» De club régal, Anderlecht est devenu club banal « 

L’aîné des brothers pose un regard éclairé sur l’actualité du foot et une carrière qui n’a pas arrêté de changer d’orientations.

Joueur, il s’était juré de ne plus se retremper dans le monde du ballon rond sitôt sa carrière active terminée. Mais la vie en a décidé autrement. Déclaré inapte au football de haut niveau suite à une blessure au dos encourue lors d’un contact avec Naïm Aarab à Larissa, en Grèce, le 13 juillet 2008, Mbo Mpenza, âgé de 31 ans à peine à l’époque, n’avait pas eu le temps de préparer sa reconversion. Aussi, l’aîné des frérots accepta-t-il dans un premier temps la main tendue d’Anderlecht, son dernier club en Belgique, pour y renforcer le département de scouting avant de bifurquer vers l’entraînement des jeunes à Neerpede.

C’était toutefois compter sans cette fichue pseudo radiculopathie (soudure de la dernière vertèbre lombaire) qui l’obligea à délaisser définitivement les terrains. Avant d’être une fois encore rattrapé par le sport-roi, en qualité de consultant pour RTL. Comme lors du récent Belgique-Turquie.

Qu’as-tu retenu de ce match ?

Mbo Mpenza : Comme d’habitude, il nous a manqué un rien pour que notre bonheur soit complet. Ce coup-ci, c’était le sang-froid au moment du penalty. Auparavant, face à l’Autriche, on avait payé cash une erreur de placement de Dedryck Boyata en fin de partie. C’est le prix de l’apprentissage pour la jeune génération actuelle. Elle finira bien par y remédier un jour. Par contre, d’autres lacunes seront sans doute plus dures à gommer. Je songe à la pénurie au back. Jusqu’ici, personne n’a réussi à y faire l’unanimité, tant à droite qu’à gauche. Or, l’arrière latéral est un poste-clé dans le football moderne. Si le FC Barcelone a submergé Manchester United en finale de la Ligue des Champions, c’est aussi parce qu’il n’y avait pas photo entre Dani Alves et Eric Abidal d’un côté et Fabio et Patrice Evra de l’autre. Grâce à l’apport de ses deux latéraux, le Barça a davantage évolué en 2-5-3 qu’en 4-3-3. Les Anglais, eux, en sont restés à leur 4-4-1-1 tout au long du match. Vu la différence de poids offensif, ils ne pouvaient gagner dans ces conditions.

Le Barça, c’est le nec plus ultra ?

Cette équipe-ci est plus forte, en tout cas, que sa devancière des années 90. Et la finale de cette année était autrement plus belle aussi que celle contre la Sampdoria autrefois. Question de style, sans doute. Les matches entre des équipes espagnoles et anglaises sont quasi toujours des morceaux d’anthologie. Il suffit de se rappeler cette finale de Coupe de l’UEFA complètement dingue entre Liverpool et Alavès qui s’était soldée par 5 buts à 4 en 2001. Ou encore ces batailles épiques entre Manchester United et le Deportivo La Corogne, quelques années plus tard, en Ligue des Champions. C’est toujours la fête quand deux équipes veulent aller résolument de l’avant sur le terrain. Et cette volonté-là est inscrite dans les gènes des représentants de ces deux pays. Même si les contrastes peuvent être beaux également. Comme la saison passée entre le Barça et son vainqueur, l’Inter Milan. Le charme du football réside dans sa diversité.

En Europa League, ce n’était pas le cas, avec trois équipes portugaises en demi-finales ?

