Dans l’intimité des rois du nul

La vie poursuit son cours à Bruges. Rapport d’un lundi bleu au stade Jan Breydel.

Tiens, Gert Verheyen est quand même là. « Ah, vous êtes de ceux qui pensent qu’un joueur blessé peut rester chez lui. Et bien, croyez-moi, ça coûte plus de temps et d’énergie que de venir passer deux heures sur ce terrain ».

Olivier De Cock sourit, en branchant le percolateur du foyer des joueurs. Nous sommes lundi matin, un peu après 13 heures. Deux jours auparavant, le champion d’automne a réalisé son septième nul en huit rencontres. « Cockie » balaie ces considérations d’un péremptoire: « C’est du passé ». Par contre, ses mauvais résultats dans les pronostics que le groupe réalise avant chaque journée lui arrachent un juron : « Plus jamais je ne mettrai de X ».

Plus jamais? Plutôt extrêmes, les jeunes du Club. Ils veulent tout forcer. Comme si aucun match ne pouvait dorénavant se terminer sur un partage. « Ce n’est pas raisonnable », commente Dany Verlinden.

Dimitri Dobbenie, le kinésithérapeute, a affiché le nouveau classement Toto au mur du vestiaire. Tjörven De Brul mène devant Sven Vermant. Et le capitaine, Verheyen? Apparemment, il n’y a pas que les jeunes qui débloquent. « J’étais dans le Top 3 mais j’ai eu une mauvaise journée, et pour me refaire, je me suis lancé dans des paris audacieux qui m’ont fait tomber plus bas encore », explique-t-il.

« Quoi, Gaëtan Englebert vient de prendre Het Laatste Nieuws des mains de Stijn Stijnen? », poursuit Gert. Dans le Het Nieuwsblad, Jacques De Nolf annonce l’arrivée d’un nouvel avant. « Mais il y a déjà un attaquant. Sandy Martens peut se réentraîner. A condition que ses propres supporters ne le blessent pas dimanche. Et il y a Andres Mendoza. La casquette à l’envers, dépourvu du moindre sourire. « André » ne marque plus et il en a pris un peu trop à l’aise à l’entraînement ».

Un peu plus tard, Trond Sollied referme la porte de son vestiaire et indique aux joueurs le chemin du terrain. Ceux-ci obtempèrent gaiement. Bon temps, mauvais temps, le Norvégien demeure fidèle à son credo : rester soi-même, respecter les autres et bien s’acquitter de son travail. Il n’en faut pas davantage pour être heureux dans la vie.

Le groupe s’engouffre par la porte principale au moment où Dimitry pénètre dans la salle des joueurs par l’arrière-porte. Dimitry est un Géorgien d’origine israélienne qui organise en Belgique des matches contre des clubs russes et qui en profite pour placer un joueur ici et là: Shekiladze et Veretennikov au Lierse. Dimitry a une enveloppe en mains et nous demande où trouver Chris Van Puyvelde. Une enveloppe? Pour Van Puyvelde, l’entraîneur adjoint? Dimitry précise: « Je dois juste lui remettre cette invitation ».

Sur le terrain, un peu plus tard, Sollied transmet le message à Van Puyvelde. « Mais l’enveloppe n’est pas fort épaisse », rigole-t-il, avec un geste du pouce et l’index. René Verheyen rit aussi: « Une invitation? Je connais, c’est ce qu’on m’avait dit… »

« On peut rarement s’entraîner dans de telles conditions », enchaîne Sollied: « On a besoin de soleil. Il rend les gens plus heureux. Il est vraiment grand temps que la chaleur se manifeste et chasse doutes et angoisses ».

Aminu Sani est en tout cas prêt à se lancer dans une danse adéquate. Ses coéquipiers n’ont pu réprimer un fou rire quand le jeune Nigérian est apparu en bermuda.

De la ligne de touche, un petit groupe de pensionnés se demande si le Club se débrouillerait aussi bien contre Barcelone aujourd’hui. « Qui sait? Il se surpasse toujours contre des adversaires plus forts », avance l’un d’entre eux. « En championnat, tous nos concurrents se contentent d’entraver notre jeu. Défendre est plus facile qu’attaquer, évidemment ».

De fait, La Louvière, Harelbeke et Malines ont été jusqu’à aligner des stoppers dans l’entrejeu pour neutraliser le triangle brugeois. On fait la guerre à Bruges, qui est pourtant l’équipe la plus correcte du championnat. A Malines, on en était à 37 fautes contre 8. Sollied précise: « Vous n’êtes contraint à aucune faute quand vous êtes en possession du ballon. En plus, nous le récupérons avant de devoir entrer en duel ».

L’entraînement est léger. Soigneux à son habitude, Sollied détermine une surface de jeu avec ses cônes rouges, pendant que René Verheyen dirige l’échauffement, mélange de sprints et d’exercices avec ballon. Le noyau de 21 joueurs est ensuite divisé en trois. Deux groupes de sept -un gardien, trois défenseurs, trois attaquants- disputent un match sur un demi-terrain. Sollied et Verheyen jouent les arbitres. Le troisième groupe travaille les tirs au but avec Van Puyvelde sur l’autre moitié du terrain. On change toutes les vingt minutes.

« Maintenant, au tour des techniciens », crie Van Puyvelde, pour un exercice qui consiste à lifter le ballon et à le céder de la poitrine pour une volée. Nous voyons ainsi quelques jolis buts. Quand Vermant réussit son tir, Van Puyvelde lui demande si ça irait aussi avec un kilt. Il peut mieux, rayon humour. Un autre ballon frappe le filet. Il vient de De Cock, le seul joueur qui n’ait pas encore inscrit de but cette saison. Il lui reste huit matches, bien qu’un arrière droit ait des missions plus essentielles que de marquer un but.

Le groupe regagne le vestiaire. Un Yougoslave glisse deux vidéos dans les main de Sollied : des attaquants! Il referme la porte de son bureau et, avec le staff, les visionne. Une demi-heure plus tard, Van Puyvelde émerge. « Si les cassettes sont bonnes? Oui, vraiment du boulot de professionnel ».

De l’autre côté du couloir, la sono est à fond depuis un moment. Les jeunes raffolent de la musique et apparemment, ni le kiné, Geert Rijckebusch, ni Dany Verlinden ne sont dans les parages pour ramener le son à un niveau acceptable. La musique vient de la salle de fitness. On en parle depuis des années mais elle est enfin prête.  » Antoine Vanhove s’est personnellement impliqué. Vous voyez qu’on peut réaliser beaucoup de choses ici », commente Van Puyvelde, qui a entre-temps croisé Dimitry et possède enfin la fameuse enveloppe. « C’est une invitation pour un match amical à Ingelmunster, contre Moscou ».

C’est l’heure de la sieste au Klokke. Van Puyvelde se contente d’un bol de potage. Sollied, lui, est attablé devant une assiette de tagliatelles vertes aux épinards et un filet de poulet. Il demande ce dont souffre Lesnjak, qui boite. « Ne m’as-tu pas affirmé n’être jamais blessé? » Milan rit: « A condition qu’on ne me tabasse pas ».

Philippe Clement arbore un visage nettement plus renfermé. Depuis des mois, il s’impose des séances supplémentaires. Il a retrouvé son poids de forme. Il est même deux kilos en dessous mais il n’est toujours pas titulaire. A-t-il encore un avenir à Bruges? « J’évaluerai ma situation d’ici quelques semaines. Je ne peux plus attendre des mois sous peine d’être enterré. Je me plais ici, je me suis engagé pour la Blue Army, et ce soir, je reçois même chez moi un club de supporters d’Oekene, mais vous comprenez que je veux jouer. Quand j’ai été transféré, l’an dernier, le club souhaitait que je mette de l’ambiance, que je prenne les jeunes sous ma houlette, mais je ne peux rien faire de tout cela pour l’instant ».

Après le repas, comme tous les lundis à cinq heures moins le quart, on discute du match. L’entraîneur est au tableau. Il demande à plusieurs joueurs d’expliquer ce qu’ils ont fait et pourquoi sur quelques phases cruciales et ce qu’ils auraient dû faire. Sollied insiste sur le fait qu’on ne peut être en même temps en Bolivie et au Pérou et que le staff technique risque l’infarctus quand, dans l’entrejeu, quelqu’un oublie qu’il faut récupérer le ballon avant de songer à attaquer. Sur ces entrefaites, le GSM de Bratislav Ristic sonne. « Batta, puis-je te demander de ne plus téléphoner pendant une réunion? S’il-te-plaît! »

Verheyen demande la parole; Gert Verheyen. Il constate que l’équipe joue nettement plus haut qu’au premier tour. « Nous nous heurtons chaque fois à un mur, nous n’avons pas d’espace et nous ne savons pas où aller », a-t-il constaté de la tribune. « C’est comme si les joueurs étaient prisonniers de leur position ».

Sollied appelle à la patience : « C’est justement ce qui nous fait défaut collectivement. Nous n’employons pas les autres à bon escient. Si tout le monde fonce en avant, le joueur en possession du ballon est bien obligé de dégager en profondeur ou de rejoindre les autres ballon au pied, ce qui demande trop d’énergie ». Il continue, puis il transmet le programme de la semaine.

Le mardi, la pluie a modifié le programme: impossible de s’entraîner à l’extérieur. Mais ce n’est pas grave. Dimanche, s’il y a un petit rayon de soleil, Sani pourra réenfiler son bermuda, et De Cock, optimiste, pourra pronostiquer la victoire de Bruges.

Christian Vandenabeele

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