Dans le terrier des Fennecs

On a espionné l’équipe algérienne avant son envol pour le Brésil. Immersion à son camp suisse.

Il y en a cinquante. Peut-être soixante. Des journalistes algériens qui se sont installés dans la région de Genève pour suivre les derniers jours de la préparation européenne de leur équipe. Des quotidiens, des magazines, des radios, des télés, des sites web. Ils sont bouillants. On les a accompagnés entre les matches contre l’Arménie (victoire 3-1) et la Roumanie (victoire 2-1). On les a observés. Espionnés. Ecoutés. Questionnés. Parfois provoqués. Compte rendu d’une immersion en territoire hostile en vue de Belgique – Algérie. Et cette question : à quel point les Diables doivent-ils craindre les Algériens ?

Entre la fédé et la presse, ça ne marche pas

La veille du match contre les Roumains, c’est le champ de bataille dans une salle du stade de Genève au moment où le point presse de Vahid Halilhodzic doit commencer. Un journaliste attaque le responsable de la communication de la fédé :  » Ça ne va plus, on ne supporte plus les traitements de faveur. On a eu deux joueurs en une semaine, par contre RMC et des médias portugais peuvent faire facilement des interviews. Pourquoi traitez-vous mieux la presse étrangère que la presse algérienne ? On demande de la considération.  » L’ambiance est à couper au couteau, ça se bouscule, des GSM sonnent un peu partout. Réponse agacée du chef presse :  » Vous vous trompez, on ne vous défavorise pas. Maintenant, c’est normal de donner plus de facilités de travail aux quatre chaînes de télé algériennes qui ont dépensé beaucoup d’argent pour pouvoir filmer les coulisses de l’équipe, par exemple.  »

 » La communication de la Fédération est un vieux problème « , nous dit un journaliste algérien.  » Ça fait des années qu’elle se plante. On ne reçoit les infos qu’au compte-gouttes et ça provoque des dérapages parce que certains médias sont obligés de diffuser des approximations, des rumeurs, des mensonges. On doit remplir des pages et la concurrence entre les médias est terrible. Les gens de la fédé nous cachent tout ce qu’ils savent nous cacher. Ils croient que si on n’a pas l’occasion de parler de l’équipe, on va se rattraper en parlant d’eux, ils pensent qu’on va leur donner une certaine importance. C’est un des effets qu’ils recherchent. A la CAN 2010, ça a donné lieu à un gros clash. La presse algérienne s’est révoltée après un match : en zone mixte, on a tourné le dos aux joueurs. C’était notre réponse à la Fédération.  » Autre son de cloche :  » On est des journalistes, pas des supporters. La fédé nous le reproche. Mais on est là pour transmettre des infos, pas pour mettre les dirigeants, le staff ou les joueurs en haut de l’affiche s’ils ne le méritent pas.  »

Entre Coach Vahid et la presse, ça ne marche pas

 » Halilhodzic est le symbole du membre de la délégation qui parle facilement à la presse étrangère mais ne consacre qu’un minimum de temps aux médias algériens. On voit que si un journal français ou bosnien lui demande une interview, il l’accorde. Il ne le fait pas avec nous et ça énerve pas mal de monde. C’est comme s’il nous prenait de haut, comme s’il nous considérait comme une sous-presse.  »

Et quand il répond, il peut être cynique, ironique. On en a une illustration la veille du match contre les Roumains. Il se fait titiller sur la mise à l’écart de l’ancien Carolo AdlèneGuédioura, qui a sauté du groupe des 23 quelques heures plus tôt. La question :  » Vous avez écarté un bon médian comme Guédioura mais vous avez conservé neuf défenseurs. Vous pouvez expliquer votre raisonnement ?  »

Le coach s’énerve avant même la fin de la phrase du journaliste :  » Je ne sais pas où vous voyez neuf défenseurs. Tant pis, vous pouvez écrire que j’en ai repris 18 ou 19, ce n’est pas un problème. Votre question montre simplement que vous cherchez toujours la petite bête. Je devais faire des choix, Monsieur ! Si j’avais pu emmener 24 joueurs à la Coupe du Monde, j’aurais pris Guédioura. Mais vous savez que je ne peux en sélectionner que 23 ? Le moment où j’ai dû annoncer ma décision au joueur a été pénible.

