DANSE, CLASIE

Plusieurs siècles après le règne de Charles Quint et les moulins de Don Quichotte, quelques décennies après le football total de Johan Cruijff, Jordy Clasie est le dernier fragment d’Espagne présent aux Pays-Bas. Et pourtant, il a choisi l’Angleterre.

Dans les colonnes de Voetbal International, Jordy Clasie et Ricky van Haaren racontent leur amour du FC Barcelone. La comparaison entre le jeu léché des deux gamins de Feyenoord et les stars catalanes est trop tentante. Jordy devient le Xavi néerlandais et Ricky est le nouvel Iniesta dans un Kuip qui prend des allures de Camp Nou.

Quelques années plus tard, van Haaren s’est perdu dans la capitale roumaine, sous les couleurs du Dinamo Bucarest. Clasie, lui, vient de signer à Southampton. Une découverte de la Premier League et des retrouvailles avec Ronald Koeman contre 12 millions d’euros.

C’est en larmes que Jordy avait laissé Koeman traverser la mer du Nord un an plus tôt. Des larmes de reconnaissance pour celui qui, en trois ans, avait fait de lui le maître à jouer d’un Feyenoord ressuscité.

 » Il a fait de moi un leader, il m’a montré comment et quand je devais mettre la pression sur l’adversaire. Grâce à lui, j’ai appris comment être meilleur tactiquement.  » Positionné devant la défense du club de Rotterdam, Clasie offre un récital tactique hebdomadaire à une Eredivisie plutôt habituée aux milieux de terrains aussi troués que les fromages locaux.

Omniprésent à la récupération grâce à une lecture du jeu largement au-dessus de la moyenne, le maestro du Kuip parvient à faire oublier ce mètre 69 qui lui a longtemps porté préjudice. Un déficit physique qui ne l’empêche pas de rejoindre Feyenoord dès l’âge de neuf ans malgré l’intérêt de l’Ajax, plus proche de son domicile d’Haarlem mais dont le courrier officiel restera lettre morte.

À l’ombre du Kuip, Jordy grandit (ou plutôt vieillit) entre passes bien calibrées et duels physiques perdus. Son avenir s’écrit avec un point d’interrogation jusqu’aux U17, où il arrive entre les mains d’un certain Co Adriaanse. S’ensuivent trois saisons en playmaker de la nouvelle génération dorée du club de Rotterdam, puis un prêt à l’Excelsior voisin pour se faire les dents. Avec les compliments de Co qui le présente d’emblée comme  » le plus grand talent d’Eredivisie « .

Alex Pastoor tombe d’emblée sous le charme. À l’Excelsior, la taille ne compte pas : Clasie enchaîne les titularisations à coups de passes dans l’intervalle et de positionnements toujours parfaits. Suffisant pour convaincre Ronald Koeman de lui offrir sa chance au Kuip dès la saison suivante. Jordy est installé en milieu contrôleur du 3-4-1-2 de Feyenoord, et gravit les marches vers le sommet de l’Eredivisie. Dans le bon tempo, évidemment.

DE XAVI À BUSQUETS

Sur la pelouse du Kuip, le Xavi néerlandais fait plutôt du Busquets. Incarnation néerlandaise du  » joueur tactique « , entre discipline défensive et prise de risques bien calibrée une fois le ballon dans les pieds. Bert Van Marwijk songe même à un Clasie tout juste âgé de 21 ans pour disputer l’Euro 2012. Jordy ne prend pas part au fiasco oranje en Ukraine, mais entre rapidement dans les plans de Louis van Gaal.

À l’occasion d’une sortie face à la Turquie, le chef d’orchestre de Feyenoord tape carrément dans l’oeil de Sa Majesté Johan Cruijff.  » Il maintient le calme dans l’équipe, et se rend toujours disponible pour les autres quand la situation l’exige « , raconte la légende batave dans les colonnes du Telegraaf.

Ronald De Boer en remet une couche pour Voetbal International au lendemain d’un topper plein de maîtrise signé Jordy :  » Il récupère souvent le ballon, ses dribbles sont bons, ses passes sont réussies… Il apporte beaucoup de tranquillité et met le rythme dans l’équipe.  »

C’est la définition parfaite de Jordy Clasie. Un souvenir de l’époque où les Pays-Bas étaient espagnols.  » Unjugadorconpausa « , diraient les Ibères, qui accepteraient volontiers comme l’un des leurs ce joueur qui est l’un des rares en Europe à choisir le rythme cardiaque d’une rencontre, l’époumonant d’une simple passe dans le dos de la défense avant de la faire souffler en un contrôle en pivot.

Clasie est plus catalan que batave. Un style atypique dans un pays où les milieux de terrain oscillent la plupart du temps entre le génie fainéant de WesleySneijder et les récupérations musculeuses de Nigel de Jong.  » Il est fait pour le jeu court en Espagne « , dit d’ailleurs de lui Ruben Schaken, son ancien équipier à Rotterdam.  » Il a des yeux partout, il trouve toujours une solution en possession de balle. Croyez-moi, il pourrait jouer au Barça. « 

C’est pourtant 1.500 kilomètres plus au nord que Jordy Clasie a décidé d’écrire son avenir. Bienvenue à Southampton, où il devra faire oublier Morgan Schneiderlin, parti s’installer devant la défense des Red Devils. Mais Jordy doit-il vraiment devenir Schneiderlin ? Clasie est à la traîne au niveau du pourcentage de passes réussies (83 contre 89), du nombre de tacles par match (2,7 contre 3,7) et, évidemment, des duels aériens gagnés (0,6 contre 1,8, soit le triple pour Morgan).

Par contre, le Néerlandais culmine à 67 passes, 1,3 occasion créée et 6,3 longs ballons par rencontre, largement au-dessus des chiffres du Français. Moins de muscles, mais plus de football et d’idées. Les chiffres de Clasie le rendent d’ailleurs plus proche de Luka Modric que de Thiago Motta. Mais Jordy s’en fout. Son seul point de comparaison, c’est Xavi :  » Il est injouable, je veux être comme lui.  » Reste à imaginer ce qu’aurait pu faire Xavi en Premier League.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTO BELGAIMAGE

Un des rares en Europe à choisir le rythme cardiaque d’une rencontre.

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