DANS LA TÊTE

La Squadra atteint la finale du Mondial tous les 12 ans. Après 1970, 1982, et 1994, rééditera-t-elle cet exploit ?

Un jour, Francesco Totti veut prendre l’avion de Rome à Milan. S’inquiétant de la durée du vol, il téléphone à la compagnie aérienne. La réceptionniste va se renseigner et répond :  » Un instant « .  » Merci beaucoup « , dit Totti, avant de raccrocher.

La Belgique a ses blagues sur Johan Museeuw, l’Angleterre adapte ses plaisanteries sur les blondes stupides à David Beckham et l’Italie se gausse de Totti. Au début, le footballeur s’en irritait mais il a appris à les prendre du bon côté, au point qu’il les compile dans des livres intitulés Spotti di Totti dont les bénéfices sont versés à l’UNICEF pour les réfugiés au Congo.

Mais le camp italien rit peu. L’actualité est dominée par les scandales et les soupçons portant sur Luciano Moggi, l’ex-manager général de la Juventus. Le président de la Fédération, Franco Carraro, a démissionné, le gardien GianluigiBuffon est impliqué dans des paris, le capitaine FabioCannavaro a été interrogé sur son rôle.

Et le sélectionneur Marcello Lippi a failli être aspiré par l’affaire. Entraîneur de la Vieille Dame dans les années 90 puis au début de notre siècle, il a remporté cinq titres nationaux, atteint la finale de la Ligue des Champions à quatre reprises, dont une victorieuse. Lippi a tenté sa chance à l’Inter, entre deux contrats à Turin, mais n’y a amené aucun scudetto. L’Italie se demande pourquoi… En plus du volet concernant la corruption des arbitres, le gros des footballeurs italiens est lié à GEA, un bureau de management dirigé par Alessandro Moggi (fils de) où travaillait Davide Lippi (également fils de). Luciano Moggi aurait demandé à Marcello Lippi de sélectionner en équipe nationale des joueurs représentés par le bureau…

Après l’EURO 2004 décevant, Lippi a pris la succession de GiovanniTrapattoni à la tête des Azzurri. Avec succès, puisque l’Italie n’a pas perdu un seul de ses 18 matches sous sa direction, avant le début du Mondial. De nettes victoires dans des joutes amicales contre les Pays-Bas et l’Allemagne ont même valu à la Squadra un rôle de favorite.

La chance a alors changé de côté. Totti, important dans le compartiment offensif, puisque Alessandro Del Piero se fait vieux, s’est gravement blessé et n’a effectué sa rentrée à l’AS Rome que quatre semaines avant le Mondial. Délicat. GianlucaZambrotta, AlessandroNesta et GennaroGattuso, d’autres certitudes de l’équipe nationale, sont arrivés blessés à Coverciano, le quartier d’entraînement de la Squadra.

Mauvais ambiance importée

Lippi a dû préparer son équipe au beau milieu de ces incertitudes, généralement à huis clos, à la grande déception des supporters, qui s’étaient rendus en masse à Meiderick, au MSV Duisburg Training Centre. Lippi n’a cédé à la pression que mardi de la semaine passée. SandroMazzola, consultant de la RAI, était stupéfait :  » C’est l’évolution de ce genre de tournoi, sans doute ? De mon temps, on sortait du car entre deux rangs de supporters. Ceux de Milan nous applaudissaient, ceux de l’Inter se permettaient quelques huées « .

