Dans le vide

Malgré le point conquis au Parc Astrid, le joueur le plus créatif de l’Excelsior est frustré.

L’Excelsior Mouscron est le premier club belge qui a ramené un point de son déplacement à Anderlecht, cette saison. Pourtant, ce n’était pas l’euphorie dans le clan des Hurlus, vendredi soir. Et si, samedi matin, l’ambiance était détendue lors du traditionnel décrassage, certains n’hésitaient pas à mettre le doigt sur les manquements affichés au Parc Astrid. C’était notamment le cas de Dejan Mitrovic : « Entendons-nous: je suis heureux d’avoir pris un point. Mais il faut reconnaître nous n’avons pas bien joué. Nos trois buts ont été inscrits sur des phases arrêtées. L’aspect positif est la solidarité dont nous avons témoigné. Autre aspect positif: nous avons empêché Anderlecht de développer son jeu. Les occasions ont été plus nombreuses du côté du Sporting, mais les combinaisons bien élaborées furent rares dans le chef des Bruxellois. C’était à chaque fois de longs ballons vers Jan Koller, qui les déviait vers un partenaire. Si nous avons eu certains mérites au Parc Astrid, tout ne fut pas parfait. Les médians de l’Excelsior -dont je fais partie- ont joué dans une drôle de pièce. J’ai eu l’impression que nos défenseurs avaient peur de remonter le terrain, ballon au pied, ou d’élaborer des actions construites. Ils paraient au plus pressé et dégagaient le plus loin possible. La plupart du temps, les ballons surmontaient l’entrejeu. Je les voyais passer au-dessus de ma tête, ils aboutissaient dans les pieds des défenseurs anderlechtois, puis repartaient de l’autre côté. J’ai couru dans le vide. J’ai demandé à plusieurs reprises à mes défenseurs de solliciter davantage l’entrejeu, mais je n’ai pas été entendu. A leur décharge, il faut admettre que le terrain était en très mauvais état. En ce qui me concerne, je n’ai pas livré une grande prestation. Mais, comme on n’a guère vu Walter Baseggio et Yves Vanderhaeghe de l’autre côté, j’estime avoir accompli ma tâche. J’ai essayé de couper les lignes de passes. Tactiquement, j’ai tiré mon épingle du jeu. C’est assez paradoxal, dans mon cas, d’avoir davantage travaillé sur le plan défensif qu’offensif, mais si je ne reçois pas de ballon dans les pieds, que dois-je faire? Après 75 minutes, j’étais cuit. L’entraîneur s’en est aperçu et m’a remplacé. Logique. C’était mon premier match complet depuis plusieurs semaines. Le disputer à Anderlecht n’était pas un cadeau. Car, si le Sporting était peu inspiré, il avait toujours le rythme de la Ligue des Champions dans les jambes ».

Pour un joueur comme vous, qui aime recevoir le ballon dans les pieds, un match comme celui de vendredi doit être frustrant?

Dejan Mitrovic : Oui. Tous les joueurs qui, comme moi, aiment sentir le ballon au bout de leurs chaussures, auraient ressenti la même frustration. Que ce soit Zinedine Zidane ou Rui Costa.

Au même titre que Zinedine Zidane a besoin d’avoir des joueurs comme Didier Deschamps, Emmanuel Petit ou Patrick Vieira qui travaillent à son service, Dejan Mitrovic aurait donc besoin d’un récupérateur « type Yves Vanderhaeghe » derrière lui?

En réalité, oui. Je suis conscient que le football a évolué, et qu’à notre époque, on ne peut plus se permettre d’avoir un joueur qui attend que les ballons lui parviennent. Les onze joueurs de l’équipe doivent travailler. Si l’un d’eux fait faux bond, un déséquilibre se crée et l’équipe se retrouve en difficulté. C’est valable pour moi également. A Alost, l’entraîneur m’avait reproché de ne pas avoir accompli ma part de boulot défensif. Sur le coup, j’ai trouvé cela étrange, mais après réflexion, je dois admettre qu’il avait raison. Je m’efforce donc de m’appliquer davantage dans ce domaine. Mais j’apprécierais d’avoir, derrière moi, un joueur comme Yves Vanderhaeghe – ou, pour prendre un autre exemple, comme Manu Karagiannis que j’apprécie énormément – qui me soulagerait dans ma tâche défensive. Un véritable battant, un leader sur le terrain. Pas uniquement un récupérateur, mais un joueur qui ose demander le ballon et qui donne des directives. A Anderlecht, par exemple, nous étions souvent à deux contre trois au centre de l’entrejeu. Lionel Ladon était opposé à Alin Stoica. Moi, j’étais pris entre Walter Baseggio et Yves Vanderhaeghe. En principe, Tonci Martic doit venir aider dans ce cas-là, mais si Bertrand Crasson monte, il doit aussi le prendre en charge. Un véritable leader doit pouvoir me dire: -Tu prends celui-là, je me charge de celui-ci!

L’acquisition d’un demi défensif doit donc constituer la priorité pour l’Excelsior dans l’optique de la saison prochaine?

C’est mon avis. Ce type de joueur nous a beaucoup manqué, cette saison. Si Nenad Jestrovic s’en va, il faudra aussi un nouvel attaquant. Mais, pour progresser dans la hiérarchie, un patron dans l’entrejeu serait le bienvenu.

Offensivement, le départ éventuel de Nenad Jestrovic ne pourrait-il pas être compensé par Claude Bakadal?

L’association Zewlakow-Jestrovic a très bien fonctionné. 35 buts à deux, c’est une sacrée performance. L’un doit beaucoup à l’autre. Les deux joueurs sont peut-être un peu égoïstes, mais ils sont complémentaires. Nenad est plus technique, plus malin, plus lucide devant le but. Marcin est fort de la tête, puissant, rapide et endurant. Si Nenad s’en va, il faudra lui trouver un remplaçant de même valeur pour épauler Marcin. Ce ne sera pas facile. Mais l’engagement d’un nouvel attaquant est peut-être moins indispensable que l’engagement d’un demi défensif.

Mouscron a aussi encaissé beaucoup de buts évitables, cette saison.

Parfois, j’ai l’impression de ressentir un manque de communication en défense. Et peut-être aussi un manque de confiance. A Anderlecht, j’ai eu l’impression que beaucoup de joueurs avaient peur. Ils ont témoigné de trop de respect envers l’adversaire. Pourtant, nos défenseurs peuvent se targuer d’une certaine expérience. Ils évoluent depuis plusieurs saisons en D1. Et ils avaient démontré lors du match aller qu’ils pouvaient tenir la dragée haute à Anderlecht. Nous avions fait au moins jeu égal, jusqu’à l’exclusion de Tonci Martic et au but annulé de Nenad Jestrovic.

Avec Westerlo, vous avez battu Anderlecht très sèchement à deux reprises (6-0 et 5-0). Y a-t-il une différence, entre Westerlo et Mouscron, dans la manière d’aborder le Sporting?

Ces deux victoires qui avaient fait sensation, nous les avions à chaque fois forgées à domicile. Au Parc Astrid, nous avions été battus 3-1 et 3-2. La différence avec Mouscron, c’est qu’à Westerlo tout le monde osait jouer au football. Y compris les défenseurs. Entre outre, ils avaient complètement mis Jan Koller et Tomasz Radzinski sous l’éteignoir. Je ne sais pas comment il s’y est pris, mais l’an passé, Frank Machiels avait gagné tous ses duels de la tête avec Jan Koller. Westerlo avait aussi plusieurs joueurs capables de faire la différence sur des actions individuelles.

A défaut de pratiquer un football châtoyant, Mouscron a montré du caractère à Anderlecht. Ce n’était plus arrivé depuis longtemps.

En effet. A plusieurs reprises, cette saison, nous avons manqué de caractère. Pour quelle raison? Je l’ignore. Inconsciemment ou non, on pense qu’il s’imposera facilement lorsqu’on affronte un adversaire mal classé. Changer les mentalités n’est pas aisé. C’est peut-être dans ces cas-là, aussi, que l’absence d’un véritable leader se fait sentir. Qui devrait intervenir? L’entraîneur? Peut-être. A la mi-temps contre Malines, après 45 premières minutes lamentables, Hugo Broos avait piqué une grosse colère. Cela nous avait réveillés. Cela a porté ses fruits. Contre Anderlecht, l’entraîneur n’a pas besoin d’intervenir. La motivation vient d’elle-même.

Une équipe à deux visages: n’était-ce pas également le cas de Westerlo?

Certainement. Je me souviens qu’une semaine après avoir battu Anderlecht 5-0, nous devions nous rendre à Harelbeke. Nous étions complètement amorphes. A la mi-temps, c’était 1-1. Jan Ceulemans n’a pas réagi dans les vestiaires. C’est un excellent entraîneur, mais il est trop gentil. A Mouscron, nous rencontrons parfois le même problème de motivation face à des équipes moins renommées.

Mouscron ne regrettera-t-il pas tous les points perdus contre les équipes de bas de classement?

Je suis mal placé pour en parler. Je n’ai pas joué contre La Louvière (0-0), Beveren (0-0) et St-Trond (1-0). Je ne veux pas critiquer mes partenaires. Mais il faut se rendre compte que le championnat de Belgique est difficile. Lorsqu’on affronte une équipe de bas de classement, on se retrouve la plupart du temps face à un mur. Aux Pays-Bas, toutes les équipes se déplacent chez l’adversaire à visière découverte. Il est possible que tous ces points perdus nous coûtent une place européenne. La barre a été placée très haut cette saison. Mais rien n’est perdu: La Gantoise et le Standard doivent encore venir à Mouscron, et je pense que la période difficile est derrière nous. Le championnat peut encore évoluer dans tous les sens. Personnellement, je prie pour enfin obtenir une consécration. J’ai été champion de D3 avec Cappellen, mais ce n’est pas pareil. Avec Westerlo, j’ai été 6e l’an passé. Mais je n’ai jamais rien gagné. L’ironie du sort voudrait que Westerlo remporte la Coupe de Belgique cette saison, alors que je viens de quitter le club. Ce n’est pas impossible. Mouscron est très proche d’une place européenne, mais le dernier pas est le plus difficile à franchir.

Sur un plan personnel, vous n’avez pas eu de chance avec les blessures cette saison.

C’est le moins que l’on puisse dire. Lorsque je jouais à Westerlo, le kiné devait courir derrière moi pour me convaincre de passer sur la table de massage. Je n’en voyais pas l’utilité: je n’étais jamais blessé. Un jour, on avait écrit sur le tableau mural: -Mitrovic, massage à 14 heures. Je me suis demandé ce qu’il se passait. Cette saison, à Mouscron, je suis pratiquement aux soins tous les jours. Depuis le mois de décembre, la poisse ne me lâche plus. Au Standard, je suis tombé dans les pommes après l’explosion d’un pétard. Dans ma chute, je me suis luxé l’épaule. Lors du premier match de l’an 2001, à Bruges, j’ai été exclu après une demi-heure. A Alost, j’ai reçu un coup de coude sur la tête: commotion cérébrale. A Westerlo, après une demi-heure, j’ai été victime d’une blessure musculaire. Où cela s’arrêtera-t-il?

Daniel Devos

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire