DE BUT EN BANC

En 2015, Memphis Depay (21) a été à la fois champion, meilleur buteur et transfert le plus cher de l’histoire du PSV. Par contre, tant à Manchester United qu’en équipe nationale, il a toujours des problèmes d’image.

Il est déjà tard à De Verlenging, la brasserie du PSV, où joueurs et collaborateurs fêtent le 22e titre de l’histoire du club. On chante, on boit, on danse à ce succès que le club attendait depuis sept ans. Alors que le DJ augmente le volume, Marcel Brands, le directeur technique du club, pose sa main sur l’épaule de Memphis Depay :  » Tu nous fais un rap ?  » Depay le regarde étonné :  » Je peux ?  »

Pour comprendre cette anecdote, il faut remonter à l’époque où, à peine installé dans le fauteuil de directeur technique, Brands parcourait les équipes d’âge pour y dénicher du talent. L’un d’entre eux l’avait tout de suite marqué :  » Un type un peu rebelle, difficile à vivre mais plein de talent. Ce n’est qu’à 16 ans que j’ai véritablement découvert Memphis, lorsqu’il a signé son premier contrat. J’aime la mode et j’ai été frappé par la façon dont il était habillé. Il ne me semblait plus si difficile, plutôt impatient.

Dries Mertens se débrouillait bien mais Memphis se disait meilleur que lui. Il a fallu le freiner. D’autant qu’il faisait trop de choses sur le côté : il allait faire du rap à Rotterdam avec un groupe de hip hop et on retrouvait des vidéos sur internet. Fred Rutten l’a appelé et lui a expliqué que ça pouvait se retourner contre lui. Comme il est intelligent, il ne l’a plus fait. Jusqu’à cette fête du titre.  »

Ce soir-là, Memphis se laisse aller. Ce titre, c’est le sien. Il en a jeté les bases au printemps 2014, avant même la Coupe du monde. Marcel Brands, sachant qu’il serait difficile de le garder s’il brillait au Brésil (ce qui fut le cas avec une 3e place et deux buts à son actif) avait un plan.

 » Nous lui avons fait comprendre qu’il pourrait mener le PSV au titre. Soudain, c’était devenu sa mission. Après, il pourrait partir avec le sentiment du devoir accompli. Il m’a dit qu’il serait champion et meilleur buteur. Sur ce dernier point, j’avais des doutes car c’est un ailier. Mais Memphis était sûr de lui, au point de faire inclure une prime à son contrat si c’était le cas. Nous n’avons pas voulu, de peur qu’il ne joue que pour lui. Mais il a quand même été meilleur buteur et, surtout, il a compris que c’était grâce aux autres.  »

Trois semaines après le titre, Depay quitte le PSV. Fin du chapitre pour ce gamin venu du Sparta Rotterdam à l’âge de 12 ans, qui ne voyait pas son père et était maltraité par son beau-père, ce qui avait développé chez lui une aversion pour l’autorité.

NUMÉRO 7

Le transfert sortant de l’histoire du PSV est aussi un des plus faciles. Le PSV a déjà un accord avec le PSG lorsque Manchester United débarque avec 34 millions… qui peuvent devenir 43 millions avec les bonus. Le club anglais accepte même de discuter d’un pourcentage à la revente. En 2001, Ruud van Nistelrooy était parti pour 30 millions.

United présente Depay comme son plus gros transfert de l’été.  » Un des joueurs les plus talentueux de sa génération « , dit Louis van Gaal. Depay est tout aussi optimiste.  » Je suis venu pour être champion et marquer des buts. C’est un rêve qui se réalise : je vais porter le maillot du plus grand club au monde.  »

Pour le PSV, ce transfert doit constituer un exemple pour les jeunes. Le jeune attaquant n’était peut-être pas le plus facile à gérer mais il a su faire preuve de professionnalisme.  » Il fallait l’obliger à sortir du terrain « , dit Brands.  » Il vivait pour son sport, il avait son propre diététicien et faisait du fitness. Au Sporting Lisbonne, il y a des portraits de Cristiano Ronaldo partout. Memphis doit devenir le modèle des jeunes du PSV.  »

A Manchester United, on attend beaucoup de Depay. Surtout lorsqu’on apprend qu’il portera le numéro 7, celui de George Best, Bryan Robson, Eric Cantona, David Beckham et Cristiano Ronaldo. D’autres ont échoué : Michael Owen, Antonio Valencia, Angel Di Maria…  » Pour moi, c’est un défi « , dit Depay.

Début octobre, l’équipe nationale hollandaise s’entraîne sur le terrain synthétique du Sparta afin de préparer le match au Kazakhstan, dernière chance de qualification pour l’Euro. Danny Blind a son onze de départ en tête et organise un petit match qui tourne court. Depay se libère de son adversaire et n’a plus qu’à servir Robin van Persie, seul devant le but, mais il donne à Jairo Riedewald, qui surgit de la deuxième ligne et tire au-dessus.

Van Persie est furieux. Ça discute sur le terrain et ça se prolonge jusqu’au souper. Selon les insiders, Van Persie demande à Depay s’il se croit le plus fort, ce à quoi celui-ci répond : -Est-ce que le plus fort joue à Fenerbahçe ? Blind doit intervenir et remet Van Persie à sa place.

Le meilleur buteur hollandais de tous les temps ne jouera pas son 100e match sous le maillot des Pays-Bas. Blind n’en veut plus. Depay se fait tancer aussi : il n’est pas sélectionné pour les matches amicaux face à l’Allemagne et au Pays de Galles. Il est blessé mais Blind reconnaît avoir hésité.

Finalement, il le rappelle :  » Il a assez de talent pour jouer en équipe nationale mais il faut qu’il accepte de vivre avec le groupe. Je lui ai expliqué que les grands joueurs étaient toujours critiqués et qu’il devait se faire une carapace. Quand on est bon, on peut se permettre certaines choses mais ces derniers temps, il n’était pas bon.  »

Hormis au Brésil, Depay n’a pas encore vraiment brillé sous le maillot de l’équipe nationale.  » Son attitude en Coupe du monde était exemplaire « , dit Kees Jansma, l’attaché de presse de l’époque.  » Sa réussite reposait sur trois piliers : 1) les résultats de l’équipe ; 2) Louis van Gaal ; 3) Wesley Sneijder, Arjen Robben et Robin van Persie. Ces trois-là montraient l’exemple et ne lui passaient rien.

Un jour, Memphis a voulu imiter les coups francs de Cristiano Ronaldo. Ils lui ont dit : -Travaille, Memphis, travaille ! Et ça l’a fait rire. Je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui mais j’ai l’impression qu’il est sous pression.  »

BANQUETTE

A Manchester United, Depay est directement titularisé. Au tour préliminaire de la Ligue des Champions, il inscrit deux buts et délivre un assist face au Club Bruges.  » J’ai envie de l’embrasser « , dit Van Gaal. Un mois et demi plus tard, il inscrit son premier but en championnat (1-0 contre Sunderland).

Son maillot est le plus vendu au monde après ceux de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi mais à l’approche de l’automne, son crédit s’épuise. Contre Liverpool, Van Gaal le retire au repos, furieux. Les tabloïds sont au taquet. The Sun affirme qu’il ne sera pas titulaire contre Everton et fait ses comptes : il est l’attaquant de Premier League qui perd le plus de ballons.

Il cite aussi une source anonyme qui affirme que le comportement de star de Depay commence à irriter beaucoup de monde à Old Trafford.  » Possible « , dit Marcel Brands.  » Mais il en a vu d’autres et il surmontera cette difficulté.  »

Fred Rutten, qui a beaucoup travaillé avec lui au PSV, a son avis sur la question.  » Ce qui se passe est logique. Memphis était une star aux Pays-Bas mais il faut du temps pour s’adapter à la Premier League où on joue l’équivalent d’un Ajax-PSV toutes les semaines.

Vous croyez qu’Eden Hazard s’est intégré facilement ? Au début, à Chelsea, il n’était pas le meilleur non plus. Memphis va y arriver. Laissez-lui le temps et, dans un an, à pareille époque, il sera peut-être un des meilleurs joueurs de Premier League.  »

Retour à Eindhoven où on fait à nouveau la fête : cette fois parce que le club s’est qualifié pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions au détriment de… Manchester United. Depay va devoir se contenter de l’Europa League.

Au PSV, personne ne comprend pourquoi Depay est critiqué à ce point. Co Adriaanse lui reproche de se présenter aux entraînements de l’équipe nationale  » habillé comme un Péruvien qui joue de la flûte de pan « . On accorde soudain beaucoup d’importance à son look.

 » Cela signifie que beaucoup de gens ne savent pas comment s’y prendre avec la génération actuelle « , dit Toon Gerbrands, directeur général du PSV.

Pour lui, ces jeunes recherchent l’authenticité.  » Ils veulent être uniques. Ils ont un grand sens de la loyauté et n’aiment pas les conflits. Pour être uniques, ils portent des chaussures colorées, des casquettes,… Si on prend le temps de s’intéresser à leurs tatouages, on part à leur découverte. Au PSV, tout ce qu’on leur demande, c’est de respecter les valeurs du noyau et les lois du sport de haut niveau. Pour tout le reste, c’est à nous de nous adapter.

Cette génération a le droit d’être elle-même. Aujourd’hui, elle s’exprime au football, parce qu’on y travaille avec des jeunes. Mais le monde de l’entreprise doit s’y préparer. Les patrons ne devront pas s’étonner qu’un jour un employé leur dise : Salut, je vais faire le tour du monde.  »

EN QUAD

Au PSV, on ne s’est donc pas étonné de voir Depay arriver à l’entraînement en quad, de le voir se promener partout avec son spécialiste en tatouages ou de se faire prendre en photos en vacances avec Paul Pogba et Romelu Lukaku.  » On juge trop souvent sur les apparences « , dit Gerbrands.

Ceux qui le connaissent savent que Depay ne donne pas une fausse image de lui-même.  » La saison dernière, au moment d’affronter Zulte Waregem, les costumes du club n’étaient pas prêts et chaque joueur était donc libre de s’habiller comme il l’entendait « , dit Brands.  » Memphis était tiré à quatre épingles. Je lui ai demandé s’il allait se marier. Il voulait juste montrer qu’il avait la classe. Il est unique à tout point de vue. Laissez-le faire et tout ira bien.  »

PAR MARTIJN KRABBENDAM PHOTOS BELGAIMAGE

 » Dries Mertens se débrouillait bien mais Memphis se prétendait meilleur que lui.  » MARCEL BRANDS, DIRECTEUR TECHNIQUE DU PSV

Dans un an, il sera peut-être un des meilleurs joueurs de Premier League.  » FRED RUTTEN, EX-ENTRAÎNEUR DU PSV

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