DE SANG ET D’OR

L’adage dit que l’on revient toujours pleurer sur la tombe de sa mère. Au nord de la France, les Corons fêtent en famille le culte du père. Celui qui les a vus naître, marcher et grandir : le Racing Club de Lens.

Des allées de briques rouges musellent le quartier. Au loin, un soleil d’hiver illumine l’arène. Température négative et paysage minier, Lens réserve un accueil classique. Des poignées de fans cassent la croûte devant leur minibus et font déjà les cent pas aux abords de Felix-Bollaert, deux heures avant le coup d’envoi.

 » C’est pas de notre faute si on est consanguins « , hurle l’un d’eux, bonne gouaille de fanfaron et vareuse vintage du club sur le dos, en référence à une banderole de 2008 des supporters du PSG. Un scandale et un peuple meurtri, qui garde toujours en tête les clichés qu’on lui prête. Ainsi qu’un goût certain pour l’autodérision.

 » C’est la mentalité dans le Nord, qui est beaucoup plus chaleureux que le reste de la France « , pose Luigi Pieroni, qui y fait escale en 2007.  » C’est une façon de vivre. Étant Liégeois, j’ai retrouvé la chaleur qui me manquait à Lens.  »

Le soleil s’éteint progressivement pour laisser place à une mosaïque SangetOr, surnom immortel du Racing. L’enceinte, toute neuve pour l’Euro, paraît immaculée, feutrée ici et là des couleurs du club, et affublée d’un imposant L.E.N.S. en lettre capitale. En face, quelques barres HLM, des friteries et un fast-food.

Au sud, une voie ferrée, qui bloque l’accès au stade, construit en 1933 au beau milieu des mines. Au nord, une allée dans la pénombre. Poussée au milieu des arbres, elle semble tout juste sortie de terre. Elle porte le nom d’un ancien : Marc-Vivien Foé, légende lensoise décédée subitement en plein match de la Coupe des Confédérations 2003.

De ce côté-ci, les spectateurs paraissent encore en plein recueillement. Sans bruit, ils se dirigent vers l’entrée qui leur est destinée.  » C’est ça, Gerland ? « , ose un gosse, pendant qu’une vieille dame promène son chien. Son père fulmine :  » Non, Antoine, tu mélanges tout ! Ici, c’est Bollaert.  »

Là où, un lundi de février, par moins deux degrés et pour une rencontre de Ligue 2, 36 254 personnes, soit 5 000 de plus que la population lensoise, s’entassent en famille. C’est la troisième meilleure affluence du week-end en France. Seuls PSG-Lille et Lyon-Caen ont fait mieux. Au bout de l’allée, le Louvre-Lens peut pavaner. Le vrai musée qui regorge d’histoire cache un pré et bien plus que 22 acteurs. Ce soir, il accueille les voisins de Valenciennes. Place au friendly derby du Nord.

LE PUBLIC LE PLUS CHAUD DE FRANCE

 » Ce n’est pas aussi fort qu’un Lens-Lille, où il y a vraiment de l’animosité « , juge Pieroni, qui a porté les deux vareuses.  » Surtout que la situation des deux est compliquée. Valenciennes doit gagner pour se maintenir et Lens, chaque année, a difficile quand le club passe devant la DNCG.  »

En 2012, le Racing est au bord de la faillite. Gervais Martel, président historique, choisit de céder ses parts au Crédit Agricole, qui devient actionnaire majoritaire. Un an plus tard, Martel redevient président, via son nouveau proprio azéri, Hafiz Mammadov. Depuis, le club est dans un marasme sans fin. Sa montée sportive la même saison est d’abord refusée, avant d’être acceptée fin juillet 2014 avec interdiction de recrutement, levée en décembre, pour manque de garanties financières.

Sur le terrain, Antoine Kombouaré doit bricoler avec des jeunes formés au club, tels que Baptiste Guillaume. Et puisqu’un bonheur n’arrive jamais seul, les Lensois quittent Bollaert, en pleine rénovation, pour rallier le Stade de la Licorne d’Amiens, à 130 kilomètres de leur camp de base. Les résultats s’en ressentent : lanterne rouge et redescente immédiate en L2.

 » Jésus avait son chemin de croix, nous, on a retrouvé les escaliers de Bollaert, même si c’est toujours moins abrupt qu’au Standard « , sourit Pascal Guislain, syndic du club, tandis que les Valenciennois se font déjà entendre, pas les Lensois.  » Maintenant, il y a plusieurs espaces où ils restent boire un coup, mais beaucoup font la gueule à Martel « , continue Guislain, juste après avoir salué Benoît Thans, ancien de la maison venu jouer le scout pour Red Bull.

Le Kop, situé en tribune latérale, se remplit seulement après plusieurs minutes. Moment choisi par la fanfare pour lancer la classique Lensoise, sur l’air de La Marseillaise, et faire lever tout un stade. Moment aussi pour entonner des  » Martel démission  » et sortir la banderole du soir :  » Nos libertés sont bafouées, vos IDS (interdictions de stade, ndlr) sont programmées « .

Deux semaines plus tôt, les Red Tigers, plus gros groupe d’ultras lensois, jettent 85 sièges sur la pelouse du Havre, après avoir été chargés par des CRS. Martel prend les devants et les suspend pour la rencontre qui suit en bloquant leur abonnement, qui fonctionne par carte magnétique. Une sanction exemplaire qui n’a pas l’effet escompté. Les ultras répondent en assistant à deux matches de la réserve, notamment contre Troyes B en CFA, où plus d’un millier d’entre eux brandissent des tifos et chantent à la gloire du club.

 » Allez Racing, Allez ! Et même en CFA, on sera toujours là, car on est dingue de toi !  » Pour le derby, ils préfèrent boycotter la rencontre. Du coup, malgré les efforts valenciennois, voire lensois par intermittence, l’atmosphère est vite glaciale et seules les tirades anti-Martel ressortent vraiment d’un public considéré comme le plus chaud en France.

UNE TOUTE BONNE ÉQUIPE DE COPAINS

 » Ça me fait penser au Parc. Tout le monde est là, mais il ne se passe rien « , regrette un supporter lensois, écharpe de rigueur, après l’ouverture du score des visiteurs. C’est pourtant bien les Lensois qui disputaient la Ligue des Champions, il y a une quinzaine d’années.

Fin 90, ils connaissent même leur meilleure cuvée. Un titre de champion, une demi de Coupe de France et une finale de Coupe de la Ligue, le Racing est au sommet de son art en 1998. Cédric Berthelin, actuel coach des gardiens à Courtrai, vient alors de passer pro :

 » On avait un super groupe, avec des jeunes joueurs formés au club, des Franck Queudrue ou Philippe Brunel ; des plus anciens, comme Éric Sikora ou Jean-Guy Wallemme ; et aussi quelques joueurs africains, comme le regretté Marc-Vivien Foé.  »

 » Il y avait de la camaraderie « , abonde Tony Vairelles, star de l’équipe devenue enfant du pays (voir encadré).  » C’est pour ça qu’on a gagné le titre, on était une toute bonne équipe de copains.  »

Un nul à Auxerre et le RC Lens est Champion de France à la dernière journée, dans une année charnière pour le foot français.  » Je pense instinctivement à notre arrivée à l’aéroport « , rembobine Guillaume Warmuz, taulier dans les cages lensoises.

 » On avait hâte de voir comment ça allait se passer parce qu’on savait qu’on allait être attendus. Au final, le club a été obligé d’ouvrir le stade pour fêter ça, si ce ne sont pas les portes qui ont été forcées !  »

Supporters et joueurs communient pendant plus d’une demi-heure, dans un Bollaert plein à craquer. Du jamais vu.  » C’est une émotion extrême qu’on ne peut pas décrire. Généralement, elle dure 24, voire 48 heures, mais celle-là, on voudrait la garder pour toujours.  »

Et l’émotion continue en Ligue des Champions la saison suivante. En poules, Lens doit affronter le Panathinaïkos, le Dynamo Kiev et Arsenal. Après un nul à l’aller (1-1), les Sang et Or débarquent à Wembley le couteau entre les dents. Mieux, ils repartent avec une courte victoire, 0-1.

Warmuz :  » Un de mes souvenirs les plus forts. Je me souviens qu’à la fin du match, après avoir discuté avec DavidSeaman, je me suis retrouvé seul dans le stade, ils venaient d’éteindre les lumières. Je suis resté là, accoudé à mon strapontin et je me suis dit : ‘Putain, j’ai gagné à Wembley‘.  »

Lens reste et restera le seul club français à réaliser cet exploit. Malgré cela, le Racing ne parvient pas à se qualifier pour le tour suivant. Mais ramène quand même un titre à la maison : la Coupe de France.