Du coup, certains soutiennent que notre pays, avec ses onze millions d’habitants, devrait pouvoir s’inspirer du Portugal, qui compte un chiffre de population plus ou moins identique… Mais comparaison n’est pas raison. Pour avoir joué moi-même au Sporting Lisbonne, je suis bien placé pour dire que le taux d’imposition n’y est pas le même qu’ici. En Belgique, il est de 56 % pour les gros revenus. Là-bas, les footballeurs sont taxés à hauteur de 12 à 15 %. Braga, avec son budget de 17 millions d’euros, peut donc se permettre davantage que les clubs de tête chez nous, qui tournent avec 25 ou 40 millions annuellement. Plus que les moyens financiers, c’est le style de toutes ces formations qui doit interpeller. Elles proposent un véritable système. En Belgique, il n’y a qu’à Genk que je retrouve un véritable fil conducteur. Le Racing a à la fois une manière pour défendre et une autre pour attaquer. Ailleurs, les contours sont beaucoup plus flous.

 » Anderlecht a mal travaillé à tous les niveaux cette saison « 

Genk a mérité d’être champion dès lors ?

J’aurais aimé que le Standard l’emporte pour prouver la stupidité des play-offs. C’eût quand même été un comble qu’une équipe distancée de 16 points du premier au terme de la phase classique l’emporte sur le fil ? Il n’y a que chez nous qu’on peut imaginer ça ! Je ne suis pas contre la formule en vigueur mais j’estime que les points ne doivent pas être rabotés de moitié. On dira que dans ce cas de figure, le championnat se serait résumé à une lutte entre Anderlecht et Genk, séparés par un point à peine au bout de 30 matches. Eh bien, tant pis pour les autres ! Ils n’avaient qu’à faire preuve d’une plus grande régularité au cours de la première partie de la compétition. Etre couronné sur base de dix matches, c’est une hérésie. Genk mérite donc amplement son sacre.

Anderlecht troisième, ça t’inspire quoi ?

Le Sporting a toujours été premier ou deuxième ces dernières années. C’est logique pour le club qui dispose du plus gros budget de la D1. S’il est troisième, c’est qu’il a mal travaillé à tous les niveaux. Et je pense qu’il y a à redire concernant ses différentes composantes, avec des joueurs qui n’ont pas toujours été à la hauteur, un entraîneur qui n’a pas su doter l’équipe d’un fonds de jeu digne de ce nom, et des dirigeants qui n’ont pas mesuré suffisamment l’impact de quelques départs. Jelle Van Damme et Jan Polak, ce n’était déjà pas rien. Mais que dire alors du transfert de Mbark Boussoufa ? C’était 50 % de la pénétration offensive des Mauves, buts et assists confondus. Comment peut-on se priver de pareil apport au moment d’aborder la dernière ligne droite ? C’est incompréhensible. Mine de rien, Anderlecht rentre petit à petit dans le rang. Il perd un peu plus de sa valeur chaque année. De club régal, il est en passe de devenir un club tout à fait banal. Savez-vous que je suis le dernier joueur à avoir inscrit un but en déplacement pour Anderlecht en phase des poules de la Ligue des Champions ? C’était le 21 novembre 2006 à Lens, contre Lille. Nous avions fait 2-2 ce soir-là, et j’avais paraphé les deux buts. Cinq ans, c’est une éternité pour un club de cette dimension. Et je ne m’attends pas à une embellie : quand on vend ces trois joueurs pour un total de 14 millions et qu’on les remplace par des gars qui coûtent dix fois moins, on s’affaiblit. C’est une réalité mathématique. Et le meilleur scout au monde n’y changera rien.

A ce propos, tu as fait partie à un moment de la cellule de prospection et de recrutement. Quel était son mode de fonctionnement ?

L’Europe était répartie en quatre régions géographiques et je m’occupais de la France, du Portugal et de la Hollande. Chaque semaine, j’étais à pied d’£uvre dans un de ces pays. J’y visionnais un ou plusieurs matches avant d’établir un rapport détaillé sur l’un ou l’autre joueur qui m’avait plu. Bien sûr, il fallait tenir compte de plusieurs paramètres. Financièrement, le coup devait être jouable. Inutile de revenir au Parc Astrid avec une suggestion comme le Marseillais Mamadou Niang, par exemple. Je ne suis pas resté longtemps en place car sauter sans cesse d’un moyen de transport dans un autre me faisait finalement plus souffrir que sur le terrain. Au total, j’ai dû visionner une petite douzaine de matches. J’ai préconisé un nom : le flanc gauche Alexandre Cuvillier de l’US Boulogne. Mais le dossier est resté sans suite. Aujourd’hui, il est actif à l’AS Nancy.