Le geste de Lippi a suivi une victoire convaincante face au Ghana, obtenue avec le 4-3-1-2 habituel et Totti aligné pendant une heure. Il n’a pas été impliqué sur les buts, venus des pieds d’ AndreaPirlo, brillant médian axial, et de VincenzoIaquinta, l’avant d’Udinese. En l’absence de quelques vieux serviteurs en défense, ce sont deux joueurs de Palerme, première victime sportive du Calciopoli, qui ont occupé les postes latéraux. L’Italie n’ayant pas encore fait toute la clarté sur le scandale, elle a préféré n’inscrire personne pour l’Intertoto, une épreuve pour laquelle les Siciliens s’étaient qualifiés. L’arrière gauche FabioGrosso et son pendant droit CristianZaccardo, deux des quatre représentants de Palerme, se sont brillamment acquittés de leur tâche contre le Ghana. Les quatre joueurs ont profité de la forme de Palerme durant la première partie de la saison, admettent les journalistes italiens. Ensuite, l’équipe a quitté le top mais les internationaux s’étaient intégrés et quand Lippi est content de quelqu’un…

Une évolution moderne

Samedi, le sélectionneur n’était absolument pas satisfait. Sa mollesse contre les Etats-Unis, meilleurs à neuf contre dix, a empêché l’Italie d’assurer sa qualification pour les huitièmes de finale. La Squadra, qui n’avait subi de changement qu’à l’arrière gauche, était trop sûre d’elle, elle a manqué d’engagement et d’esprit d’équipe. DanieleDe Rossi s’est illustré de manière négative avec son coup de coude scandaleux, Totti, le régisseur, a été sacrifié après la carte rouge, Pirlo a été à la base du but et semble jouer un rôle-clef dans ce tournoi, bien davantage que Totti. Un but et un assist, c’est un excellent début.

Une fois la Squadra réduite à dix unités, Lippi est passé du 4-3-1-2 au 4-3-2 mais l’Italie n’est pas parvenue à s’imposer. Lippi a commenté :  » On doit se réveiller « . Gattuso, rétabli, tout comme Zambrotta, a affirmé que c’était là une belle leçon de modestie :  » Même quand on gagne le premier match, il faut rester les pieds sur terre « .

Lippi améliore un ancien système. Trapattoni évoluait également en 4-3-1-2. C’est l’occupation individuelle des places qui fait la différence – et les changements. Si Trap misait sur la sécurité lorsqu’il menait, Lippi est plus logique. Ses remplacements coulaient de source contre le Ghana et contre les USA, il a corrigé l’équipe au niveau offensif, à l’exception de Gattuso. Un avant pour un avant et un arrière droit pour un médian offensif.

Il ne s’agit donc absolument pas de catenaccio. L’Italie suit l’évolution internationale et Lippi est plus audacieux que son prédécesseur, qui ne cessait de douter. Le match face à la Suède, lors de l’EURO portugais, en est un parfait exemple. L’Italie menait 1-0 mais il avait effectué des remplacements défensifs. Il s’était replié, de sorte que la défense était devenue prenable. Les observateurs attendent avec impatience le match de ce jeudi contre la Tchéquie. Face à un adversaire théoriquement costaud et avec la première place du groupe en jeu, Lippi restera-t-il fidèle à ses principes ?

Sans doute car l’homme se fâche toujours quand on parle de catenaccio, comme l’a expérimenté un collègue la semaine dernière. Lippi ne supporte pas d’être confronté à l’image négative du football italien :  » J’ai entraîné à tous les niveaux et je reste convaincu que pour gagner, il faut marquer. Le football a évolué, notre jeu également « . Son jeu est généralement basé sur une solide défense ( » Nous n’avons plus de solides stoppeurs à l’ancienne mais de bons défenseurs en zone. C’est la différence « ) et un bon axe central dans l’entrejeu. Sur les flancs, deux ou trois éléments sont chargés d’insuffler leur créativité à l’ensemble.

Lippi est las du battage autour de Totti, qui n’a pas encore atteint les 90 minutes de jeu en deux matches. Totti est important mais Lippi ne veut pas de prima donna sur le terrain. L’esprit d’équipe prime :  » Quand vous affrontez une phalange qui possède plus ou moins le même niveau, c’est celle qui a le meilleur esprit d’équipe qui s’impose « . Ce n’est pas un hasard si, samedi, après le match nul, il a loué la mentalité de son adversaire…

PETER T’KINT, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ALLEMAGNE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire