De l’eau dans son foot

Particularité : le manager des Buffalos est aussi le président de la Fédération Belge de Natation.

Manager de Gand depuis 1989, le Brugeois Michel Louwagie est un personnage à part dans le monde du football. Ancien champion de Belgique de natation, ancien entraîneur de Luc Van Lierde (lorsqu’il n’était pas encore triathlète), il n’a jamais quitté ses premières amours puisqu’il est aussi président de la Fédération Belge de Natation !

Peut-on dire qu’entre le football et la natation, votre c£ur balance ?

Michel Louwagie : La natation représente ma jeunesse. A 9 ans, j’étais à la fois membre du BZK ( Brugse Zwemkring, Cercle de Natation de Bruges) et du Cercle de Bruges en football. J’ai pu combiner les deux sports jusqu’à 13 ans. Ensuite, j’ai opté pour la natation. J’ai été champion et recordman de Belgique en 200 mètres dos, toutes catégories. A 18 ans, j’ai entamé une licence en éducation physique à l’Université de Gand. Au terme de mes études, j’ai travaillé comme assistant à la faculté d’éducation physique de 1978 à 1989. Parallèlement, je m’occupais un peu de relations publiques. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance du beau-fils de Jean Van Milders, l’ancien président de Gand. A ce moment-là, le club cherchait un nouveau manager qui devait répondre à un certain profil : sportif, mais pas ancien footballeur ! On estimait, en effet, que les anciens footballeurs avaient trop tendance à pénétrer dans les vestiaires pour donner leurs directives à l’entraîneur. Or, le club avait surtout besoin d’un homme qui, tout en connaissant le monde du sport, s’occuperait prioritairement de l’administration, du commercial, de la logistique et de la sécurité. Ma candidature a été retenue.

Actuellement, je parviens toujours à combiner mon boulot de manager à Gand avec mes activités de président de la Fédération Belge de Natation. En temps normal, je dois assister à une réunion par semaine, en soirée. Loin d’être une corvée, cela me change les idées de pouvoir me retremper dans le monde du sport amateur, après une journée passée dans le monde du football qui se professionnalise de plus en plus. J’effectue ce boulot bénévolement, mais je le fais avec plaisir car j’estime rendre quelque chose au sport qui m’a tant apporté. Je n’oublie pas que c’est la natation qui m’a permis de devenir manager d’un club de football. L’organisme que je préside chapeaute les deux ailes, néerlandophone et francophone. Les nageurs sont licenciés auprès de leur ligue respective, mais la fédération nationale organise les championnats de Belgique de natation, de water-polo, de nage synchronisée, de plongeon et d’eau libre. Elle est aussi responsable des sélections pour les championnats d’Europe et du monde, mais pas pour les Jeux Olympiques qui sont sous la tutelle du Comité Olympique et Interfédéral Belge.

Récemment, je me suis rendu deux jours aux championnats du monde de natation à Barcelone. Après les exploits de Frederik Deburghgraeve et de Brigitte Becue, la natation belge cherche un souffle nouveau. Les ligues n’ont pas assez travaillé à la base. Il faut dire, aussi, que ce sport est exigeant. J’admire tous ces nageurs qui s’entraînent six heures par jour, se lèvent à l’aube et vivent pratiquement comme des moines. Et, de temps en temps, je suis déçu en voyant certains footballeurs qui gagnent énormément d’argent alors qu’ils rechignent à l’effort. Je ne tiens pas à généraliser, mais je me pose des questions : comment peuvent-ils manquer de motivation et de discipline alors que, pour la plupart d’entre eux, le football est tout de même un hobby également ?

Travailler l’individu

Vous est-il arrivé d’approfondir votre réflexion ?

Je me demande souvent pourquoi, en football, on ne travaille pas davantage l’individu. C’est un sport collectif, d’accord, mais tous les footballeurs accusent des lacunes sur le plan individuel. L’organisme supporterait aisément l’une ou l’autre séance de technique individuelle, l’après-midi, après les entraînements collectifs et physiques du matin. Je constate que dans d’autres pays, en Italie notamment, on s’entraîne davantage qu’en Belgique. C’est une simple constatation, il appartient aux entraîneurs et aux autres dirigeants d’en tirer leurs conclusions. Mais je sais que, lorsque j’en fais la remarque, certains pensent : -Ce n’est tout de même pas un nageur qui va nous apprendre notre métier !

