DE BUT EN BLANC

Pierre Bilic

L’adjoint des Loups Frédéric Tilmant passe en revue la mordante division offensive des Loups.

F rédéric Tilmant est attaché à sa terre tel un moujik s’acharnant sur sa glaise dans l’espoir d’obtenir de belles récoltes. Les champs de ce fidèle lieutenant ne s’étirent pas jusqu’à l’horizon. Ils se limitent aux contours du Centre et cela suffit amplement à son bonheur, à la tranquillité de sa famille.

Son visage s’éclaire de fierté quand il parle des siens, de sa femme, Nancy, qui a repris avec bonheur des études qui lui permettront de devenir infirmière. Depuis l’arrivée du Docteur Bodart, les Loups n’ont plus la fièvre. Leur attaque a retrouvé ses couleurs. Ce ne fut pas évident car ce secteur a subi de profondes transformations par rapport à l’ère d’ Ariel Jacobs ou à l’époque d’ Albert Cartier. Les hommes ne sont plus les mêmes et le style a changé, que ce soit avec Emilio Ferrera ou désormais sous la gouverne de Gilbert Bodart. Ils ont marqué six buts à l’occasion de leurs trois dernières rencontres (14 réalisations seulement depuis le début de la saison) mais devront confirmer la courbe de ces progrès.

 » Nous savions que ce ne serait pas facile « , souligne Tilmant, l’ancien numéro 11 des Louviérois.  » Le changement était radical. Mais les choix des hommes ont été bons. La mise en place du secteur offensif était une question de temps. Tout fut plus facile dès que Nordin Jbari trouva ses marques. A La Louvière, il faut s’imprégner d’un état d’esprit très typique, presque d’un microclimat footballistique. C’est spécial, c’est unique en D1, c’est une richesse. Tout se fait en famille et cela tranche par rapport à l’ambiance beaucoup plus froide qui règne dans les autres clubs. Quand on a compris cela, on a déjà fait un pas dans la bonne direction. Nous ne sommes pas les plus nombreux et les plus riches, mais cette chaleur régionale est réconfortante. J’en avais besoin en tant qu’attaquant. En D3, on disait déjà que ce serait très difficile pour moi un étage plus haut. Mais, au bout du compte, je me suis bien débrouillé en D1. Je n’étais pas le plus fort mais j’avais la rage. Je n’ai jamais baissé les bras car je me sentais investi de la confiance des gens. A ce niveau, la volonté est plus importante que le talent. C’est ce que j’explique sans cesse à nos attaquants « .

 » Revoir le Jbari de Bruges, celui qui est devenu Diable Rouge  »

Avec ses dix clubs sur une carte de visite aussi longue qu’un match sans but, Nordin Jbari (30 ans, 2 buts) est l’amiral de la flotte offensive verte. Ses débuts près de la louve ne furent pas terribles. Il donna parfois l’impression d’avoir enfilé des charentaises de pensionné calé près de la cheminée.  » Je ne partage pas votre avis « , dit Frédéric Tilmant.  » Nordin n’est pas cramé. Jamais de la vie. C’est tout sauf un joueur usé, au bout du rouleau. Il avait trois ou quatre kilos excédentaires en débarquant au Tivoli. Pour un footballeur professionnel, et surtout un attaquant de pointe, c’est beaucoup. A cette place, tout se joue sur un centimètre, une fraction de seconde et un kilo peut faire la différence. Ce problème devait être résolu pour le bien du groupe qui avait besoin de sa présence, de son vécu, de ses atouts. Pour un club comme le nôtre, la venue d’un joueur de cet acabit doit être une réussite. Je lui ai souvent dit : -Je veux revoir le Nordin de Bruges, celui qui est devenu Diable Rouge. Il a souri. J’avais placé la barre à 150 % pour qu’il retrouve 100 % de son potentiel. Actuellement, il est à 80 %. Je suis là pour l’aider, lui parler, le soutenir. Et il a envie d’avancer, de tout donner et de travailler après les entraînements. Nordin est bien dans sa tête. Il sait que tout le monde le soutient ici. Un joueur qui a le moral se dépasse. Nordin est la pierre angulaire de l’attaque des Loups. Tout a changé. Ariel Jacobs avait son système à lui. A l’époque, la récupération était assez dense sur le terrain. Puis, la reconversion était ultra rapide avec des attaquants comme Peter Odemwingie et Mickaël Murcy. On ne traînait pas en cours de route. Par la suite, Manasseh Ishiaku a apporté sa taille, sa puissance, son poids. Moi, j’étais le joker, celui qui pouvait requinquer l’attaque, servir d’ouvre-boîte. Albert Cartier a posé son équipe plus profondément dans le jeu qu’Ariel Jacobs. Nos attaquants mettaient la pression sur les arrières adverses. Odemwingie nous a quittès rapidement pour Lille et, en hiver, il a été suivi par Ishiaku, transféré à Bruges, et Mickaël Murcy est parti au Danemark. La Louvière a trouvé une solution offensive avec Wagneau Eloi. Il y avait aussi Rafik Djebbour et MatthieuMatton sur lesquels nous ne comptions pas pour cette saison. Une page était tournée et il fallait repartir à zéro « .

Emilio Ferrera fit le forcing auprès du président Filippo Gaone afin qu’il embauche l’ancien attaquant de Gand.  » La Louvière avait besoin de Nordin comme de pain « , continue Tilmant.  » Le groupe était trop brave sur le terrain. Nordin est un emmerdeur pour les défenses adverses. Il sait garder la balle, attend le soutien, sert ses équipiers et a un bon timing dans le trafic aérien. Pourtant, à son âge, il maîtrise encore très mal ses émotions. Comme Fadel Brahami, il perd un influx fou en contestant les décisions des arbitres comme ce fut le cas contre Beveren. Nordin hypothèque son potentiel et handicape le groupe pour des bêtises. S’il gardait la maîtrise de ses émotions, il marquerait un but à chaque match. L’intention n’est pas de brimer sa personnalité mais de la canaliser positivement. C’est mieux pour lui et pour tout le monde. Après cinq ou six matches de championnat, j’ai senti qu’il était dans le bon. Il ne manquait plus qu’une première victoire. Elle est arrivée en même temps que Bodart. Les joueurs expérimentés comme Jbari, Olivier Guilmot, Alexandre Teklak ou Fadel Brahami attendaient que les jeunes affirment leurs ambitions. La victoire contre le Lierse a recadré nos potentialités : cela a fait du bien à tout le monde « .

 » Sanchez ressemble trop à Jbari pour jouer avec lui  »

Encore fallait-il que Nordin trouve un partenaire afin de faire sauter le coffre des équipes adverses. Sergio Sanchez (32 ans, 2 buts) était l’homme indiqué pour assister Nordin Jbari dans ces missions délicates. Mais le gaucho argentin se révéla assez fragile mentalement après une très belle campagne de préparation.

Tilmant :  » Sergio est un très bon joueur de football. Mais il a dû se resituer en Belgique. Sa femme et leur enfant sont en Argentine pour le moment. C’est très dur pour lui. Jaroslaw Mazurkiewicz avait le même problème, mais quand il a pu faire venir les siens en Belgique, on a découvert un autre homme. Sergio Sanchez n’a pas le moral dans les chaussures mais la tête n’y est certainement pas à 100 %. C’est un buteur, un homme qui réagit au quart de tour. Son territoire à lui, c’est le grand rectangle. Il se trouve toujours là où cela chauffe. Ce fut le cas contre Gand. Il a exploité une mauvaise passe en retrait pour marquer. Sergio a aussi frappé contre le Standard. C’était bien mais nous avons constaté petit à petit que Sergio détenait plus ou moins les mêmes qualités que Nordin. Ce sont deux hommes très intelligents. Ils ne se marchent pas sur les pieds mais ne sont pas spécialement complémentaires. Nordin a besoin d’un compère qui cherche des espaces, qui s’exprime surtout dans la profondeur comme Odemwingie ou Ishiaku. De plus, Sergio n’a pas eu de chance. Il a été suspendu au moment où l’équipe se mettait en place. Je suis persuadé que cet attaquant doté d’une personnalité très positive rendra quand même des services au groupe cette saison. J’aime bien sa mentalité. Il sent bien les coups, cadre avec une frappe précise et puissante, se débrouille bien de la tête, a une excellente technique. Avec lui, il faut patienter et je suis là pour l’aider « .

 » Stojkov va vite et protège bien son ballon  »

Pour résoudre le problème de la profondeur, La Louvière a déniché l’attaquant international macédonien Aco Stojkov. Ce joueur de 177 cm (22 ans, 3 buts) est originaire de Belasica, entre la capitale de son pays, Skopje, et la frontière bulgare. A 18 ans, il réussissait un grand tournoi de Viareggio et était engagé sur-le-champ par l’Inter Milan qui le prêta ensuite à gauche et à droite : La Spezia, Gornik Zabrze, Castel del Sangro, Fidelis Andria. A La Louvière, il est chargé de foncer dans les espaces, de créer la surprise comme il le fit avant de se blesser à Saint-Trond.

Tilmant :  » Quand un joueur débarque ainsi en cours de saison, tout doit aller vite. Personne n’a de temps à perdre. La Louvière a dû se faire très rapidement une idée de ses potentialités. Aco Stojkov n’est pas un buteur. Mais il est aussi rapide qu’Odemwingie qui ne marquait pas facilement non plus. Il a besoin de cinq occasions pour mettre un ballon dans les filets. Aco est de nature assez individualiste. C’est d’abord un soliste et lui aussi a besoin de temps pour décortiquer le jeu de l’équipe. Il est rapide, a du talent et est surtout doté d’une couverture de balle exceptionnelle. Quand il se lance dans un raid, cela va très vite. Stojkov était en pleine affirmation avant sa blessure à Saint-Trond. Il s’est vite fondu dans le vestiaire mais je ne le cerne pas encore parfaitement. Il y a le problème de la langue mais cela devrait s’arranger assez vite « .

 » Potier recherche directement le sprint  »

Après avoir observé les Espoirs lors d’un match contre les A, Tilmant retint deux jeunes pour le voyage à Roulers : l’arrière Geraldo Sprio et l’attaquant Alexandre Potier qui joua le dernier quart d’heure en Flandre. Mais c’est une semaine plus tard, face au Lierse, que le petit Potier éclata, marqua le but du succès avant de remettre le couvert à Saint-Trond.

 » Tout cela s’est passé alors que l’équipe vivait son déclic avec l’arrivée de Gilbert « , dit Frédéric Tilmant.  » Tout s’est emballé. Potier est chaque fois monté au jeu sans se poser de questions. Il a déjà marqué deux fois. Il joue, ne se soucie de rien, profite amplement de son bonheur. Il n’a peur de rien, presse les défenseurs. Sa pointe de vitesse est redoutable. Il ne chipote pas. Quand Potier a le ballon, il ne cherche pas le dribble d’homme à homme ou l’exploit technique mais préfère se lancer tout de suite dans un sprint. La profondeur, il connaît. Les grands gabarits ont de la peine à se retourner et il en profite avec ses petites jambes. A Saint-Trond, il s’est évadé mais a gardé son calme avant de bien ouvrir son pied et de marquer. Là, je me suis dit qu’il avait vraiment quelque chose. Mais on ne lui demande rien de spécial. Gilbert ne veut pas lui bourrer la tête. Il lui demande de jouer, c’est tout. Alexandre est en humanités et c’est une priorité. Le gamin s’entraîne très peu avec nous si ce n’est quand il a congé à l’école. Non, ce n’est pas un problème. On ne lui demande pas d’apporter plus que ce qu’il peut nous offrir pour le moment. Alexandre, c’est vrai, c’est beau, c’est régional, c’est le plus beau du football. Il vit des moments magiques. Ce n’est que du bonheur et le reste viendra plus tard « .

Pierre Bilic

 » alexandre potier, c’est vrai, c’est beau, c’est rÉgional, c’est le plus beau du football « 

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