De la case prison à celle de l’oncle Tom

Le longiligne pivot belgo-congolais (2,15m) est de retour à Charleroi après un périple qui l’a mené en NBA et en Asie.  » J’aspire à reprendre une dernière fois mon envol « , clame-t-il.

C’est l’histoire d’un mec qui a réussi  » quelque chose de fou « , comme il le dit lui-même. L’histoire d’un géant africain qui a réalisé son rêve américain. Une histoire faite de sueur, mais aussi de larmes et de sang. Une histoire qui conduira son acteur principal jusqu’à la gloire. Une histoire dont raffolent les Américains car elle atteint son apothéose dans un monde de strass et de paillettes. Un monde très glamour.  » Quand je repense à ma vie, je me dis qu’on pourrait en faire un film, y consacrer un livre.  »

A trente-trois ans, DidierIlungaMbenga a l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Dès son plus jeune âge, il doit faire face à un quotidien difficile. Fils d’une famille de vingt-sept enfants, il comprend vite que sa vie sera un combat. Alors qu’il s’adonne au football et au judo pour canaliser son énergie, sa grande taille l’empêche de passer inaperçu dans les rues de Kinshasa.  » Ce n’était pas toujours agréable d’être regardé comme quelqu’un de différent.  » Complexé, le gamin refuse pourtant de baisser la tête.  » J’ai appris rapidement à faire face aux moqueries et à me battre pour ma dignité.  »

Comme il pousse très vite et que sa famille est relativement proche du gouvernement en place, Didier va frôler la mort. Durant la deuxième guerre du Congo, Mbenga est identifié à tort comme un Tutsi.  » A cause de ma grande taille « , dira-t-il. Quand tombe le régime de Mobutu Sese Seko et que se met en place celui de LaurentKabila, l’incursion de Rwandais augmente encore l’insécurité des habitants.

 » Un jour, je rentrais chez moi en courant car ma maman m’appelait. Présentes dans la rue, les forces de l’ordre ont cru que je cherchais à fuir parce que j’étais Tutsi. Des gens ont débarqué à la maison et ils ont pointé leur arme sur moi.  » Didier est jeté en prison et ne sait pas de quoi demain sera fait. Aujourd’hui, il dit ne plus vouloir penser à ça.  » Ce sont des très mauvais souvenirs que j’essaye d’effacer de ma mémoire. Vous comprenez, c’était horrible.  » D’un autre côté, ces événements vont forger son caractère.  » Je n’ai jamais oublié d’où je viens « , lance-t-il.  » C’est d’ailleurs pour ça que j’ai toujours regardé devant moi. Pour être heureux et avoir une meilleure vie.  »

Sous la coupe de Willy Steveniers

Par le biais d’un proche, il parviendra à sortir de sa cellule et à s’évader.  » On connaissait des gens en Belgique. Quand je me suis retrouvé dans l’avion, je ne croyais toujours pas avoir sauvé ma vie. Je continuais à penser que l’on viendrait me chercher.  » Il débarque chez nous à 17 ans et trouve refuge dans le centre pour réfugiés de Capellen, près d’Anvers. La chance va enfin lui ouvrir les bras. Un jour, il se promène dans la rue quand l’ancien basketteur WillySteveniers l’aborde.  » Je me suis dit qu’on devait pouvoir faire quelque chose de bien avec quelqu’un d’aussi costaud physiquement « , expliquera alors celui que certains considèrent encore aujourd’hui comme le meilleur basketteur belge du 20e siècle.

 » Je lui ai demandé s’il ne voulait pas jouer au basket.  » Devant l’enthousiasme de Mbenga, Steveniers prendra le Congolais sous son aile. C’est le début d’une nouvelle vie. Sous la houlette de son mentor, celui qui culminera à 2,15m et pèsera jusqu’à 120 kilos travaille d’arrache-pied. Techniquement, il doit encore tout apprendre mais, physiquement, on a rarement vu un tel potentiel en Belgique. Rapidement, on entend parler du phénomène. Pendant deux ans, Mbenga évolue parmi les juniors anversois. Il ne cesse de progresser en suivant les conseils de Steveniers qu’il considère alors comme un père adoptif avec lequel il se brouillera plus tard pour une affaire de… contrat.

Après deux années à Anvers, Charleroi met le grappin sur le géant congolais et le place dans son équipe satellite, Gilly, qui joue en Division 2. Ses qualités athlétiques impressionnent et certains émissaires venus de NBA sont déjà aperçus dans les travées du Spiroudôme. La saison suivante, les Spirou lui font franchir un palier supplémentaire en le prêtant à Louvain.

 » Je sentais que je montais en puissance et que mon évolution suivait son cours.  » Et ce n’est pas une rupture des ligaments croisés du genou gauche lorsqu’il jouait encore à Gilly qui l’empêchera de crier sa joie sur tous les toits.  » Je me suis remis d’une grave blessure. Maintenant, je suis prêt à faire ce qu’il faut pour aller en NBA « , assure-t-il à son arrivée à Charleroi à l’aube de la campagne 2003-04.

Seul Belge en NBA

Il aura son influence sur le titre national conquis par le club hennuyer. Il séduit outre-Atlantique et ne tarde pas à être engagé par les Dallas Mavericks.  » Très tôt, j’avais dit que mon but était de rejoindre la meilleure ligue du monde. Je sais que l’on a émis beaucoup de doutes à mon sujet. Mais je savais que j’y arriverais. Toute ma vie, j’ai dû faire face à la critique et cela m’a, à chaque fois, rendu plus fort.  »

Premier – et toujours seul – Belge à jouer en NBA, celui qui s’est fait naturaliser en 2004 va découvrir un tout autre univers cette année-là.  » Les premiers mois, il a fallu que je m’adapte à tout mais c’était génial. Je me suis vite senti à l’aise dans ce monde.  » Il y est confiné à des tâches défensives mais s’accommode de ce rôle dans lequel il vivra des expériences diverses.

 » Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai joué contre ShaquilleO’Neal. Dos à l’anneau, il s’en approchait comme si je n’existais pas. A la fin de l’action, il m’a expédié dans les gradins. C’est comme si j’avais tenté d’empêcher un bus d’avancer.  » Quand il croisera la route de LeBronJames, les choses se passeront autrement.  » Il n’avait pas la moindre idée de qui j’étais et je l’ai contré alors qu’il partait au dunk. Je me souviens de son étonnement. Bon après, il a pris sa revanche mais ça m’avait bien fait rire.  »

Même s’il ne passe pas beaucoup de minutes sur le parquet, le pivot belgo-congolais devient vite populaire outre-Atlantique. Les fans des Mavericks tomberont sous son charme lorsqu’il s’en alla dans les gradins pour empêcher des spectateurs trop nerveux d’importuner la femme d’AveryJohnson, son coach. Cette intrusion dans les gradins lui vaudra d’ailleurs une sanction de la NBA.

Il sera suspendu et privé de salaire pendant six matches mais sa cote montera en flèche auprès de ses équipiers.  » Didier est un gars adorable « , nous confiera en 2006 la star DirkNowitzki.  » C’est une crème. Sportivement, il a une énergie incroyable. Même s’il ne joue pas beaucoup, il apporte plus que ce que l’on peut penser. Dallas a bien fait de le prendre.  »

Los Angeles et son gotha

Et lui a bien fait de rejoindre la ville texane. Il y passera trois ans. Disputera les play-offs à deux reprises et en atteindra même la finale en 2006. En février 2007, il se déchire les ligaments croisés de l’autre genou. Un coup d’arrêt. Les Mavericks s’en sépareront au début de la campagne suivante. Notre compatriote signera, alors, en novembre aux Warriors de Golden State mais n’y restera que trois mois.

 » Une erreur de parcours « , dit-il aujourd’hui. Mais quinze jours plus tard, DJ comme l’appellent les Américains a l’occasion de signer un premier contrat de dix jours chez les Lakers de KobeBryant. Finalement, il y restera jusqu’au printemps 2010. Et y vivra un vrai conte de fées.