UN STADE DE FRANCE SANG ET OR

 » On était partis en train avec les supporters. Dès le matin, c’était la fête « , raconte William Dutoit, abonné à dix ans et pourtant licencié chez l’ennemi lillois.  » Je me rappelle de l’arrivée à la gare, le bruit que ça faisait avec les chants qui résonnaient… Même mon père chantait.  »

Lens l’emporte 1-0 contre Metz, dans un Stade de France devenu Sang et Or.  » Et puis, le tour d’honneur après la victoire de la coupe et la chanson We Are The Champions, je me suis dit que je ferai tout pour que ça m’arrive un jour…  » La joie est telle que Warmuz embarque son coéquipier Mickaël Debève sur un scooter. Coupe en main, ils déambulent autour de l’Arc de Triomphe…

 » On ne se sentait pas seul, il y avait un vrai échange. C’était exactement ce genre de moments où le courant passe si bien entre les supporters et l’équipe « , confie Warmuz, qui retrouvera Arsenal en demi de C3 la saison suivante.

 » Pour accéder au seul terrain d’entraînement, il fallait passer par un tunnel sous la voie ferrée « , commence Berthelin.  » Mais parfois, il y avait 600 personnes juste pour avoir des autographes ! Si vous vouliez faire plaisir à tout le monde, ça pouvait prendre une heure. Alors j’en connais qui passaient au-dessus de la voie pour rentrer plus vite…  »

En matière de fanatisme, Vairelles converge :  » A Pâques, on m’a offert des paniers de chocolats. Je ne sais même pas s’ils pouvaient en offrir à leurs propres enfants. J’avais envie de leur dire mais si je les refusais, ça pouvait les vexer. Et puis, c’est vrai qu’il n’y avait pas vraiment d’autres activités dans le coin…  »

Si bien que le Racing n’est pas cette maîtresse que l’on vit caché, mais bien un membre à part entière d’une famille qui partage tout.  » Souvent, j’avais l’abonnement en cadeau de Noël ou d’anniversaire « , confie Dutoit.  » Un été, j’ai fait maçon avec mon père pour me le payer. J’allais au match avec lui et ses amis, c’était toujours magique…  »

Sur le pré, Mbenza manque de tuer le match et les premiers Lensois quittent Bollaert dès la 84e minute. L’expulsion de Loïc Nestor, défenseur du VAFC, n’aura jamais autant excité le public. Le score ne bouge plus, Valenciennes fait mieux que le nul qu’il était venu chercher (0-1).

Le onze lensois, composé de sept joueurs de moins de 23 ans, sort sous les sifflets. Les  » Martel démission  » sont remplacés par des  » Merci Martel « .  » Les sifflets sont injustes « , s’insurge Pascal Guislain.  » Ils n’ont peut-être pas montré un grand talent, mais ils se sont donnés.  »

Un peu comme les supporters qui se retrouvent au Café Murielle, à quelques pas du stade, qui fait face à un tag  » LOSC army « , guerre des clans oblige.  » C’est Mammadov qui a les clés. On est une famille et c’est comme si on n’avait plus de nouvelles de notre propre père. On ne sait pas ce qu’il fait. Ça fait deux ans qu’on a plus de son, plus d’image « , souffle la patronne, Murielle donc, qui tient l’échoppe depuis 79 et qui était déjà des premières épopées européennes, où les Lensois affrontent Gand, l’Antwerp et Anderlecht.

UN PLAISIR TRANSMIS DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION

 » Je n’ai plus vibré depuis 2002 (année où Lens perd le titre à Lyon lors de la dernière journée, ndlr) « , regrette Murielle.  » C’est simple, c’est une religion. On se met en quatre tous les quinze jours. Pour certains, c’est même leur seul plaisir.  » Un plaisir transmis de génération en génération.

 » Je ne vois plus personne monter sur les grilles. Avec les Red Tigers ou pas, on sera toujours là « , lance Christophe, pilier quadragénaire de la bande et qui a filé le virus à sa progéniture.  » Ma fille est née l’année du titre et je peux te dire que j’étais devant la télé à la maternité !  » Un autre, Christophe, prof des écoles :  » Bollaert, c’est un temple. On vient s’y recueillir de père en fils et même de père en fille. Pour beaucoup, on est la quatrième génération de supporters.  »

La dernière bière sifflée, la troupe peut s’en retourner, avec le sourire et en chanson, toujours.  » Longue est la route, mais on ira jusqu’au bout !  » Sur la route, de la sueur et des larmes. Au bout, du Sang et de l’Or…

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Bollaert, c’est un temple. On vient s’y recueillir de père en fils et même de père en fille. On est la quatrième génération de supporters.  » – CHRISTOPHE, PROFESSEUR DES ÉCOLES ET NÉ SANG ET OR

 » A la fin du match, je me suis retrouvé seul dans le stade et je me suis dit : ‘Putain, j’ai gagné à Wembley’.  » – GUILLAUME WARMUZ

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