DE LA SAVONNETTE À LA GONFLETTE

Occuper la scène, crever l’écran, être le roi du terrain. Quand tu as touché au métier du spectacle, tu deviens forcément un camé. Au mieux, aux substances naturelles sécrétées par le corps telles l’adrénaline et les endorphines. Aux sentiments procurés par le cerveau : l’estime de soi, l’orgueil, la rage de vaincre, le besoin de défi, le don de soi, l’éveil au collectif et surtout l’autosatisfaction d’être vu, admiré, voire adulé. Il y a aussi le pire, tout le reste. Ce dont on sait que ça existe mais dont on n’aime pas parler. Parce que même quand on est sûr, il y aura 10.000 recours qui feront de nos certitudes, un océan de doutes. Qui bientôt dévalera dans le caniveau pour finir dans l’oubli de la fatalité. Faire du foot, c’est faire le spectacle avec, par corollaire, des spectateurs pour te faire exister.

L’après-carrière est souvent un combat. Pour rester dans la sur-vie. Bercé par la lumière Divine. Celle qui émane des yeux admiratifs des spectateurs. Se passer de celle des projecteurs ou des écrans LED passe encore mais continuer à sentir la flamme qui vous réchauffe à travers le regard du public, ça c’est vital. Pour rester au centre de l’action certains ouvrent des bistrots, des restos, d’autres deviennent entraîneurs ou pire, managers. Les plus  » malins  » deviennent consultants TV. Le métier le plus cool du monde.

Tim Wiese n’est pas devenu consultant. En recherche du meilleur, il semble se servir du pire pour rester dans sa lumière. Tim Wiese ? Qui ?

Et oui, malgré ses 269 matchs de Bundesliga et ses 6 sélections avec l’équipe nationale allemande, on ne peut pas dire qu’il ait marqué les esprits au point de s’imprimer dans l’imaginaire collectif. Le grand Tim était ce qu’on appelle un gardien de but fantasque. Capable du meilleur (parfois) comme du pire (plus souvent). Avec lui, rarement un sentiment de totale sécurité ou même de sérénité. Mon ancien coéquipier Torsten Frings a été aussi le sien durant de très longues saisons au Werder Brême. Un soir de Ligue des Champions où nous nous étions croisés, je lui demandais :  » Mais c’est quoi ce gardien ?  » Torsten plein de dépit et de tendresse me répondit :  » Wiese, chaque fois qu’on commence à l’aimer, il nous rappelle pourquoi on a du mal à en avoir envie.  » Autrement dit, pendant trois mois, il fait partie des meilleurs et les six mois suivants on préférerait qu’il change de métier.

Et c’est ce qu’il a fait. Pour lui, la Bundesliga s’est arrêtée un soir de carnaval 2013. Alors qu’il a encore un contrat de trois ans à Hoffenheim, il se fait virer d’une boîte pour ivresse excessive et violence encore plus excessive. Le club en fera de même. En douceur, celle de l’arrangement à l’amiable. Viré mais toujours motivé, Tim continue de s’entraîner seul. Au départ pour retrouver un club, à l’arrivée il trouvera un ring. Ses journées sont faites de jogging mais surtout de salle de muscu. Il devient accro. Sa motivation semble de devenir aussi large que long. Grosse ambition, il mesure 1m93.

Trois ans plus tard, le résultat est impressionnant ou plutôt effrayant. Lui, l’ancien spécialiste des prises de balle savonnette devient le roi de la gonflette. Il a pris 40 kilos. De muscles soi-disant. Du genre viande  » hormonisée  » gorgée de produits poussant à la consommation. Sa consommation de viande à lui est d’un kilo par jour. Son corps affiche 140 kilos. C’est son problème, ça le regarde. Lui, tend à atteindre son autre rêve. Devenir catcheur professionnel. C’est fait. Il vient de disputer, du côté de Munich, son premier combat pro. La bête est lâchée dans un univers où beaucoup est permis. Où le spectacle passe avant les vertus originelles du sport. Parti s’entraîner à Orlando avec les meilleurs pros, il est revenu pour son grand soir. Pour obtenir entre les cordes ce qu’il s’est vu refuser entre les perches. Être le meilleur.

Sans ballon, ça devrait être possible.

PAR FRÉDÉRIC WASEIGE

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