DE PARIS à Melbourne

Justine Henin s’est imposée pour la troisième fois en finale d’un Grand Chelem. Sa domination a-t-elle évolué ?

Pour la première fois depuis qu’elle est numéro 1 mondiale, JustineHenin a remporté à Melbourne un tournoi du Grand Chelem. Cette constatation résume assez bien l’évolution qu’a suivie la joueuse belge depuis son premier sacre et depuis, aussi, ce qui fut la première des finales de Grand Chelem 100 % belge. On notera d’ailleurs que les trois titres glanés par Justine l’ont tous été face à KimClijsters qui détient désormais un record de quatre finales de Grand Chelem perdues… (trois contre Justine, une contre JenniferCapriati).

Que s’est-il donc passé entre le Roland Garros 2003 et l’Australian Open 2004 ?

De deuxième couteau à n°1

1. A Paris, et même aussi à Wimbledon, Justine Henin était encore une outsider. Son palmarès ne permettait pas de la comparer aux deux s£urs Williams et, même par rapport à Kim Clijsters, elle faisait encore figure de deuxième couteau. Sa victoire en demi-finale face à SerenaWilliams avait certes démontré qu’elle était capable de sortir les meilleures et de revenir de situations apparemment périlleuses, mais elle ne pouvait pas encore être qualifiée de leader. Preuve en est qu’à Wimbledon, elle n’avait pas encore digéré sa victoire parisienne. Elle manqua ainsi d’assurance et de confiance en elle face à Venus Williams en demi-finale.

2. A l’US Open, alors qu’elle était deuxième tête de série, elle a réalisé une fin de tournoi exceptionnelle, jouant une demi-finale héroïque face à Jennifer Capriati et se montrant intraitable dans la deuxième manche de la finale face à Kim Clijsters. A New York, Justine a commencé à asseoir sa domination psychologique sur toutes les autres joueuses. Si on prend les grands matches de l’an dernier, on retiendra son succès face à LindsayDavenport à l’Australian Open ; sa demi-finale devant Serena Williams à Paris ; sa victoire sur Jennifer Capriati à New York ; et ses deux triomphes en finale de Grand Chelem face à sa compatriote. C’est-à-dire que, outre contre Venus Williams, elle a réussi à renverser la vapeur face à des joueuses qui avaient été (ou étaient) numéro 1 mondiale, leur faisant ainsi comprendre qu’elle n’avait plus peur d’elles mais que, au contraire, ces dernières devraient désormais faire preuve d’une force de caractère sans pareille pour espérer la dominer.

3. Fin d’année, Justine s’est concentrée sur un objectif particulier : la première place mondiale. Cible dangereuse s’il en est, car en en faisant une obsession, la joueuse risque de perdre contact avec la réalité qui veut qu’elle s’attache en fait uniquement aux matches qu’elle dispute. Arrivée numéro 1 mondiale en octobre, Justine n’a pas voulu en rester là : elle a cherché à terminer l’année à la plus haute marche du podium. Le but était certes de partir en vacances avec le dossard de numéro 1 mais, surtout, de conférer à notre compatriote le statut de meilleure joueuse du monde. Il fallait que Justine le soit pour avoir le temps, pendant les six semaines d’arrêt, de digérer les nouvelles obligations dues à ce rang particulier.

Un épouvantail pour les collègues

4. En entamant l’année à la première place, Justine savait que la pression serait terrible. Mais, forte de son expérience 2003 et surtout devenue un véritable épouvantail pour toutes ses collègues, elle a tout de suite retrouvé son niveau et s’en est convaincue en s’imposant dans le très relevé tournoi de Sydney avant de se présenter à l’Australian Open, premier Grand Chelem dont elle était première tête de série et où elle était, de ce fait, la joueuse à abattre. Là encore, malgré des matches de qualité finalement assez moyenne (sauf contre Davenport et à certains moments face à Clijsters), Henin a assumé son rôle et a réussi à revenir du Diable Vauvert à diverses reprises (elle était menée 4-0 par Davenport et, en finale, elle aurait pu craquer dans le troisième set). Désormais, elle peut gagner sans être à son meilleur niveau.

