Dans l’ombre de CONTE

Allegri, en tête de la Serie A, a réussi son premier examen mais il se demande toujours s’il doit quitter le 3-5-2 pour son 4-4-2.

Le miroir peut renvoyer une image différente de soi en fonction du moment où on le regarde. Avec la Juventus, c’est un peu la même chose qui se passe actuellement. Dominante sur la scène italienne, la Vecchia Signora semble perdre ses moyens en Ligue des Champions. Pourtant, dans une poule comprenant Malmö et l’Olympiacos, avec l’Atlético Madrid comme seul gros calibre, on ne voyait pas ce qui allait priver les champions d’Italie d’une qualification pour les huitièmes de finale. Mais comme lors des deux précédentes saisons, les Juventini peinent. Et dans la Botte, cette fébrilité européenne alimente les conversations, affaiblissant quelque peu le mythe de cette équipe quasiment invincible en Serie A depuis trois ans.

Juillet. La canicule a délaissé l’espace d’un été une péninsule déprimée par les résultats de la Squadra Azzura au Brésil. En homme d’honneur qu’il conçoit être, Cesare Prandelli a démissionné de son poste de sélectionneur. Et voilà que l’homme à la base de la renaissance de la Juventus ces trois dernières années décide d’en faire de même. Antonio Conte claque la porte des Bianconeri, à deux jours de la reprise des entraînements. L’énergique entraîneur, frappé déjà par l’inconsistance de son invincible armada dans les joutes continentales, a demandé des renforts conséquents, ce que ses dirigeants lui ont refusé. Il a malgré tout décidé de rester une saison supplémentaire mais n’est plus persuadé par l’ambition du projet mis en place. Il est déjà rentré en conflit avec ses dirigeants sur certaines décisions stratégiques, comme ces longues tournées estivales peu compatibles avec la mise en place d’une préparation foncière, surtout l’année de la Coupe du Monde. Il ne lui manquait plus qu’une occasion à saisir pour claquer la porte. Il l’obtient avec la démission de Prandelli et la possibilité de lui succéder à la tête de la Nazionale.

Dans le Piémont, la nouvelle est accueillie avec effroi. Deux mois après le dernier titre, arraché avec un record historique de 102 points, voilà que le capitaine quitte le bateau !  » Ce n’est pas tant son départ que les conditions de son départ, à savoir un manque d’ambition des dirigeants, qui ont surpris et inquiété « , écrit le quotidien turinois généraliste, La Stampa.

Auprès des tifosi, c’est la douche froide. Depuis lors, c’est un peu comme s’ils se sentaient orphelins. Car, même s’il n’a pas fallu attendre longtemps avant de connaître le nom de son successeur, à savoir Massimiliano Allegri, cela n’a pas eu don de calmer les esprits chagrins. Allegri est en effet catalogué comme Milanista, lui qui avait entraîné l’AC Milan pendant trois ans et demi avant de se faire licencier en cours de saison dernière, décrochant au passage le Scudetto en 2011. Mais, malgré un titre, Allegri est perçu au-delà des Alpes comme le fossoyeur du grand AC Milan – pourtant bien aidé dans cette tâche par la politique d’économie menée par les dirigeants lombards – et surtout comme l’homme qui n’a plus cru en Andrea Pirlo, le laissant partir en 2011 à la Juventus, gratuitement. Deux casseroles qui lui collent encore aux basques.

Le 3-5-2 est-il compatible avec l’Europe ?

Face à des tifosi peu convaincus, sa tâche ressemblait à une mission suicide. Comment faire mieux (ou aussi bien) qu’un entraîneur qui a décroché trois titres d’affilée et qui vient de battre tous les records en prenant 102 points ? Allegri ne s’est pas laissé démonter aussi facilement. Farouche adepte du 4-4-2, il a eu l’intelligence de ne pas bousculer le 3-5-2 fétiche d’Antonio Conte, afin de ne pas déstabiliser une formation qui se trouve les yeux fermés. Et les résultats n’ont pas fléchi en Serie A où la Juventus trône en tête avec trois points d’avance sur l’AS Roma, enfilant huit victoires, un partage et une seule défaite.

Mais ce n’est pas pour autant qu’Allegri a séduit son auditoire. Le jeu n’est pas aussi fluide que sous Conte, certaines individualités comme Arturo Vidal sont transparentes et les défaites européennes face à l’Atletico (1-0) et surtout l’Olympiacos (1-0) ont, une nouvelle fois, révélé les limites de la Juventus. Le style Allegri laisse perplexe, lui qui a une personnalité complètement opposée à celle de son prédécesseur, très sévère et traquant chaque détail. Allegri est plus calme et moins dur. Il propose des séances d’entraînement moins longues et moins répétitives, et surtout il laisse davantage de liberté à ses joueurs. Cette façon de fonctionner ne peut que séduire le vestiaire et ne pose aucun problème aux trentenaires comme Gianluigi Buffon, Pirlo ou Giorgio Chiellini, habitués à se gérer, mais a ses limites avec les plus jeunes ou les plus volcaniques. Depuis l’arrivée d’Allegri, Vidal a la réputation d’être vu plus souvent dans les boîtes de nuit que sur le terrain, ce qui fait dire à certains journalistes italiens que sous Conte,  » Vidal aurait été recadré avant que ça ne sorte dans la presse. Allegri n’a pas su gérer la situation.  »

Mais la question principale demeure l’incapacité de la Juventus à se sublimer sur la scène européenne. Cette équipe si séduisante et vivace en Italie apparaît pataude et fatiguée en Ligue des champions. La faute à un noyau vieillissant (Buffon a 36 ans, Pirlo 35 ans, Barzagli 33 ans, Chiellini et Carlos Tevez 30 ans) ? A un manque de profondeur et de talent ? Ou à ce système du 3-5-2 que certains trouvent peu compatible avec les rencontres continentales ? Si les deux premiers points ne sont pas (encore) au centre des débats, la défense à trois bien. Et la victoire contre l’Olympiacos, arrachée avec un quatuor défensif, n’a fait qu’enfoncer le clou. Certes, pour ce match, Allegri a été forcé d’aligner un 4-4-2 puisqu’il ne restait que deux défenseurs axiaux disponibles mais cela a fonctionné !  » Le 4-4-2, nous l’avions déjà essayé en début de championnat, puis par nécessité, et pour ne pas enlever de certitudes au groupe, nous avons continué avec le système qu’ils connaissaient, en modifiant un peu l’interprétation « , a expliqué, après la victoire contre les Grecs (3-2), un Allegri dont la tâche principale consiste à se défaire de l’ombre pesante de Conte tout en maintenant le rythme des résultats. Une tâche d’équilibriste. La réussite du 4-4-2 devrait l’y aider et il n’y a pas de raisons que cela ne marche pas, des défenseurs comme Stephan Lichtsteiner ou Kwadwo Asamoah, particulièrement épanouis dans le milieu de ce 3-5-2, ayant déjà assimilé le 4-4-2, l’un à la Lazio et l’autre à l’Udinese.

L’avenir nous dira si la mue est en route et si, du même coup, le droit d’inventaire de la période Conte peut débuter. Car, l’avenir de cette équipe passe inévitablement par un parcours européen honorable. A quoi servirait le projet sans finalité ? A quoi servirait-il de dominer uniquement l’Italie ?

La classe de Pogba et l’efficacité de Tevez

Cependant, il n’y a pas que sur la scène européenne que cette Juventus attise la curiosité. En Italie aussi, malgré son siège de leader, certaines interrogations commencent à poindre. La Juventus reste confrontée aux limites de son noyau. Sans la classe d’un Paul Pogba qui prend de plus en plus les contours d’un fuoriclasse et qui s’est très bien dépêtré de l’ombre de Pirlo dont on voulait en faire un successeur naturel à ses débuts turinois et qui s’est finalement épanoui un peu plus haut sur l’échiquier, et le rendement de Tevez, la Juventus aurait également connu des problèmes domestiques. Elle doit désormais composer avec l’ambition dévorante de l’AS Roma, qui a déjà réussi à lui chiper Kostas Manolas et Juan Manuel Iturbe lors du mercato estival.

Alors que depuis trois ans, la Juventus passait pour la grandissime favorite au scudetto, elle doit désormais partager cette étiquette avec l’équipe de Rudi Garcia. Les deux clubs sont comparés et quand on ose dire aux dirigeants de la Juventus que sa rivale s’est montrée plus ambitieuse lors du mercato, ceux-ci répliquent qu’ils ont réussi à conserver (et même prolonger) Pogba, Vidal et Tevez alors que la Roma a perdu son roc défensif, Mehdi Benatia, parti au Bayern de Munich.

Les résultats leur donnent pour le moment raison mais les blessures dans l’axe défensif (Barzagli, Martin Caceres et Angelo Ogbonna sont blessés) ont convaincu Giuseppe Marotta, le directeur sportif, d’agir dans ce secteur lors du prochain mercato. Ailleurs, par contre, les solutions ne manquent pas. L’arrivée de Roberto Pereyra (qui a toujours bien répondu présent) permet à Allegri de faire souffler Pirlo quand il le faut. Et en attaque, Alvaro Morata et le jeune Français Kingsley Coman sont des alternatives crédibles au duo Tevez-Fernando Llorente.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » En Italie, Allegri est considéré comme un Milanista et comme l’homme qui a laissé partir gratuitement Pirlo à la Juventus. « 

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