DE LA D4 À LA PREMIER LEAGUE EN 6 ANS !

Bournemouth, la ville des retraités, des plages de sable, des artistes de rue et des festivals. Depuis cette saison, aussi, le port d’attache d’un club de Premier League. Avec un oncle russe à la barre.

Deux agents de police, trois ambulanciers et un médecin sont penchés sur une vieille femme inconsciente, allongée sur le trottoir, Holdenhurst Road. Les passants lui jettent à peine un coup d’oeil, pressés. A la terrasse de LaPiccolaItalia, un des meilleurs restaurants italiens de Bournemouth, les clients continuent tranquillement à manger et à bavarder. Ils ajoutent du parmesan à leurs aubergines grillées, savourent leurs coquilles de Vénus et profitent du moment. Salute !

Les services de secours sont partagés. Le diagnostic a été rapidement posé.  » Stone drunk « , jette un des agents. Il n’est que sept heures du soir. C’est le signe avant-coureur de ce qui va se passer ce jeudi soir.  » La soirée va être chargée car les étudiants vont commencer à sortir. Clubbing… Ils vont se saouler avant de rentrer chez eux demain.  » Tous les passages piétonniers souterrains abondent de bouteilles vides et de grands cartons abandonnés par les mendiants qui arpentent en journée les artères commerçantes, interdites à la circulation, et harcèlent les passants. 50 pence ? Sigaret ? Les ruelles accueillent des salons de coiffure, de manucure, de piercings et de tatouages.

Les plus belles boutiques se trouvent près du Square. L’Undercliff Promenade, la digue qui longe la plage, regorge d’amusement halls, des jeux pour enfants et… retraités, un groupe qui représente un cinquième de la population (183.000 habitants). Trois quartiers complètement différents, avec un point commun : les vitrines sont couvertes d’affiches rouge et blanc de la fierté locale. Up the Cherries ! Congratulations ! #Love Bournemouth.

 » Elles sont là depuis le 4 mai, le jour où le staff et les joueurs ont parcouru la digue et les rues de la ville dans un bus découvert, lors du Bank Holiday Monday « , explique Peter Bell, supporter à vie de l’AFC Bournemouth.  » On attendait 20.000 personnes mais le soir, la BBC a parlé de 60.000. C’est inouï pour notre petite ville… C’est comme si chacun avait voulu dire, personnellement : –Thank you, Cherries. Ils ont été très bas mais maintenant, ils jouent en Premier League. C’est incroyable.  »

LA MISÈRE NOIRE

 » Ce fut un voyage fantastique à la destination inattendue : l’élite anglaise « , a déclaré le manager Eddie Howe quand son club a balayé Charlton Athletic 0-3 pour s’emparer du titre en Championship. Agé de 37 ans, Howe est une icône des Cherries. Membre du Bournemouth Centre of Excellence depuis l’âge de treize ans, il a intégré le noyau A de Tony Pulis à seize ans pour effectuer ses débuts au coeur de la défense à 18 ans. L’année suivante, en 1996, il signait son premier contrat professionnel.

Howe a également connu les temps durs. En janvier 1997, alors que le club évoluait en D3, les dirigeants ont dû arpenter les rues pour collecter de l’argent avec pour slogan Save the Cherries. Le club avait une dette de six millions d’euros, il perdait 75.000 euros par mois et les créanciers se bousculaient à sa porte. Ce n’était pas la dernière fois. Lors du meeting des Winter Gardens, les anciens joueurs Ted McDougall, international écossais, et Jamie Redknapp (Liverpool et Southampton, entre autres) sont venus soutenir les supporters. La collecte a rapporté un peu plus de 50.000 euros ce soir-là et le président Trevor Watkins a accordé une participation aux supporters.

 » Ce fut une soirée inoubliable, un moment unique de solidarité « , a confié Watkins au journal The Independent.  » Nous devons savourer ce moment très longtemps car le supporter de ce club n’a une raison d’être heureux qu’une fois tous les dix ans.  » Des paroles prophétiques. Le SupportersTrust n’est jamais parvenu à équilibrer son budget non plus et il n’a évité la faillite qu’en vendant le stade, DeanCourt.  » Des supporters qui dirigent un club, ça peut paraître chouette mais ils ne paient pas l’addition. Nous avons été un des clubs les plus malades de Football League « , comprend Jeff Mostyn, le nouveau président, qui a repris les parts des supporters mais a dû placer le club sous curatelle pour la deuxième fois en 2008.

Gerard Krasner, qui avait fait sombrer Leeds United avant d’être contraint de vendre le club à Ken Bates, le prédécesseur de Roman Abramovitsh à Chelsea, a été nommé curateur. Il a été confronté à une dette colossale.  » Cinq minutes avant le début de la conférence de presse durant laquelle j’allais annoncer la faillite du club, le président m’a remis un chèque, juste suffisant pour assurer le paiement des salaires du mois suivant.  »

Le club de D2 est sanctionné par un retrait de dix points et il est rétrogradé en fin de saison. Il entame la saison suivante avec un handicap de 17 points et un embargo sur les transferts en League Two (D4). C’est la misère noire. Le stock de la boutique du club est saisi, le stade est fermé, le loyer n’ayant pas été payé, joueurs et entraîneurs attendent leur argent semaine après semaine. A la Noël, le club est avant-dernier et il limoge son manager, Jimmy Quinn.

LA GRANDE ÉVASION

Bournemouth a touché le fond. Il ne peut que rebondir. Eddie Howe, qui a disputé 313 matches en équipe-fanion, devient le plus jeune manager des 92 clubs professionnels, à 31 ans. C’est un homme du peuple. En 2004, après deux mauvaises saisons à Portsmouth, une poignée de supporters a voulu récupérer le fils perdu. Le club ne pouvant payer l’indemnité de transfert, ceux qui le souhaitaient pouvaient acheter une Eddieshare (une part Eddie). En quelques jours, Bournemouth a récolté 30.000 euros et Howe a été accueilli en héros…

 » Nous étions à terre quand je suis devenu manager « , a récemment raconté Howe au Guardian.  » Nous n’avions plus rien. Les joueurs n’étaient pas payés, nous n’avions pas de terrain d’entraînement et tous les jours, c’était un défilé d’huissiers. Ces six premiers mois m’ont semblé durer six ans.  »

Lors du dernier match à domicile, Bournemouth doit battre Grimsby Town pour se maintenir dans les séries nationales. Steve Fletcher marque le 2-1 à dix minutes de la fin. Ce match reste dans les annales de la côte sud de l’Angleterre comme The Great Escape, la grande évasion.  » Un moment que je n’oublierai jamais. Cette joie… Tous les spectateurs étaient en liesse. C’est sans doute le plus beau moment de l’histoire du club, après la promotion de la saison dernière. Sans vouloir surestimer mon but, ce match a été décisif pour la survie du club « , explique Fletcher, qui détient le record du plus grand nombre de matches – 728 – disputés pour le club.

Il est impressionnant : 1m90, le corps d’un bodybuilder, malgré ses 42 ans. Il est immortel dans la cité balnéaire mais il est modeste. Le club lui a offert un poste, ambassadeur et chef du recrutement. C’est normal pour les Cherries : quatre des cinq membres du staff technique actuel ont porté leur maillot.  » Il n’y a rien de meilleur que de jouer mais comme scout, j’ai un certain impact sur l’avenir du club. J’apprécie mon rôle d’ambassadeur. Je travaille avec les jeunes de la communauté, je visite des écoles, j’assiste à des réunions de charité… Ici, c’est toujours très important. Je me souviens qu’un membre du club a visité mon école, jadis. C’était extrêmement motivant pour les enfants « , explique Fletcher, qui a donné son nom à la tribune nord – Steve Fletcher Stand.

Après The Great Escape, Howe et l’AFC Bournemouth entament leur seconde vie. Ils montent immédiatement en League One, malgré l’interdiction de transferts, se qualifient pour les demi-finales des play-offs et accueillent un nouveau président, le promoteur Eddie Mitchell. Le club peut à nouveau rêver, jusqu’en janvier 2011. Howe et son adjoint Jason Tindall annoncent qu’ils rejoignent Burnley, en Championship.  » Je cherche un club plus ambitieux.  »

UN MILLIARDAIRE RUSSE

Malheureusement, la vie à Turf Moor est décevante. Pour des raisons personnelles, il revient sur la côte après un an et demi. Comme par hasard, le manager Paul Groves vient d’être renvoyé et un riche oncle russe, Maxim Demin, apporte son soutien au club. C’est une étrange histoire, qui commence à l’été 2004. L’homme d’affaires achète une propriété à Sandbanks, une presqu’île chic, peuplée de richissimes Britanniques et proche de Bournemouth. Il dépose sept millions d’euros sur la table et verse sept autres millions au bureau SevenDevelopments, propriété du président Eddie Mitchell, pour démolir la mansion vieillotte et en bâtir une nouvelle.

Les deux hommes deviennent amis. En octobre 2011, Demin, actif en pétrochimie, verse 1,2 million d’euros pour acquérir la moitié des parts du club (44 % de Jeff Mostyn et 6 % de Steve Sly). Ses motivations restent un mystère. Le millionnaire russe réside en Suisse, il n’a encore jamais accordé d’interview à un journaliste anglais en quatre ans et il assiste aux matches dans les executive seats, loin, inaccessible et imperturbable. Anonyme, contrairement à sa femme, Irena, qui a un jour surgi dans le vestiaire à la mi-temps, exigeant un meilleur football. La blondine a fait la une mais le président l’a couverte.  » Monsieur et Madame Demin investissent beaucoup de temps et d’énergie dans le club. Ils paient les joueurs donc pourquoi ne pourraient-ils pas leur parler ? Nous sommes un club familial, reconnaissant envers ses investisseurs.  » L’incident est clos.

Demin achète le reste des parts de Mitchell, qui renonce à la présidence au profit de Mostyn, qui a failli mener le club à la faillite. C’est un poste protocolaire car c’est Demin qui paie et qui décide. Avec Howe, le club remonte en Championship, la D2, en 2013.  » Bournemouth a réalisé plus d’achats que Manchester City, Manchester United, Arsenal et Liverpool réunis pendant le mercato hivernal. L’histoire du club ne s’arrête pas en Championship « , écrit le Bournemouth Echo après la promotion.

 » Tout est possible. Je ne dis pas que nous rejoindrons la Premier League mais nous pouvons en tout cas viser haut « , précise Demin dans une interview exclusive – et unique – à NTV Plus, une chaîne russe.  » Bournemouth était un club démodé, très basic. Dénué d’ambition, d’objectifs commerciaux, de département financier. Il n’avait même pas de restaurant pour les VIP « , poursuit Demin, qui crée encore la surprise en été : le Real Madrid vient jouer un match amical au GoldsandsStadium. Demin, froidement :  » Pourquoi pas ?  » Score final : 0-6. Un supporter tente de retenir un ballon de Cristiano Ronaldo. Le bras cassé, il est emmené à l’hôpital…

Demin continue à investir. Beaucoup. Mais le club n’atteint que la dixième place en D2, au terme de la saison 2013-2014.  » D’après le bilan financier de cette saison-là, il a prêté 35 millions d’euros au club, ce qui n’a pas empêché les Cherries d’essuyer une perte de 30 millions « , explique Matt Lawton, du DailyMail.

À L’ATTAQUE

Les autres clubs de Championship sont amers quand Bournemouth chipe Callum Wilson, auteur de 23 buts, à Coventry City, pour 3,6 millions d’euros.  » Le succès grâce à l’argent russe « , clament-ils. Mais c’est un coup de maître. Sous l’impulsion de Wilson et des médians Harry Arter (neuf buts, trois assists) et Matt Ritchie (quinze buts, 17 assists), Bournemouth réalise une série impressionnante au deuxième tour.

Le club virevolte à travers le championnat. Demin facilite les choses, Howe développe un football offensif et pétillant. Le manager n’aime pas le kick-and-rush.  » J’apprécie la manière dont il fait jouer les Cherries « , analyse Harry Redknapp, qui a promu Bournemouth en D2 pour la première fois en 1987, sur la BBC.  » Après dix ans au club, j’ai été considéré comme le meilleur manager de son histoire mais voilà qu’un jeune homme débarque et me dribble en très peu de temps. C’est fantastique ! Si j’étais certain de ne pas entraîner de club bientôt, j’achèterais un abonnement.  »

Le 2 mai 2015, Bournemouth est champion de Division Deux. Il a marqué 98 buts en 46 matches et n’en a encaissé que 45. Demin suit les festivités de loin, Mostyn pleure devant les caméras de la BBC, Howe est porté en triomphe.  » Je remercie les supporters. Ils ont vécu tant de choses avec ce club qu’ils méritent aussi un instant de gloire.  »

PAR CHRIS TETAERT À BOURNEMOUTH – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le supporter des Cherries sait qu’il n’aura une raison d’être heureux qu’une fois tous les dix ans.  » L’EX-PRÉSIDENT TREVOR WATKINS

 » Au moment où je l’ai racheté, Bournemouth était un club complètement démodé et dénué d’ambition. Il n’y avait même pas de restaurant pour les VIP…  » LE PROPRIÉTAIRE MAXIM DEMIN

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