On ne trouve jamais les bons mots dans ces cas-là. J’étais un peu sonné. Et fort désolé. On s’est regardés : c’était dur. Mais il savait qu’il était le plus menacé dans mon groupe. Il sait que j’ai plusieurs gars de bon niveau pour jouer à la même place. Je lui avais conseillé de quitter Crystal Palace en janvier pour jouer plus et pour être dans une équipe plus compétitive. Il ne l’a pas fait. Pour contrarier un Marouane Fellaini ou un Romelu Lukaku, j’aurai besoin de joueurs en pleine possession de leurs moyens.  »

Et Coach Vahid (surnommé comme ça dans toute la presse algérienne) continue sa salve en étendant le débat :  » Ce n’est vraiment pas possible de parler un peu de foot aux points presse ? Pas possible de revenir au jeu ? Ici, c’est polémique sur polémique. Des discussions de café ou de restaurant. Entendre que j’ai pris trop de défenseurs alors qu’on joue toujours vers l’avant depuis que j’ai repris votre équipe nationale…  » Le journaliste veut embrayer, Halilhodzic le coupe net :  » Une seule question par personne, c’est la consigne !  »

Après la victoire contre la Roumanie, l’atmosphère n’est plus aussi crispée. Ce deuxième succès en quatre jours a fait baisser la tension. Halilhodzic montre davantage de bonne volonté, un léger sourire est revenu sur son visage. Son  » Bonsoir tout le monde  » pour lancer son speech semble même en étonner plus d’un. Et l’écouter parler de foot est parfois un régal. Il y a ses analyses pointues, son accent (pointu aussi) et sa façon de zapper de nombreux articles… Morceaux choisis…  » J’ai aligné défenseurs différents dans les deux matches.  »  » Il fallait sacrée qualité technique.  »  » Gardien a montré beaucoup qualités.  »

Avec les journalistes sud-coréens présents, il confirme que le courant passe mieux entre la presse étrangère et lui. Ils reviennent avec les questions posées à Marc Wilmots le jour de l’annonce des 23 Diables :  » Que pensez-vous de notre équipe ?  » et  » Quels joueurs sud-coréens connaissez-vous ?  » Là où Wilmots les avait remballés, Coach Vahid prend le temps :  » On ne se qualifie pas huit fois d’affilée sur des coups de chance. J’ai bien analysé votre équipe, elle peut surprendre n’importe qui.  » Il enchaîne :  » J’ai déjà visionné une dizaine de… cassettes. Je sais exactement comment les Coréens vont jouer, je pourrais citer huit ou neuf joueurs qui seront dans l’équipe de départ, je suis au courant qu’un de vos défenseurs centraux est blessé et que c’est un gros handicap pour vous.  »

Entre la fédé et Coach Vahid, ça ne marche pas

Après des semaines de combat par presse interposée, Halilhodzic a officiellement fait la paix avec le président de la Fédération, Mohamed Raouraoura. Mais les avis sont unanimes : leur entente retrouvée n’est qu’une façade, une solution pour préparer le Mondial dans de bonnes conditions. Entre eux, on n’a pas compté les clashes.

Tout a commencé quand le patron de la fédé a voulu imposer quelques joueurs, vieille tradition dans le foot algérien. Ça marche avec des sélectionneurs locaux, pas avec une forte tête comme Coach Vahid qui, pour marquer son territoire, s’est parfois amusé à reprendre des joueurs dont le président ne voulait pas. Deux courants s’opposent en matière de sélection. Faut-il privilégier des Algériens émigrés, des joueurs qui ont fait toute leur formation à l’étranger (surtout en France) et y évoluent toujours, certains ayant joué dans des sélections françaises de jeunes et acceptant maintenant de se produire pour l’Algérie surtout parce qu’ils comprennent qu’ils ne joueront jamais avec les Bleus ?

 » Il y en a qui sont barrés en équipe de France sur la base de leurs origines « , tonne un journaliste.  » Chez nous, beaucoup de gens en sont sûrs. Je ne vais citer que le cas Samir Nasri. S’il est français pur jus, il va au Brésil à coup sûr. Regarde la saison qu’il vient de faire. Il n’est pas repris parce qu’il aurait un mauvais caractère et risquerait de semer la zizanie dans le groupe ? On va où ? DidierDeschamps en a maté d’autres. Il aurait peur du petit Nasri ? En France, tout le monde sait quand même que Franck Ribéry a autrefois mis une baffe à un coéquipier chez les Bleus et qu’il a participé à la révolte en Afrique du Sud. Mais Monsieur Ribéry reste incontournable. Et Patrice Evra ? Ah, c’est vrai, il ne provient pas du Maghreb. Et Adil Rami, il ne méritait pas d’aller au Brésil ? Il est d’origine marocaine, c’est vrai… Tu veux encore un exemple pour que tout soit clair ? Quand Karim Benzema fait un bon match, c’est un bon Français. Mais dès qu’il passe à travers, c’est un Arabe, un gars qu’on aurait pu envoyer en équipe algérienne. On en revient à la fameuse affaire des quotas d’étrangers dans les sélections françaises. Pour nous, c’est plus réel que jamais.  »