 » Non seulement, cette ville m’allait bien mais je me sentais également dans mon univers. J’avoue que je me pinçais parfois pour m’assurer que tout ce que je vivais était vrai.  » C’est que Mbenga a mis les pieds dans une autre galaxie. Il fréquente au quotidien le gotha de L.A. Il entretient de bonnes relations avec DavidBeckham, devient un ami de JohnnyHallyday qui passe beaucoup de temps là-bas.

 » A Los Angeles, j’ai vécu dans un monde presque irréel. C’est fou comme les joueurs de NBA y sont adulés. Au fil des mois, je me suis rendu compte que les gens s’identifiaient à nous. Même moi, qui n’étais pas le pion essentiel de l’équipe, j’avais mes fans.  » Et un célèbre équipier, Kobe Bryant, qui l’affublera du surnom  » CongoCash « .  » Alors lui, c’est un sacré numéro ! Aujourd’hui encore, on s’appelle.  »

A plusieurs reprises, le public du Staple Center réclamera DJ.  » Des gens portaient même un T-shirt sur lequel on pouvait lire : Congo Cash. Franchement, j’avais des frissons.  » Mbenga ne joue pourtant pas beaucoup mais il fait son boulot et, quand AndrewBynum se blesse, il signe même plusieurs grosses performances. Un double double par-ci, cinq contres en 15 minutes par-là.  » Là, j’ai prouvé que je savais jouer et que je n’étais pas qu’un grand capable de courir et de sauter.  »

Reçu par Barack Obama

Au printemps 2009, il file de nouveau en finale des play-offs. Cette fois, il la gagne. Et devient le premier Congolais et le premier Belge à recevoir la bague de champion. Mieux : douze mois plus tard, les Lakers remettront ça.  » J’aurais pu perdre la tête car c’était de la folie. Les gens vivent pour le basket à L.A. Alors, quand tu es champion, on te considère comme un modèle à suivre. J’ai prouvé, ces deux années-là, que j’avais bien fait de m’accrocher. On ne pourra jamais m’enlever tout ce que j’ai gagné.  » Ses deux bagues, il les a soigneusement rangées dans un coffre-fort.

Comme le veut la coutume, les champions NBA sont reçus à la Maison-Blanche par le président des Etats-Unis. Un privilège dont Mbenga mesure très bien l’ampleur.  » Pour moi, c’est incroyable d’avoir pu parler de l’Afrique avec BarackObama. Il est le symbole même de la réussite et représente beaucoup à mes yeux. Honnêtement, j’ai vécu des trucs de fou aux Etats-Unis mais serrer la main à Monsieur Obama, c’est indescriptible.  »

En 2010, Mbenga, qui a toujours bien mené sa barque jusque-là, commettra un impair. Il quitte Los Angeles pour la Nouvelle-Orléans.  » PauGasol et Bynum, deux grosses pointures à mon poste, restaient et PhilJackson, le coach qui nous avait conduits au titre, partait. Je me suis dit qu’il fallait que je change d’air pour jouer plus. Cela a sans doute été une erreur. Les dirigeants des Hornets et moi n’avions pas la même vision des choses et cela n’a pas marché entre nous.  » Poussé en dehors du banc des réservistes, Didier Mbenga songe déjà à quitter le navire. Pendant des mois, il s’entraîne à Dallas et à Los Angeles, les deux villes où il a une maison.

