulières dans l’équipe. Pour d’autres, comme Thaddée Gorniak et Mustapha Douai, c’est devenu plus compliqué. Je comprends tout à fait ce qu’ils ressentent. J’ai vécu la même chose : c’est frustrant.

En discutez-vous avec eux ?

Non, je n’y arrive pas. Des conversations pareilles sont trop pénibles.

Votre style imprévisible ne correspond pas nécessairement aux conceptions footballistiques d’un entraîneur aussi organisé que Brio ?

Jamais un entraîneur ne m’a bridé. Tous ceux que j’ai connus m’ont demandé de jouer avec mes qualités : ma technique, ma pointe de vitesse et mon sens de l’improvisation. Je suis à gauche ce que La Placa est à droite. Quand nous sommes tous les deux à 100 %, ça peut faire très mal. Brio me donne des consignes défensives strictes que je dois observer quand nous sommes dans notre camp. Dans ce cas-là, il parle d’une prise de risques minimale. Mais, dès que le ballon a passé la ligne médiane, je peux me laisser aller. C’est la prise de risques maximale. Ces risques-là, je les adore.

Pierre Danvoye

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