5. Tout au long des mois qui se sont écoulés depuis Roland Garros, Justine a également dû faire face à diverses critiques. Certaines laissaient entendre que son évolution musculaire trouvait ses origines dans l’absorption de produits divers. D’autres se plaisaient à rappeler que les Williams étaient blessées et que la concurrence manquait de consistance. Elle a aussi fait l’amère expérience de ce que vivent les leaders mondiaux, en termes de blagues, de clips ou de photos û de goût parfois douteux û véhiculés principalement par internet. A chaque fois, Justine a réagi de manière intelligente, démontrant que si elle devenait indémontable sur un terrain, il en fallait désormais beaucoup pour la perturber en dehors.

Risque de blessure

Est-ce à dire que Justine Henin-Hardenne est partie pour multiplier les succès et que rien ni personne ne pourra désormais l’arrêter ? Oui et non.

Oui, Justine gagnera encore des levées des quatre tournois majeurs. En moins d’un an, elle s’est imposée sur la terre parisienne, le ciment new-yorkais et le reboundace australien. Elle a aussi été en demi-finale sur le gazon de Wimbledon, où elle fut finaliste en 2001. A titre de comparaison, rappelons que MartinaHingis, par exemple, ne s’est jamais imposée à Paris et n’a remporté  » que  » cinq Grands Chelems. Le pire, pour ses adversaires, c’est que û on l’a dit plus haut û Justine est capable de gagner en jouant très moyennement. A Melbourne, son jeu n’a jamais été aussi étincelant qu’à l’US Open en septembre dernier.

Non, on ne peut pas dire qu’elle n’aura plus d’adversaire pour la stopper. A priori, sa principale challenger tout au long de l’année sera Kim Clijsters. Derrière, elle devra se méfier d’ AmélieMauresmo et sans doute des s£urs Williams si elles parviennent à revenir à leur meilleur niveau, ce qui reste à démontrer. Mais la principale adversaire de Justine, ce sera elle-même. Pas en termes psychologiques û CarlosRodriguez, son coach, ne cesse certes pas de faire référence aux diverses faiblesses psy de sa joueuse mais il le fait à dessein, histoire d’enlever ce poids à Henin û mais bien en termes physiques. Si on observe le tennis féminin, on constate que la quasi-totalité du Top 10 connaît une blessure plus ou moins grave après deux ans de domination. A priori, il n’y a aucune raison que Justine soit épargnée, sauf si elle parvient à parfaitement gérer ses temps de repos.

Reste aussi à envisager l’avenir de Kim Clijsters. Blessée plus régulièrement que sa compatriote, elle va tout d’abord devoir soigner ses bobos récurrents. Ensuite, il faut lui souhaiter de rencontrer quelqu’un d’autre que Henin en finale d’un prochain Grand Chelem. Car, si elle avance qu’elle ne nourrit aucun complexe, il est évident que la conjonction du stress lié à une finale de Grand Chelem et à un duel avec sa rivale principale est trop importante pour ses épaules. Par contre, si elle pouvait gagner un majeur en battant x ou y en finale, un déclic pourrait se produire. A la condition expresse que Clijsters se montre moins précipitée lorsque le but lui semble proche. Chez elle, précipitation est souvent synonyme de cafouillage.

On conclura en soulignant le fait que ce n’est pas parce que nos deux joueuses dominent le monde tennistique que leurs exploits ne sont plus fabuleux. Le Belge n’a certes pas l’habitude de compter en ses rangs des leaders mondiaux dans des disciplines aussi importantes mais banaliser les exploits de Justine et Kim constituerait une erreur fatale car, après Henin et Clijsters, il faudra attendre au moins un siècle pour connaître une situation aussi favorable.

Bernard Ashed

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