» Dans une très grande équipe, on dira peut-être que je suis LE MEILLEUR AU MONDE « 

Sport/Foot Magazine et la RTBF sont partis rencontrer à Madrid l’homme de 2013. Celui pour qui l’Atletico Madrid est prêt à casser sa tirelire.

Y a pas à dire, le Belge a la cote et pas qu’en Angleterre. Quand les joueurs de l’Atletico Madrid sortent de leur vétuste camp d’entraînement à bord de leur BMW, Porsche, ou Maserati, c’est Thibaut Courtois qui a le plus de difficultés à s’enfuir de la happe de socios présents à la sortie des grilles. Davantage encore que David Villa ou Diego Costa, c’est dire. On est le vendredi 31 janvier, deux jours plus tôt Big T multiplie les arrêts miracles et qualifie les Colchoneros pour les demi-finales de la Coupe d’Espagne. Ses supporters lui font une haie d’honneur et le bombardent de chants à sa gloire, recouvrant le dernier hit de Stromae qui sort des baffles de sa Panamera. La scène a des dehors d’un concert des One Direction, les groupilles sont venus en masse pour dégoter l’autographe du meilleur gardien de la Liga (et d’ailleurs ?). Malgré une célébrité de plus en plus grandissante, notre personnalité numéro un reste sympa et disponible lors d’une rencontre de deux heures où il va prendre le temps d’évoquer tous les sujets brûlants.

S’il y a bien une chose qui nous frappe, c’est ta décontraction en toute circonstance. Une similarité avec le deuxième de notre scrutin, Eden Hazard…

Rester tranquille lors des grands événements est une qualité, je pense, pour jouer au top.

Mais le risque de faire une floche qui serait relayée dans le monde entier ne te passe jamais par la tête ?

Non, je pense plutôt à faire des arrêts de classe mondiale. Face au Zenith, j’ai pris un bête but en boxant maladroitement le cuir. Sur le coup, tu te dis : qu’est-ce que j’ai foutu ! ? Mais l’important est de savoir tourner le bouton rapidement.

Tu aimes la pression, jouer dans un stade où le public est parfois hostile, paraît-il ?

Quand le public est contre toi, c’est souvent parce que tu réalises un bon match, et j’aime ce sentiment. Les joueurs sifflés sont souvent les joueurs importants. C’est une manière de te déstabiliser mais ça ne marche pas avec moi.

Les projectiles lancés par le public adverse t’ont-ils parfois effrayé ?

En Belgique, c’était bien pire qu’en Espagne. Je me rappelle qu’à Anderlecht, j’avais 20 briquets devant moi. A Saint-Trond, il y avait des pièces de monnaie. J’ai aussi reçu une bière. En Espagne, lors de la finale de la Coupe du Roi à Bernabeu, j’ai reçu un briquet sur la tête. Ce n’était qu’un seul briquet mais il avait bien visé (il rit).

 » En Belgique, j’avais atteint mon top  »

Que signifie pour toi la date du 17 avril 2009 ?

Mon premier match avec Genk. J’avais 16 ans. C’était très spécial d’autant que je pensais commencer sur le banc. Il y avait beaucoup de pression avant la rencontre, les supporters avaient fait part de leur mécontentement en semaine. Mais au final tout s’est bien passé.

La saison suivante, tu deviens titulaire à part entière, notamment suite au problème administratif rencontré par Laszlo Köteles. Ta carrière va dès lors prendre une trajectoire fulgurante.

C’est vrai, première année champion de Belgique, élu meilleur gardien de Belgique, le transfert à Chelsea, le prêt à l’Atletico. Tout a été très vite mais je me sentais prêt à franchir un palier, je l’avais dit à mon père. En signant à Chelsea, je savais qu’il y avait un plan pour moi derrière ce transfert, que je n’allais pas rester trois ans sans jouer. Le fait de poursuivre ma carrière en Belgique aurait fait plus de tort que de bien, je pense. J’avais déjà atteint mon top. Et même si mon père et mon manager auraient peut-être préféré que je reste à Genk…

On a le sentiment que tu n’as jamais été aussi fort qu’aujourd’hui ?

C’est vrai que j’ai l’impression de pouvoir prendre tous les ballons à l’heure actuelle. On a un programme assez compliqué depuis le début de l’année et je me suis préparé en conséquence. J’ai même perdu du poids durant la courte trêve d’une semaine pendant les fêtes, que j’ai passée en Belgique et à Tenerife.

Quel est ton poids par rapport à tes débuts à Genk ?

Je suis à 90 kg pour un taux de graisse de 9,3 alors qu’à Genk je tournais autour des 83 kg pour 10 de taux de graisse. A Madrid, on fait pas mal de fitness mais ce n’est pas de la gonflette. On veut développer le muscle à son maximum mais pas le grossir. Je suis par exemple un de ceux dans l’équipe qui poussent le plus de kilos avec les quadriceps alors que je n’ai pas de grosses cuisses.

 » Pas envie de crier que j’étais le meilleur  »

Ton nom n’est jamais cité dans la presse people ou associé à des frasques. Tu as toujours aimé être en retrait ?

A l’école déjà, j’étais tranquille, je n’avais jamais de problème. J’ai toujours eu les pieds sur terre. A Genk quand on nous évaluait, j’avais toujours très peu en  » ambition  » et pourtant j’étais ambitieux mais je n’avais pas envie de crier que j’étais le meilleur. Mes parents étaient sévères mais ce fut au final une bonne chose. Je connais des ex-coéquipiers à Genk qui ont arrêté l’école pensant réussir dans le foot et qui se retrouvent en D2 belge aujourd’hui. Ils sont obligés de bosser à côté et n’ont pas de diplôme. De mon côté, j’ai pu décrocher mon diplôme de secondaire. Ça me permet d’envisager de reprendre des études, pourquoi pas dans un futur proche. J’ai encore envie de travailler après ma carrière et j’ai envie d’avoir le plus de possibilités qui s’offrent à moi.

En équipe nationale de jeunes, tu étais derrière des gardiens comme Kaminski, Casteels, Sels, etc. Comment l’expliques-tu ?

Pour réussir, il faut du talent mais aussi avoir un entraîneur de gardien qui croit en toi. A 16 ans, j’ai énormément progressé sous l’égide de Jos Beckx (aujourd’hui au Standard). Et puis surtout, il faut faire de bons choix de carrière.

Tu penses que tu aurais pu te retrouver en D2 malgré ton talent intrinsèque ?

Je ne sais pas mais c’est certain qu’il faut prendre les bonnes décisions. Comme par exemple Kaminski qui livrait de bonnes prestations au Beerschot et à Louvain et a fait le choix d’aller à Anderlecht où il ne joue pas. C’est compliqué car il a devant lui un très bon gardien avec Proto. Quand on est jeune, il vaut mieux évoluer dans de moins grandes équipes mais jouer.

As-tu conscience que, ce que tu réalises, n’est pas normal ?

C’est un rêve. Je me rappelle encore regarder l’Atletico remporter l’Europa League en 2010 avec David De Gea au but et les admirer. Deux ans après, c’était à mon tour de décrocher ce trophée. Quand je jouais avec les -13, -14, je rêvais de jouer dans le stade de Genk. Puis quand tu arrives en équipe première, tu rêves d’affronter un jour des Messi, Ronaldo, etc. Aujourd’hui, ces joueurs m’apprécient et me le font savoir. Ça a quelque chose d’incroyable.

 » Le problème, c’est que je suis grand  »

Les fans madrilènes t’idolâtrent comme on a pu le voir après l’entraînement. Est-ce parfois usant ?

C’est chouette même si ça peut parfois être fatigant. Je pense que les supporters sont plus présents en Espagne, plus familiers qu’en Angleterre où les fans te laissent plus tranquille.

Il arrive de te balader dans le centre de Madrid sans te faire importuner ?

Je peux aller dans les magasins de grandes marques mais passer une après-midi à Gran Via (ndlr, la rue commerçante principale de Madrid), c’est impossible. Et le problème, c’est que je suis grand. On me repère tout de suite.

Tu ressens fortement la rivalité Real-Atletico ?

Elle est plus forte de la part des supporters de l’Atletico. Ceux du Real nous considèrent davantage comme le petit frère.

Et même quand vous décrochez la Coupe d’Espagne à Bernabeu ?

Là c’est différent (il rit). Même si j’ai reçu beaucoup de messages de sympathie de Madrilènes dans la rue après cette rencontre.

As-tu le sentiment que c’est ton match le plus abouti de ta carrière ? Avec notamment cette parade exceptionnelle devant Ozil…

Oui, peut-être. C’était une finale, il ne restait plus que dix minutes quand je sors ce ballon. Il y avait 40000 spectateurs du Real, 40000 de l’Atletico, l’ambiance était incroyable, j’en ai encore des frissons quand j’y repense.

Comment décrirais-tu chaque trophée remporté ?

Le sacre avec Genk fut une explosion de joie car on avait une jeune équipe qui a su créer la surprise. L’Europa League, je n’espérais pas la gagner si jeune tant le trophée est important. Il y a eu aussi la Supercoupe face à Chelsea. Et enfin la Coupe du Roi qui revêtait quelque chose de très fort pour nos supporters.

 » Il va falloir clarifier mon avenir avec Chelsea  »

Quand tu es arrivé à l’Atletico, tu as déclaré que tu te verrais bien rester trois saisons puis revenir à Chelsea. L’an prochain, tu retournes donc à Londres ?

Je ne sais pas, Peter Cech reste un très bon gardien. Et je ne me vois pas aller dans un club et ne pas jouer. Il va falloir clarifier mon avenir avec Chelsea.

Souhaites-tu changer de championnat ?

Ce n’est pas une obligation. Quand j’étais en Belgique, j’aimais beaucoup la Premier League. Désormais j’aime beaucoup la Liga. Je crois que le championnat anglais reste plus physique, plus spectaculaire, mais qu’en Espagne le niveau technique individuel est plus élevé, plus tactique.

On entend parfois que Thibaut Courtois doit désormais franchir un palier. Mais est-ce que l’Atletico n’est déjà pas le top européen ?

Le club n’a pas la dimension du Real, du Barça ou Chelsea mais dans les faits, on est là. On n’est peut-être pas le meilleur club d’Europe mais nous sommes une très bonne équipe. On aura davantage tendance à dire qu’un gardien est le meilleur du monde s’il joue au Real que ce même gardien dans une équipe de moins grande envergure. Si je fais les mêmes matches, les mêmes arrêts dans une très grande équipe, on dira peut-être que je suis le meilleur au monde.

Ton coach, Diego Simeone, est considéré comme un phénomène en matière de coaching. C’est quoi son truc ?

Tactiquement, il est vraiment très très fort. C’est aussi un motivateur hors-pair mais c’est surtout la répétition des entraînements tactiques en semaine qui fait la différence. C’est parfois ennuyant mais ça marche. On ne s’adapte pas à l’adversaire mais il connaît parfaitement les défauts de nos opposants. C’est fou qu’il ne faisait pas partie des nominés au titre de meilleur entraîneur de l’année alors que d’autres qui n’avaient rien gagné l’étaient. C’est la preuve que l’Atletico n’est pas encore considéré comme un très grand club.

Dans quels domaines dois-tu encore progresser ?

Mon jeu de pied peut-être. A Genk, j’avais l’habitude de joueur court mais Simeone n’aime pas, il préfère que je joue long. Je dois aussi peut-être davantage capter le cuir et moins relâcher les ballons. Et peut-être encore sortir davantage.

 » On garde parfois trop la balle  »

Te considères-tu comme un gardien peu spectaculaire ?

Oui, c’est aussi parce que je suis grand. Un gardien d’un mètre 80 doit parfois se détendre sur un ballon où je n’ai qu’à faire un pas de côté pour m’en emparer.

La défense est très solide à l’Atletico, as-tu le même sentiment de sécurité chez les Diables ?

Je me suis toujours senti très à l’aise car j’ai de très bons défenseurs. La seule chose que l’on peut reprocher, c’est que nos défenseurs latéraux sont davantage des défenseurs centraux. Ici, Felipe et Juan Fran sont de purs latéraux qui peuvent apporter un plus offensivement. Mais vu qu’on a un milieu très créatif chez les Diables, je ne sais pas si c’est nécessaire.

As-tu connu un match référence avec la Belgique ?

En Serbie, où j’ai sauvé quelques ballons chauds en début de match. En Macédoine aussi, je sors un ballon brûlant en début de match.

Le manque d’expérience du groupe peut-il nous être néfaste au Brésil ?

Je ne sais pas. Beaucoup de joueurs jouent dans de grands championnats, ils sont habitués à la pression, à l’exigence des grands rendez-vous. Je crois surtout que le premier match sera très important. Le perdre pourrait nous compliquer fortement la tâche. Et je pense aussi que nos adversaires vont nous laisser le ballon, il faudra savoir être patient. Parfois j’ai l’impression qu’on garde un peu trop la balle, que ça ne va pas assez vite vers l’avant. Le Japon et la Colombie ont su en profiter avec un bloc défensif très fort et des contre-attaques très rapides.

L’ambiance est-elle aussi bonne qu’on la décrit ?

Oui. Mais on n’est pas tout le temps ensemble. Chacun fait un peu ce qu’il veut à l’hôtel. Il m’arrive de jouer à la PlayStation avec Kevin (De Bruyne) ou Jelle (Vossen) mais j’aime aussi me retrouver seul dans ma chambre, me reposer, regarder des séries ou des films. Alors que Romelu (Lukaku), Nacer (Chadli), Christian (Benteke) préfèrent se retrouver à plusieurs dans une chambre et s’amuser. Il y a des différences entre Flamands et Wallons, entre jeunes et moins jeunes, c’est normal.

 » Il faut savoir rester humble et respectueux  »

Quand Mignolet déclare qu’il veut être numéro un au Brésil, ça te dérange ?

Je peux dire en tout cas qu’ici en Espagne, je n’ai jamais entendu un gardien dire qu’il veut prendre la place de Casillas en sélection espagnole : ni Valdes, ni De Gea, Reina ou un autre ! Que du contraire, ils restent tous derrière Iker. Simon peut dire ce qu’il veut mais je pense que j’ai gagné des points pour la Belgique, que je joue bien avec l’Atletico : il faut savoir rester humble et respectueux. Et ce n’est pas la première fois que j’entends de pareilles déclarations de sa part. Quand j’ai été transféré à l’Atletico, Kaminski a aussi dit que j’avais eu la chance de jouer à Genk. Aujourd’hui, il est à Anderlecht et il ne joue seulement que quand Proto est blessé. C’est dommage de faire ce genre de déclaration car j’ai toujours eu du respect envers tous les autres gardiens.

PAR THOMAS BRICMONT À MADRID – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » J’ai l’impression de pouvoir prendre tous les ballons à l’heure actuelle.  »

 » Aujourd’hui, Messi et Ronaldo m’apprécient et me le font savoir.  »

 » Mignolet peut dire ce qu’il veut : j’ai gagné des points pour la Belgique. Il faut savoir rester humble et respectueux.  »

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