Vous avez aussi entraîné Luc Van Lierde ?

Oui, pendant deux ans. Il n’était pas encore triathlète à l’époque, il avait entre 15 et 17 ans. C’était un bon nageur, mais pas exceptionnel. Aux championnats de Belgique, il terminait régulièrement sur la deuxième marche du podium. Mais, parallèlement, c’était aussi un bon athlète, très endurant. Compte tenu de son éclectisme, c’est finalement logique qu’il ait brillé en triathlon. C’est une discipline de fous. Au début, je me disais que huit à neuf heures d’effort, cela ne pouvait pas être bon pour la santé. Mais, finalement, beaucoup de gens le pratiquent aujourd’hui et ne s’en portent pas plus mal.

A Gand, vous avez souvent eu le nez fin pour choisir vos entraîneurs. Vous avez délaissé le carrousel des entraîneurs belges qui passaient d’un club à l’autre, pour sonder d’autres contrées et ramener des hommes comme Trond Sollied, Patrick Remy et Jan Olde Riekerink, peu connus au départ…

Le président Ivan De Witte et moi essayons, effectivement, de chercher un peu plus loin et plus longtemps que d’autres dirigeants de clubs. Justement parce que nous avons tous les deux le sentiment qu’en s’entraînant, les joueurs peuvent encore progresser, même à 25 ou 30 ans. Or, nous avions l’impression que beaucoup d’entraîneurs belges vivaient un peu trop sur leur acquis. Nous avons fait la connaissance de Trond Sollied à l’occasion d’une finale de Coupe de Norvège à laquelle nous avons assisté, Ivan De Witte et moi, en 1997. Nous en avons ramené le milieu de terrain Petter Rudi, et deux mois plus tard, nous avons invité Trond Sollied à Gand. Là, nous avons eu l’occasion de discuter plus longuement ensemble et son discours nous a convaincus. Il n’avait que 38 ans, mais a développé des idées intéressantes. Deux ans plus tard, en 1999, nous nous sommes souvenus de lui et nous lui avons confié les rênes de Gand. Nous n’avons pas été déçus. Méthodologiquement, il est capable de mettre son système en place très rapidement. Après un mois d’entraînement, l’équipe jouait comme il l’avait souhaité. C’était étonnant. Nous avions vendu pratiquement tous les joueurs (Marc Degryse, Stijn Vreven, Pieter Collen, etc.) afin de diminuer la dette et tous les pronostics nous condamnaient à la relégation, mais après quelques semaines de préparation, nous avons battu Willem II 6-1 en match amical et nous avons terminé troisièmes du championnat.

Ses entraînements étaient élaborés en fonction des phases de match. Sur le terrain, les joueurs reconnaissaient les mouvements et finissaient à la longue par les exécuter instinctivement. Trond Sollied a malheureusement quitté Gand trop tôt, attiré par l’appel des sirènes brugeoises. Pour le remplacer, nous nous sommes tournés vers l’école française. On vantait tellement, à l’époque, les centres de formation des champions du monde et d’Europe, que nous avons pensé qu’un technicien d’outre-Quiévrain pourrait nous apporter quelque chose. C’est ainsi que Patrick Remy est arrivé. A l’époque, il avait à peine quitté Sedan, une équipe avec laquelle il avait terminé septième, et était venu observer pendant une semaine les entraînements de… Trond Sollied à Bruges. Un agent m’a signalé sa présence. Cela aussi m’a frappé : les bons entraîneurs, avides de progresser, vont observer leurs collègues. Patrick Remy était très méticuleux dans sa préparation et faisait jouer l’équipe dans un 4-4-2 avec deux demis récupérateurs, alors que Trond Sollied jurait par le 4-3-3. Beaucoup considéraient Patrick Remy comme trop défensif. Effectivement, il s’appuyait sur une bonne défense et demandait une reconversion offensive en sept ou huit secondes.

Après Rosenborg et la France, nous nous sommes tournés vers l’école ajacide. Jan Olde Riekerink a appliqué la saison dernière un 4-3-3, version Ajax, différente de celle de Trond Sollied. Des trois entraîneurs étrangers, c’est sans doute celui qui a mis le plus de temps à s’adapter au football belge. Il venait d’un football où on laissait davantage de liberté d’action et où le jeu était axé sur la possession du ballon. Cette saison, il a mis un peu d’eau dans son vin et, tout en conservant la touche technique, a pris les mesures nécessaires pour que l’équipe encaisse moins facilement des buts. Je n’ai jamais vu un entraîneur capable d’améliorer autant les joueurs sur le plan technique que Jan Olde Riekerink.