 » A la place de Charly Musonda, je mettrais Junior à Arsenal « 

Du scouting, tu es alors passé à l’entraînement des jeunes ?

J’ai été associé à Ludo Kums, le père de Sven, chez les U13. Il était le T1 et moi le T2. L’aventure fut hélas de courte durée : après quinze jours, j’ai dû renoncer à cause de mon dos. Durant ce court laps de temps, j’aurai quand même vu à l’£uvre un futur crack du football belge : Junior, le fils de Charly Musonda. Ce gars-là, c’est un ravissement pour l’£il. Mettez-lui deux têtes et 20 kilos de plus et il est bon pour le service en Première au Sporting. Il est trois fois plus fort que son père, ce qui n’est pas peu dire.

Junior est d’ores et déjà courtisé par Arsenal, entre autres. A la place de Charly, que ferais-tu ?

Charly a l’avantage d’avoir été un ancien joueur lui-même. Idem d’ailleurs pour Roger Lukaku. Ils savent mieux faire la part des choses que des parents qui ne connaissent pas le milieu et qui sont souvent aveuglés par l’argent. Personnellement, si j’étais confronté à cette situation, je pense que j’opterais pour la grande aventure. Mais peut-être est-ce lié à mon propre parcours puisque j’ai tout de même pas mal voyagé ? Si mon enfant est le meilleur de sa catégorie en Belgique, pourquoi ne pas le placer dans un encadrement où il aura l’occasion d’enrichir son bagage ? En réalité, ce qui se passe au plus haut échelon pour des gars qui n’ont plus rien à apprendre ou à prouver en Belgique, style Axel Witsel ou Steven Defour, est d’application aussi à la jeune classe. Pour continuer à progresser il faut parfois changer d’environnement. Les uns passent de Genk ou du Standard à Anderlecht. Pourquoi d’autres ne pourraient-ils pas quitter le Sporting à destination d’un club étranger ?

Emile et toi avez eu tous deux la bougeotte durant votre carrière. Qu’est-ce qui a motivé ces choix ?

A la maison, on ne roulait pas sur l’or. Au départ, mon père ne voulait d’ailleurs pas qu’Emile et moi jouions au football. Il était venu en Belgique pour terminer ses études de médecine et il entendait que ses fils marchent sur ses traces. Mon frère cadet et moi avons en fait profité d’une éclipse de notre paternel au Zaïre pour nous affilier à Mesvin. A son retour d’Afrique, il était mis devant le fait accompli ( il rit). Le football, c’était tout pour Emile et moi. On n’avait jamais l’occasion de partir en vacances car la santé de notre frère aîné ne le permettait pas. Si on s’est rattrapé par la suite, c’est peut-être par compensation pour ces années où on n’a pas bougé.

Avoir un frère handicapé, c’est dur dans une famille comptant deux footballeurs de haut niveau ?

Pour nous, le héros c’est lui, bien plus que nous. Depuis son plus jeune âge, il a des crises de rhumatisme aigües. Les médecins ont toujours dit que son état ne lui permettrait jamais d’avoir d’enfants. Il en a deux : un garçon et une fille. La plus belle victoire, ce n’est pas Emile ou moi qui l’avons obtenue mais lui.

 » C’est la presse et le monde extérieur qui ont créé une différence entre Emile et moi « 

Emile et toi, c’est un fameux contraste aussi ?

Détrompez-vous, on se ressemble très fort. C’est la presse et le monde extérieur qui ont créé une différence entre nous. Emile et moi avons toujours apprécié les grosses cylindrées par exemple. Mais contrairement à lui, qui a accumulé les accidents spectaculaires, je n’ai jamais fait la moindre sortie de route. Il n’en aura pas fallu davantage pour qu’on colle à l’un l’image d’un fou du volant et à l’autre celle d’un conducteur pépère. Alors que j’aime la conduite sportive aussi.

Vous êtes fréquemment en contact ?

C’est toujours tout ou rien. Il arrive qu’on s’appelle journellement et parfois trois mois s’écoulent avant qu’on prenne des nouvelles l’un de l’autre. Mais ça s’est toujours passé comme ça. Même avant son départ à Bakou.

Tu es déjà allé le saluer sur place ?

Oui, il y a deux mois. Au départ, j’avais mes appréhensions pour lui. A l’analyse, il vit plutôt bien là-bas. Et, ce qui ne gâte rien, il est payé rubis sur l’ongle.

Dans ta famille, on connaissait la valeur d’un euro. Quid lorsqu’on en perd 340.000, comme toi avec Capitalium Invest ?

Qu’il s’agisse de cette somme-là ou d’une autre, j’ai été grugé et ça fait mal. Je ne suis pas le seul : des avocats et des notaires ont été piégés aussi. Les fonds de placements avaient été bien maquillés et on est tombé dans le panneau. Je n’avais pas besoin de cet argent pour vivre. Et tout n’est pas perdu non plus puisque j’espère toujours récupérer ma mise. Mais c’est un regret, c’est sûr.

Il y en a d’autres ?

Je me demande parfois ce qui serait arrivé si, au lieu d’aboutir à Larissa, j’avais pris le chemin de Panthrakikos où Emilio Ferrera était en poste en 2008. Dans un premier temps, j’avais retenu cette option-là avant de privilégier l’autre. Panthrakikos était un nouveau venu parmi l’élite alors que Larissa en était un habitué. Qui sait, les malheurs ne se seraient peut-être pas abattus sur moi ? Dans ce cas, je jouerais sans doute toujours. Soit, une charge anodine en a décidé autrement.

Contrairement à Emile, qui est né en Belgique, tu as vu le jour à Kinshasa. Portes-tu un autre regard sur le Congo que lui ?

Après le décès de notre maman, il avait voulu se rendre sur place afin de saluer la famille restée là-bas. Mais le projet a été différé. Moi-même, je compte m’y rendre mais la date n’est pas encore fixée. En principe, je devrais faire d’une pierre deux coups et étudier les possibilités de m’investir dans le football kinois. Roger Lukaku possède une équipe en D1, le FC Rojolu, abréviation de Romelu et Jordan Lukaku. Son intention est de créer un centre de formation avec une possibilité de passerelle vers Anderlecht ou un autre club. Si je peux y apporter ma contribution, pourquoi pas ?

L’avenir, ce sera toujours le football ?

C’est marrant mais je m’étais dit que je ne m’accrocherais pas sitôt ma carrière active terminée. Je n’ai jamais été de ceux qui bouffent du foot du matin au soir. Par rapport à d’autres, qui vivaient ça au quotidien, j’ai toujours eu la chance d’avoir une épouse qui détestait le football. Pas question, dans ces conditions, de rentrer à la maison et de raconter ma journée ( il rit). Le football, je m’y suis recollé par hasard. Durant ma convalescence, j’ai été contacté par BeTV pour un rôle de consultant en Ligue des Champions. J’avais le pied dans l’engrenage et je n’en suis plus sorti : d’abord la télé, puis la radio avec le Club Mbo. Tout n’a peut-être pas été parfait au cours de la première saison. Mais une chose est sûre : je me suis régalé et c’est l’essentiel. La vie que je mène me plaît beaucoup. Et je ne suis pas fâché, en définitive, que le foot en fasse toujours partie.

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » J’ai toujours eu la chance d’avoir une épouse qui détestait le football. « 

 » J’aurais aimé que le Standard soit champion pour prouver le ridicule du système des play-offs en vigueur chez nous. « 

 » Je suis le dernier joueur à avoir inscrit un but en déplacement pour Anderlecht en phase des poules de la Ligue des Champions : le 21 novembre 2006 ! « 

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