DANS LA BULLE D’IMOH

Bourreau des Mauves la saison dernière, le Nigérian de poche doit désormais apporter son étonnante explosivité au jeu d’Anderlecht. Retour sur un parcours cabossé.

Ironie du s(p)ort, celui qui a assommé et éteint les dernières illusions de titre la saison dernière, doit désormais aider à la conquête d’un 34e sacre. Le 17 mai 2015, au Parc Astrid, Imoh Ezekiel avait profité d’une énième absence sur phase arrêtée de la défense anderlechtoise pour crucifier d’un coup de boule rageur Silvio Proto. Un mois plus tôt, cette fois à Sclessin, Ezekiel en avait planté deux, dont l’un encore de la tête lors d’une victoire 3-1 des Rouches. Imoh Ezekiel bourreau des Mauves l’an dernier, c’est une évidence.

Déjà, en octobre 2013, le Nigérian avait bondi sur un centre tendu de GeoffreyMujangi Bia pour égaliser et venir, l’oreille tendue, allumer les plus chauds supporters. Une scène qu’Ezekiel a reproduite en mai dernier. Pas de quoi non plus fouetter un chat et craindre une acclimatation difficile pour la nouvelle bombe des Mauves. Ceux qui grognent la venue d’un ex-Rouche ne grognent jamais bien longtemps. Le temps d’un but, d’une célébration et tout est pardonné.

Dieumerci Mbokani était aussi réputé pour flinguer du Mauve et embraser son kop par un petit pas de danse provocateur. Deux titres plus tard après un deuxième passage, le petit déhanché de l’attaquant congolais n’était qu’un lointain souvenir. Ezekiel pourrait très bien marcher sur les traces de Mbokani. Mais dans un tout autre style. Si le Congolais pouvait se débrouiller seul devant, le Nigérian doit s’appuyer sur un partenaire offensif pour exprimer pleinement ses qualités.

 » A partir du moment où le coach a décidé d’opter pour une ligne offensive à deux attaquants, Ezekiel avait le profil idéal pour remplir l’une des deux positions « , souligne le nouveau T3 d’Anderlecht, Mohammed Ouahbi.  » Hormis Frank Acheampong, dont le rôle est moins axial, Imoh est un des rares à pouvoir apporter cette profondeur grâce à sa vitesse, son explosivité. Sa venue apporte de la variété à notre jeu. C’est aussi un élément qui peut être très utile quand on sera bas dans le jeu. Cette saison, on possède beaucoup de variété offensive, le coach peut donc opter pour plusieurs formules grâce à la concurrence.  »

Arrivé fin juillet au Sporting, ce Tomasz Radzinski 2.0 n’est pas encore à 100 %.  » Ce n’est qu’une question de rythme « , poursuit Ouahbi.  » Je suis persuadé qu’il dispose encore d’une grande marge de progression. Ici, il va développer sa technique gestuelle (les enchaînements pied droit-pied gauche, les contrôles-passes, etc), un point sur lequel on insiste beaucoup aux entraînements.

LES RAYURES DU ZÈBRE

Quand Imoh Ezekiel débarque en Belgique en janvier 2012 en provenance de l’Académie du 36 Lions FC, petit club de D2 de Lagos (mégalopole nigériane de plus de 15 millions d’âmes), il n’est encore personne. Ou plutôt un jeune Africain de plus à la conquête de l’eldorado européen. Après avoir essuyé un refus du Club Bruges lors d’un test de trois jours, le jeune attaquant de 17 ans convainc coaches et dirigeants du Standard de lui accorder une chance.

Mais ses débuts en Cité Ardente se font sur la pointe des pieds… gelés.  » ll avait tellement froid qu’il a plongé ses pieds dans l’eau chaude pendant des heures. Quand il les a ressortis, ils étaient brûlés et il ne savait plus les rentrer dans ses chaussures « , raconte Pierre Locht (directeur juridique du Standard), alors team manager.

 » A ses débuts, c’était un vrai petit gars du bled « , sourit son ex-équipier Reginal Goreux.  » Faut voir dans quelles conditions, Imoh est arrivé, c’était l’hiver, il faisait très froid et en plus l’atmosphère au club était bizarre (ndrl, Roland Duchâtelet avait repris le club quelques mois plus tôt). A ses débuts, il était très timide. Avec SébastienPocognoli, on a tenté de l’intégrer. Il s’est très vite rapproché de Daniel Oparé. Et heureusement qu’il a pu compter sur Pierre (Locht) qui était en quelque sorte devenu sa nounou.  »

 » Quand je l’ai connu à ses débuts, il était très sensible. Je me rappelle d’un jour où il avait pleuré à cause d’un différend avec les grands de l’équipe. Il était venu chez moi, ma femme avait préparé un plat africain, ça l’avait reboosté  » se remémore Paul-José Mpoku, aujourd’hui au Chievo Verone. La découverte de la neige et de l’hiver européen. La solitude de la vie occidentale. Le foot comme seule issue. Un scénario classique dont aurait pu s’inspirer Benoit Mariage pour son film LesRayures du Zèbre.

 » Mentalement, il est très fort. Malgré le froid, le jeu européen, il était déterminé à réussir. « , assure Goreux.  » Il ne vit que pour le foot « , résumait son conseiller, Luan Ahmetaj, l’homme qui l’a amené en Belgique  » Il mange et il dort foot. Pas de sorties, pas de filles, tout ce qu’il veut, c’est aller à Chelsea ! » Footballistiquement, on était encore loin du compte.

PIED GAUCHE CATASTROPHIQUE

 » Tactiquement, il était complètement perdu « , raconte Goreux.  » Au début il courait dans le vent surtout quand il s’agissait de presser en équipe.  »  » Et, techniquement, il était catastrophique à ses débuts « , enchaîne Polo Mpoku.  » Surtout son pied gauche ! C’est en bossant individuellement avec Peter Balette qu’il a rapidement progressé.  » L’ex-adjoint de JoséRiga à l’époque, va petit à petit façonner techniquement l’enfant de Lagos.

 » J’ai rarement assisté à une telle progression « , affirme Peter Balette.  » Je me souviens de son arrivée dans le vestiaire, petit et frêle. Il avait à peine transité chez les jeunes où il marquait beaucoup. José Riga le regarda avant de dire : – C’est pour les jeunes ou l’équipe première ? A l’entraînement, Imoh a tout de suite étonné par sa pointe de vitesse et son engagement. Il allait à fond dans les duels, ne craignait rien ni personne et il a fallu lui expliquer qu’un entraînement n’était pas la guerre. Petit à petit, l’effectif a compris que ce gamin était une pépite.  »

Alors qu’il signe ses premières apparitions sous Riga, c’est l’éphémère coache batave du Standard, Ron Jans qui va lancer sa carrière :  » Ezekiel est un phénomène. Il est tellement fort et rapide que les défenseurs adverses, souvent grands et puissants, sont incapables d’enrayer ses actions.  »

Mircea Rednic reprendra le flambeau et verra son attaquant nigérian désarçonner chaque week-end les défenses de l’élite. Le public rouche tombe rapidement amoureux de cette version plus frêle et moins éclopée de Emile Mpenza. Un style qui met le feu à Sclessin d’autant que l’homme ne ménage pas ses efforts.

Polo Mpoku :  » C’est un attaquant généreux dans l’effort, pas seulement un buteur du type Michy qui doit absolument marquer. Imoh faisait souvent le boulot par ses appels, ses courses. Et s’il a beau être petit, il a une détente de malade.  »

 » À l’Académie du 36 Lions FC, les jeunes travaillent la détente sur la plage, dans le sable. C’est très éprouvant pour les jambes mais cela renforce les muscles. « , explique son conseiller, Luan Ahmetaj.

LE BLUES DU BLING-BLING

L’arrivée de Luzon l’été 2013 va cette fois mettre en lumière la paire la plus explosive de notre compétition. Michy Batshuayi et Imoh Ezekiel permettent au Standard de démarrer le championnat en trombe. Si le jeu est quelque peu stéréotypé et fait de longs ballons, il est diablement efficace. Les défenses du royaume sont terrorisées par la vitesse et la complémentarité du duo.

Mais lors de l’emballement final, ça coince. Surtout dans le chef de Michy, obnubilé par un titre de meilleur buteur. Le Standard passe à côté du titre et de la rémunératrice Ligue des Champions et voit ses deux puncheurs quitter le navire.

Alors que Batshman tente la difficile et ambitieuse aventure marseillaise, Ezekiel accepte les petrodollars qataris. Ezekiel signe tête baissée pour un salaire annuel net entre 1,8 et 2 millions par saison, pendant quatre ans à Al Arabi. Une forme d’assurance-vie nous dira-t-il.  » Pour ma famille. Et pour mon académie au Nigeria qui a touché un pourcentage. Pour eux, ça représente une très grosse somme. Donc, tout le monde s’y retrouvait.  »

Sportivement, par contre, on est loin du compte. L’attrait est tout autre. Le petit gars de Lagos visite les concessionnaires de Doha et peut piocher deux bolides au milieu des Lamborghini, Bentley, etc. Le bling-bling qui fait tourner la tête des débuts ne dure cependant qu’un temps.

 » J’ai appris des choses sur la vie. Et j’ai découvert un univers où tout est grand, et où on te sert. Ma maison est très grande, je pourrais y loger une famille avec six ou sept enfants. Mais je suis seul dedans. Je referais cette expérience. Mais à 31 ou 32 ans, pas à 21. En début de carrière, tu dois faire d’autres choix.  »

EXCÈS DE VITESSE

Son retour à Liège en janvier dernier est vécu comme une libération. Alors qu’on le dit à court de rythme, il marque dès son come-back à Sclessin. La bombe Ezekiel est à nouveau sur orbite. Preuve éclatante de cette explosivité, le un contre un face au pauvre Guillaume François lors de la dernière journée des play-offs, où le Nigérian dépose vulgairement le défenseur carolo avant d’aller prendre à contre-pied le gardien NicolasPenneteau. Tout ça avec une déconcertante facilité.

Mpoku :  » Quand Imoh est en forme, je ne connais personne d’aussi rapide que lui.  »  » Même en Serie A, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait cette accélération sur les premiers mètres. Je ne sais pas d’où ça vient, peut-être qu’il devait échapper aux lions ou aux serpents, je ne sais pas (il rit). Et physiquement, il résiste aux duels, il a du répondant. Ça n’a plus rien à voir avec le Imoh qui se faisait bouger par tout le monde.  »

 » Sur 5 mètres, il te prend deux mètres « , poursuit Goreux. Si tu veux l’arrêter, il faut jouer court sur lui, et surtout pas le laisser se retourner et le laisser te défier en un contre un.  »  » En trois ans au Standard, ses progrès ont été incroyables, même dans sa façon de s’habiller. Au début, il portait vraiment des trucs bizarres « , rigole son pote, Paul-José Mpoku.

 » Imoh, c’est un gars qui sourit, qui ne pose pas de problème dans un vestiaire. Y a un domaine par contre où il casse la tête, c’est qu’il ne parle toujours pas français alors que je sais qu’il le comprend…  » ?

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Même en Italie, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait cette accélération sur les premiers mètres.  » PAUL-JOSÉ MPOKU

 » C’est un élément qui peut être très utile quand on sera bas dans le jeu.  » MOHAMMED OUAHBI, T3 D’ANDERLECHT

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