Toutes les idées différentes qu’ont apporté ces trois entraîneurs étrangers ont fait énormément de bien au club. Pour être honnête, je dois cependant avouer que la mentalité des entraîneurs belges est en train de changer. La réussite de certains jeunes coaches, qui n’ont pas nécessairement été des joueurs de haut niveau mais ont suivi les cours de la licence professionnelle et ont peut-être plus d’aptitudes dans le domaine pédagogique.

Effectif à nouveau chamboulé

Cette saison, vous avez à nouveau modifié très profondément votre effectif…

Effectivement, 19 joueurs sont partis au cours des dix derniers mois. Le président et moi, n’avons pas peur de chambouler l’effectif. Nous l’avons fait à plusieurs reprises. A la fin des années 90, c’était surtout pour apurer les dettes. Aujourd’hui, c’est davantage pour insuffler une nouvelle motivation. Les décisions sont prises en concertation avec Herman Vermeulen (qui est au club depuis sept ans et est davantage qu’un entraîneur adjoint), Gilbert De Groote le chef de la cellule scouting et, bien sûr, l’entraîneur principal. Mais l’avis de ce dernier n’est pas prédominant : nous suivons d’abord la philosophie du club avant celle d’un homme qui n’est là que pour quelques années. Ensemble, nous faisons régulièrement des évaluations tout au long de la saison, et vers mars-avril, nous élaborons un plan. A partir de là, j’attaque : je contacte les agents, je cherche par moi-même. Cette année, par exemple, nous avions décidé de vendre Alexandros Kaklamanos et de le remplacer par deux joueurs. Après trois années à Gand, l’attaquant grec avait besoin de changer d’air. Je suis sûr que, motivé par un nouveau défi, il disputera une très bonne saison avec le Standard, meilleure que s’il était resté à Gand où il estimait probablement avoir fait le tour du propriétaire.

Pour le remplacer, Zezeto était notre premier choix. Nous sommes parvenus à l’engager. Pour le soutenir, nous cherchions un autre joueur qui répondait à un certain profil, mais sans avoir défini de nom. Nous avons finalement mis la main sur Miljan Mrdakovic, qui a joué de 16 à 20 ans à Anderlecht avant de retourner en Yougoslavie, où il a inscrit la saison dernière 20 buts en 27 matches pour le compte de l’OFK Belgrade : de très belles statistiques.

Malgré les ventes massives de joueurs, vous avez figuré régulièrement parmi les bonnes équipes du championnat…

Notre ambition est de terminer parmi les cinq ou six premiers. Et, si l’on fait le bilan des cinq dernières années, nous sommes quatrièmes. Nous sommes fiers, avec notre budget inférieur à celui d’Anderlecht, de Bruges, de Genk et du Standard, d’être aussi bien classés. C’est important au niveau de la répartition des droits de télévision, car trois paramètres interviennent : le classement de la saison écoulée, le classement moyen établi sur les cinq dernières années et le nombre de matches retransmis en direct.

Gand fait partie du G5 : le seul  » intrus « , si l’on peut dire, par rapport aux quatre  » grands  » traditionnels ?

Oui, si l’on veut, mais au vu des résultats et des possibilités économiques, j’estime que nous avons notre place dans ce cercle restreint : Gand est une grande ville de 250.000 habitants et le nouveau stade, qui devrait être prêt pour la saison 2006-2007, nous offrira encore davantage de possibilités. Il jouira d’une situation exceptionnelle, au carrefour des autoroutes E17 et E40, et comportera 20.000 places assises, 2.000 places de parking, des commerces et un hôtel. Après avoir assaini le club, notre objectif est désormais d’augmenter progressivement le budget, d’année en année, afin de nous rapprocher, si pas d’Anderlecht, au moins de Bruges, de Genk et du Standard.

Votre ambition sera donc de viser le titre dans un avenir plus ou moins rapproché ?

Obligatoirement, oui.

Daniel Devos

 » Sollied, Remy et Olde Riekerink ont apporté énormément d’idées neuves  »

 » Comment des footballeurs, qui ont fait de leur hobby un métier, peuvent-ils manquer de motivation ? »

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