Il change d’agent. Et tente l’aventure en Chine. On est en novembre 2012 et cela fait de longs mois qu’il s’entraîne seul.  » Je suis allé dans ce pays par colère. Avant la saison, je pensais que l’on tomberait d’accord avec les dirigeants de Dallas et que je rejouerais là-bas. Mais, finalement, ça ne s’est pas fait. Et moi, je voulais jouer.  »

De l’Asie à Charleroi

Il découvre alors Qingdao, une ville  » grande comme la Belgique « .  » Je jouais et je faisais mon boulot. En plus, je gagnais encore mieux ma vie qu’en NBA.  » Après deux mois, l’escapade en Asie se termine et Mbenga retourne s’entraîner avec l’équipe de développement (D-League) de Dallas. Avant de dénicher une pige de trois matches aux Philippines.  » J’y suis allé pour voir autre chose.  »

C’était en fin de saison dernière. Après, Mbenga disparaîtra des radars pendant de longs mois.  » J’ai pris le temps de faire d’autres choses. De m’occuper de mes affaires. Je gère une oeuvre humanitaire en Afrique car je reste très attaché à mes racines.  » Le mois dernier, il appelle GiovanniBozzi et demande s’il peut s’entraîner avec Charleroi. Le coach des Spirou n’y voit pas d’inconvénient mais ne lui promet pas une place dans l’effectif.  » Je suis revenu à Charleroi parce que c’est un peu ma maison. C’est ici que tout a commencé pour moi. Je veux m’entraîner dur pour être prêt à relever un dernier défi l’an prochain.  »

A 33 ans, Didier Mbenga sait que beaucoup émettent des doutes quant à son retour au plus haut niveau. C’est vrai que ses genoux sifflent et nécessitent un traitement quotidien. Mais lui garde confiance.  » Je veux briller et surprendre une dernière fois. Je n’ai plus rien à prouver à personne et j’aspire à reprendre, une dernière fois, mon envol la saison prochaine. Je reste dans le game.  »

S’il nourrit un seul regret, il a trait à l’équipe nationale belge.  » Avant l’Euro 2011 qui avait lieu en Lituanie, j’étais blessé. Je n’ai donc pas pu être compétitif lors de la préparation et j’ai été écarté du groupe par le sélectionneur. Puis, quand AxelHervelle s’est blessé juste avant le début de la compétition, on m’a demandé de revenir. J’ai accepté par respect pour le groupe et pour aider. Mais on m’a cassé ! On a dit que je n’étais pas à la hauteur et que je constituais une faiblesse. On m’a fait porter le chapeau de cet Euro raté par les Lions. Je sais ce que c’est que jouer des matches sous pression. J’ai vécu des finales NBA. Je sais comment gérer les rencontres à enjeu. Mais voilà. Je n’aurais pas dû aller en Lituanie, c’est tout.  »

Deux bagues de champion

S’il aurait préféré ne jamais écrire ce chapitre, Mbenga estime que son histoire est loin d’être finie. Qu’il écrira de nouvelles belles pages même après sa carrière.  » J’ai des projets et plusieurs possibilités pour ma reconversion. J’aime la Belgique mais ma vie est aux Etats-Unis.  »

Qu’il est loin le temps où Didier Mbenga luttait pour sa vie dans une geôle de Kinshasa !  » Je suis fier et content de ma vie. J’ai montré à d’autres que l’on peut s’en sortir et devenir quelqu’un. Je suis parvenu à enfoncer des portes alors que beaucoup n’y croyaient pas. Et ça, on ne pourra jamais me l’enlever.  »

C’est l’histoire d’un mec qui est parvenu à réaliser son rêve. L’histoire d’un pivot belgo-congolais qui a gagné deux titres NBA. Ce que n’ont jamais pu faire des monstres sacrés comme KarlMalone, PatrickEwing, AllenIverson et CharlesBarkley. Aucun d’entre eux n’a la bague de champion au doigt.  » On en rigole avec Barkley « , conclut Mbenga. Quand je le vois, je lui dis :  » J’aurais aimé avoir gagné autant d’argent que toi.  » Lui me répond :  » OK mais j’aimerais avoir deux bagues comme toi « .

PAR DAVID LEHAIRE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

A cause de sa grande taille, Didier Mbenga fut identifié à tort comme un Tutsi, à Kinshasa, et emprisonné.

 » C’est incroyable d’avoir pu parler de l’Afrique avec Barack Obama.  »

 » La première fois, face à Shaquille O’Neal, c’est comme si j’avais tenté d’empêcher un bus d’avancer.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire