DE PILOT À PIRLO ?

A Cardiff, et parce que ça venait de fonctionner à Paris, Marc Wilmots avait donné un autre rôle à Axel Witsel : s’intégrer davantage à l’offensive, jouer en 8, laissant à Radja Nainggolan la tâche de jouer en 6. Ensuite, Willie s’est ravisé face aux Bosniens et Chypriotes : très bonne idée, à souligner face à la critique des fines bouches, presque désolées d’un 6 sur 6 sans avoir été grandiose… Certes, parce que c’est toujours bien vu d’annoncer de l’animation, Wilmots avait déclaré que ses deux récupérateurs alterneraient pour accompagner l’offensive : mais il savait pertinemment qu’éviter les emmerdes, c’était désigner le plus défensif des deux ! Ouf, ce fut Witsel.

Ouf pourquoi ? Non qu’Axel serait moins bon que Radja en 8, il y est différent, plus constructeur quand il s’infiltre, moins surgissant que notre Ninja. Mais parce qu’un demi def désigné doit posséder une âme de sentinelle : ce que Witsel possède quand on le lui demande (se privant d’autres de ses atouts), tandis que Nainggolan ne se débarrassera jamais d’un côté chien fou qui fait son charme…tout en pouvant faire mal si l’impulsivité se concrétisait par un fougueux tacle en retard dans notre rectangle ! A Chypre, Radja a échappé aux critiques et fut désigné Diable du match par les téléspectateurs : il a brillé parce qu’Alex, cérébral sans impro s’il le faut, a su rester dans l’ombre. Witsel, c’est l’histoire d’un surdoué devenu porteur d’eau…

Parenthèse poétique ! Pour gratifier les porteurs d’eau de quelques lettres d’une noblesse qu’ils méritent amplement ! Car on n’est pas médiocre en portant l’eau d’un autre, c’est même l’inverse, Saint-Exupéry l’a écrit : « Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, (….) tu n’es pas nécessaire à la vie, TU ES LA VIE (…). Par ta grâce, s’ouvrent en nous les sources taries de notre coeur ! » Je sais, citer l’auteur du Petit Prince en train de vanter la flotte, alors que les supporters de foot, quand leur source est tarie, ne jurent que par vous savez quoi, c’est un peu incongru ! Mais tout joueur malin devrait pouvoir muter porteur d’eau pour plus fortiche que lui face au but adverse, et en être fier…

A quand remonte l’appellation ? Durant les sixties, le 4-2-4 avait la cote, le 4-2-3-1 d’aujourd’hui n’est d’ailleurs guère différent ; et dans le 2 d’Anderlecht à l’époque, derrière Pol Van Himst, j’étais trop môme pour voir si, de Pierre Hanon et Joseph Jurion, l’un portait la flotte pour l’autre. En fait, le plus ancien labellisé porteur d’eau de mes amours footeuses, ce fut Louis Pilot vers 1970. Le grand Luxo du Standard (qui vient d’être fort malade et auquel je souhaite un prompt rétablissement) bossait défensivement dans l’ombre ; Kitchi Van Moer brillait devant lui en courant partout et, un cran plus haut, Henri Depireux tirait esthétiquement les ficelles…

D’aucuns disent qu’aujourd’hui, de tels porteurs d’eau sont obsolètes. Entendez par là ces sobres demis défensifs, malins mais sans grosse participation offensive, surtout chargés de monter la garde, de harceler pour récupérer, de boucher les trous : et de citer Timmy Simons comme prototype démodé d’une espèce en voie de disparition… Fadaises, mensonges ! De Pilot à Nemanja Matic en passant par Didier Deschamps et des tas d’autres, le foot aura toujours besoin de mecs plus sobres que d’autres plus dribbleurs : des mecs s’abstenant d’audaces techniques (qu’ils en soient capables ou moins capables), bossant pour leurs potes chargés de prendre des risques…et condamnés à perdre des ballons qu’il faudra bien récupérer ! Ça s’appelle le besoin d’équilibre, il sera toujours de rigueur dans tout match s’annonçant… équilibré !

Et ce qui me fait rugir d’opposition, c’est d’entendre que le demi défensif désormais moderne, c’est Andrea Pirlo ! Rien à voir : Pirlo brille, déteste l’ombre, demande tous les ballons, n’en arrache guère, ne bouche pas les trous, n’est ni défensif, ni récupérateur : c’est un numéro 10 jouant bas pour mieux mettre en évidence des qualités de passe et de distribution exceptionnelles. Au sein d’un collectif inhabituel car construit pour lui, Pirlo ne chavirait jamais : il était entouré de porteurs d’eau…

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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