Autre sujet de discorde entre le coach et le président fédéral : la recherche de l’étiquette de chef. Raouraoura veut montrer que le numéro 1 du foot algérien, c’est lui. Quitte à écraser son sélectionneur. Là encore, Halilhodzic a toujours répliqué.  » Un technicien de très haut niveau et un manager de haut niveau, ça peut difficilement collaborer « , nous explique un journaliste.  » Pour que ça marche, il faut que le manager laisse les pleins pouvoirs sportifs à son technicien, mais c’est impossible chez nous.  » Et il y a l’épineux dossier de l’avenir de Vahid. En décembre, la Fédération lui a proposé de prolonger. Dès le début, il a dit qu’il ne prendrait une décision qu’après la Coupe du Monde. Mais pour les Algériens, ça ne fait pas un pli : il va quitter l’Algérie et sera remplacé par le Français Christian Gourcuff, qui a été aperçu dans les bureaux de la fédé. On lui aurait aussi réservé une suite, pour lui et sa femme, près du camp de base des Algériens au Brésil. Vahid sait tout cela et il ne le supporte pas, d’où des frictions supplémentaires. Il veut être seul maître de son avenir et tant pis si on écrit qu’il a déjà signé pour entraîner le Qatar dès cet été.

Entre le public et Coach Vahid, ça marche

On n’avait jamais vu ça ! Des Algériens venus des quatre coins de la Suisse, surtout de France (près de 20 cars au départ de Paris, autant de Lyon), et même des supporters habitant en Belgique ont mis le feu autour du stade du Servette avant le match contre la Roumanie. Plus de 15.000 personnes. On sentait que ça risquait de déraper et ça a dérapé. Projections de faisceaux lasers sur des Roumains et l’arbitre, fumigènes dans les gradins et sur la pelouse, jets de projectiles et envahissements de pelouse en plein match. Juste après le deuxième but algérien, un supporter est allé narguer un Roumain dans le rond central en filmant la scène avec son iPad !

Quand l’arbitre stoppe provisoirement le cirque après 43 minutes et renvoie tout le monde au vestiaire, la fédé algérienne tend le micro à Halilhodzic :  » Mes amis algériens, s’il vous plaît ! L’arbitre va arrêter le match si vous jetez encore quelque chose sur le terrain. Il faut que vous nous souteniez mais pas en jetant des affaires sur le terrain… Merci, bonne soirée.  » Coach Vahid en conférence de presse :  » A un moment, il y a certains supporters qui ont commencé à être un peu énervés… Je suis un peu déçu. Les Algériens sont des passionnés, c’est bien, mais il y a des limites.  »

 » Les supporters sont dingues de Vahid « , nous explique un reporter télé.  » Son charisme fait l’unanimité, le jeu est parfois très bon et les résultats suivent. Les choses négatives qu’on écrit et dit sur son comportement parfois à la limite, ça ne les intéresse pas. C’est chez nous comme partout : les résultats dissimulent tout le reste. Si l’Algérie avait perdu ses matches contre l’Arménie et la Roumanie, il y a des supporters qui auraient parlé de le lyncher…  »

Sur le terrain, ça marche (et c’est ça qui doit nous inquiéter !)

Le discours de Halilhodzic a évolué en un peu plus de 24 heures. La veille de l’affrontement avec les Roumains, on le sentait agacé :  » Est-ce que tout le monde dans mon groupe est conscient qu’on prépare une Coupe du Monde ? Pas sûr. Il me reste un peu plus de dix jours pour réveiller quelques joueurs. Il y a des choses qui me rassurent, d’autres qui m’inquiètent. Est-ce qu’on est capables de corriger ce qui ne va pas ?  » Un international algérien s’était plaint dans la presse que les entraînements étaient trop durs, ça avait vraiment irrité l’entraîneur. D’où cette pique :  » Celui qui est fatigué, qu’il reste où il est, ou alors je le prendrai au Brésil et je l’enverrai sur une plage de Rio. Il pourra même se baigner s’il veut.  »

Le lendemain, après le match, le ton a évolué :  » On vient de jouer notre meilleur match depuis que j’entraîne cette équipe. On a fait le plein de confiance.  » Effectivement, on a vu des gars qui savent jouer au foot. Même si, en face, ce n’était qu’une équipe composée de joueurs bouclant leur dernier devoir avant les vacances, les Algériens ont fait un match plein et se sont créé pas mal d’occasions. Ils ont la technique et la vivacité. Par contre, ce n’était pas top au niveau de la concrétisation. Halilhodzic conclut en disant que ce test n’est pas encore comparable à ce qui attend les Algériens contre les Diables. Et un reporter qui vit dans les pas des Fennecs ajoute :  » On a plein de technique dans notre noyau mais pas assez de physique. Les Belges ont les deux qualités. S’il y a, dans l’entrejeu d’en face, un bourrin qui s’occupe de nos petits dribbleurs, ça va directement être beaucoup plus compliqué. On a par exemple Yacine Brahimi qui a le meilleur pourcentage de dribbles réussis en championnat d’Espagne, devant Lionel Messi. Il est beau à voir mais on a déjà peur que Marouane Fellaini s’occupe de son cas. « 

PAR PIERRE DANVOYE À GENÈVE

 » Halilhodzic considère la presse algérienne comme une sous-presse.  »

Un journaliste local

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