DÉBAUCHER UN GAMIN DE 9 ANS, UNE HISTOIRE SANS SUITE ?

Chaque semaine, Sport / Foot Magazine pose la question qui fait débat.

On vient de franchir une étape de plus dans le délire. Les clubs étrangers ne viennent plus nous voler (uniquement) des jeunes qui commencent à avoir de la moustache. Ils ne viennent plus nous subtiliser (uniquement) des gars qui font leurs débuts en humanités. La barre vient encore d’être abaissée, et méchamment. PietroTomaselli, considéré comme l’un des plus grands espoirs d’Anderlecht, file à l’AS Rome. Super. Juste que le Carolo Pietro a… 9 ans.

Techniquement, c’est un prodige. Les drogués à Youtube le connaissent et c’est impressionnant. Il garde la balle, impossible de la lui piquer. Y’a juste qu’il fait perdre un peu la boule à son père. Pêle-mêle, il a dit :  » On a été merveilleusement accueillis à Rome (…) Ils pensent que mon fils va devenir meilleur que Maradona. Que ce soit le président ou les joueurs professionnels, tout le monde le connaît déjà (…) Rome, c’est le choix de Pietro. Je ne voulais pas le faire passer par cinquante chapelles avant de faire un choix (…) L’argent n’a rien à voir dans notre choix.  » Bref.

On n’est plus ici dans le moule d’un EdenHazard, d’un KevinMirallas ou d’un ThomasVermaelen, pubères quand ils ont été arrachés à leur club belge. Pietro est haut comme deux pommes. A Anderlecht, la pilule passe mal.  » Les médias sociaux en ont fait un génie « , a dit le responsable de la formation.  » Je ne dis pas que ce n’est pas un bon joueur mais il est si jeune ! Nous faisons participer nos gamins à des tournois à l’étranger, et il y a une tournante. Quand des parents n’acceptent pas cette tournante, ça veut déjà dire beaucoup.  » Le père a estimé que si le club ne l’envoyait pas à un de ces tournois hors-frontières, c’était pour le cacher aux scouts de grands clubs. Ça a donné un clash puis, donc, son départ à Rome.

Débaucher un gamin de 9 ans : une exception, une histoire sans suite ? Ou le Pietro n’est-il que le premier d’une série de bambins qui vont le suivre dans des aventures lointaines (et incertaines) ? On essaie d’y voir clair.

Du sport ou du matériel pour faire craquer les parents

 » Anderlecht se plaint, mais est-ce qu’ils font mieux ? « , commence le responsable du centre de formation de Mons, Pierre-Paul Verstappen. Suite à la chute en D2, le club a été plumé il y a quelques mois.  » Dépouillé, oui, c’est le mot « , continue-t-il.  » Et je peux citer un U7 que le Sporting d’Anderlecht est venu chercher. Un gamin de 6 ans, vous entendez bien ! Désolé, mais quand vous imposez à un gosse de cet âge de se farcir Bruxelles trois fois par semaine, avec des chantiers sur l’autoroute, pour lui, c’est déjà un peu l’étranger. Vous trouvez ça raisonnable ? Il habitait à cent mètres de notre stade mais Anderlecht lui a proposé un projet, comme ils ont dit, et le père a craqué.  »

 » C’est clair et net, la limite d’âge ne fait que descendre « , affirme l’agent DanielStriani.  » Ce qui vient de se passer avec le jeune d’Anderlecht est incompréhensible. Je réagis en tant que père qui a des enfants dans la même tranche d’âge. C’est énorme. Nauséabond. On a été longtemps dans la tranche 15-16, puis c’est devenu plutôt 12-13-14 ans, des clubs étrangers ont commencé à se concentrer là-dessus. Maintenant, 9 ans, ça va sans doute rester une exception mais ça ne fait que confirmer la tendance.  » Il pointe une cible : les parents.  » Ils sont de plus en plus nombreux à tomber de plus en plus tôt dans la business-mania.  »

Pierre-Paul Verstappen signale qu’un  » grand club belge distribue des enveloppes aux parents, c’est connu  » et sait que des scouts belges et étrangers passent du temps à dresser le profil socio-financier des parents concernés.  » S’ils sont aisés, le club intéressé mettra l’accent sur le volet sportif, les installations, la possibilité d’être surclassé, etc. S’ils ne roulent pas sur l’or, c’est l’offre matérielle qui fera la différence : frais d’internat payés, voiture, carte essence,…  » Striani complète :  » Prends un gamin dont les parents ne travaillent pas. Tu leur offres un boulot à tous les deux, c’est tentant.  »

 » Un transfert en Italie à 9 ans, c’est n’importe quoi  »

Koen Daerden, frais retraité, s’occupe aujourd’hui des U15 de Genk.  » On doit se battre avec nos armes pour essayer de garder les meilleurs joueurs. L’argent, on ne l’a pas. Sur ce plan, on part battus d’avance par rapport aux clubs étrangers, quel que soit l’âge des joueurs. Il faut convaincre avec les installations, le professionnalisme, la qualité des entraîneurs. Pousser les parents à se dire : -Finalement, à part l’argent, qu’est-ce qu’on aurait de mieux ailleurs ? Mais je suis persuadé qu’on va essayer de nous les prendre de plus en plus tôt. Le train est en marche, on ne va plus inverser la tendance.  »

 » Un transfert en Italie à 9 ans, c’est n’importe quoi « , lance Jean-François de Sart, qui a passé de longues années à l’Académie du Standard.  » Le grand danger, ce sont tous ces agents qui vendent du vent à des jeunes et des parents qui se prennent vite la tête. Mais franchement, je ne vois pas l’utilité d’avoir un agent à 15 ou 16 ans. Ceux qui arrivent maintenant au Standard à 14 ans sont accompagnés : un manager ou un conseiller qui fait souvent partie de la famille.  »

Transferts internationaux avant 16 ans ? Interdits !

 » On voit les jeunes qui sont partis très jeunes et qui ont réussi mais on ne connaît pas tous les autres « , dit Daniel Striani.  » Le pourcentage d’échecs est impressionnant. Si un gamin est bon à 12 ans, il sera encore bon à 18. J’ai un U16 très prometteur à Anderlecht. D’autres agents l’ont approché et lui ont parlé de Manchester United, de City, de la Juventus. Les parents ont décidé de ne rien changer dans un premier temps. Mais ils ne réagissent pas tous comme ça.  » Jean-François de Sart conclut qu’il ne faut pas perdre de vue la réglementation européenne :  » Les transferts internationaux de footballeurs de moins de 16 ans dans l’Union sont interdits, c’est inscrit noir sur blanc. L’année dernière, Porto avait pris deux gamins de 13 ans au Standard, ils n’ont pas pu être affiliés là-bas et sont revenus en Belgique. Certains trouvent des astuces, par exemple un déménagement des parents avant le transfert de l’enfant. Mais l’UEFA et la FIFA veillent. MichelPlatini est très sensible au problème, c’est lui qui a poussé pour cette nouvelle réglementation, il en avait assez que les clubs anglais viennent piquer les meilleurs jeunes joueurs français.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTO: RSCA.BE

 » Les parents sont de plus en plus nombreux à tomber de plus en plus tôt dans la business-mania.  » Daniel Striani, agent

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