Dans l’axe

Au quart du championnat, le Lierse est deuxième. Il le doit à un calendrier favorable mais aussi à l’injection de talent reçue de Molenbeek. Emilio Ferrera est devenu entraîneur du Lierse, Jimmy Smet renforce la défense et dans l’entrejeu, Marius Mitu dirige la manoeuvre. Agé de 26 ans, il est enfin arrivé là où on le lui prédisait au Steaua Bucarest : dans un bon club.

De quelle famille provenez-vous?

Marius Mitu: Je viens de Bucarest. Mon père est pilote chez Tarom, la compagnie nationale. Il a également été footballeur, comme mon frère aîné, âgé de 34 ans. J’ai une demi-soeur car mes parents ont divorcé quand j’avais cinq ans. Mon père s’est remarié. Je me suis affilié au Steaua à six ans. J’y suis resté jusqu’à 18 ans.

Comment était la vie à Bucarest?

Meilleure au temps de Ceaucescu. Il y avait peu de chômage et de faim. Maintenant, la misère règne. C’est surtout ma mère qui nous a élevés. Grâce à elle, nous n’avons manqué de rien. Elle travaillait dans une usine. Ce n’était pas facile mais elle se débrouillait, notamment pour les soins. On n’a rien sans ordonnance ici mais en Roumanie, il suffit de le demander à la pharmacie. J’ai eu une enfance plus heureuse que les jeunes de maintenant. Ils ne s’aventurent plus en rue, ne jouent plus au foot: ils traînent devant la TV, l’ordinateur. Nous avions trois chaînes, deux roumaines et une bulgare, qui arrêtaient leurs programmes à 23h. Nous jouions dehors, sur un petit terrain, derrière le pâté de maisons. Parfois avec des boîtes. Il n’y avait pas de discothèque.

Vous retrouviez-vous dans les idéaux du communisme?

J’étais trop jeune. Le monde ne s’est ouvert à nous qu’après la chute du président. J’avais 13 ans. J’aurai voulu que ça se passe sans effusion de sang. Ceaucescu ne méritait pas d’être abattu comme ça, même si nous avons remarqué quelle différence nous séparait du reste du monde. En 1990, j’ai participé à un tournoi en France. Ce fut un choc culturel. Nous nous sommes rués sur tout, des choses comme le chocolat, que nous n’avions pas.L’équipe de l’armée

Le Steaua était l’équipe de l’armée. L’avez-vous rejoint parce qu’il était proche?

En un quart d’heure, j’y étais. L’affiliation était libre mais le club appartenait à l’armée. Le stade était à côté de la caserne et les spectateurs venaient en uniforme. Les militaires entretenaient le terrain, les vestiaires… Le Steaua était un habitué de la Ligue des Champions, il était le meilleur club du pays. J’y ai fait banquette. Je n’ai pas été titulaire. Mon frère m’a ouvert les yeux: je devais aller voir ailleurs. Le club m’a demandé de prendre patience, car il allait vendre des joueurs et aurait besoin de remplaçants. Mais je n’avais ni contrat ni liberté. Il m’a finalement prêté six mois à un satellite en D2 puis j’ai dû revenir, toujours sans contrat.

Comment avez-vous atterri à La Louvièreen 1995?

Les -18 ans ont disputé un tournoi au Cameroun. J’ai joué deux matches. C’était chouette: il faisait beau, les filles étaient jolies et nous avions de l’argent. Freddy Smets, l’entraîneur de La Louvière, était là. Il est venu en Roumanie pour un autre, trop cher, et il a appris que j’étais libre. Le Steaua a toutefois dit non. Mais je suis parti : je ne parlais pas un mot de français mais Jean Mora, le secrétaire louviérois de l’époque, m’a accueilli. Je n’ai pu jouer qu’après la quatrième journée. Je n’avais guère d’impact sur l’équipe, à 18 ans.

Vous n’êtes pas revenu en Belgique, après la trêve. Pourquoi?

J’ai passé les fêtes à Bucarest. Monsieur Gaone m’a écrit. Le Steaua exigeait une somme colossale. Le club a même envoyé une délégation à l’aéroport, pour me faire signer un contrat professionnel. Un bon contrat, négocié par Ion Becali, un des meilleurs managers de Roumanie. Un mois plus tard, l’UEFA a tranché: je pouvais rejoindre La Louvière pour 50.000 dollars. Elle m’a joint mais c’était trop tard car cette fois, j’avais signé. Et le Steaua s’est débarrassé de moi. Il m’a envoyé à Tirgoviste, où j’ai achevé la saison. M. Becali a réussi à me libérer, sachant que je ne percerais pas au Steaua, et m’a transféré à Constanta. Il voulait y former un grand club avec Hagi mais celui-ci n’a finalement rien investi. Sportivement, ce fut la cata mais j’y ai vécu des moments magnifiques. J’y ai fait la connaissance de Manuela, mon amie. Constanta est en bord de mer. Chaque jour, nous allions à la plage, avant et après l’entraînement. J’y suis resté deux ans en ayant l’impression d’être en vacances. Le soleil, la mer, les filles: difficile de se concentrer sur le boulot. L’été 1999, Becali a renoncé à son projet et s’est réinstallé dans la capitale. Il a acheté Rocar Bucarest, qui venait d’être promu. J’ai marqué 11 buts durant cette magnifique saison.

D’où le numéro 99

Non, en fait, je suis arrivé tard au RWDM et il n’y avait plus que des grands chiffres, dans les 30. J’ai demandé le 100. éa faisait mieux. Mais 99 était le maximum autorisé. Quand on m’a demandé mes motifs, j’ai inventé ça : je rêve de marquer 99 buts.

Avant Molenbeek, vous avez joué un an à Craiova.

Car Becali a encore changé d’équipe. Il emmenait des Occidentaux à nos matches et en le suivant, j’avais plus de chances d’être remarqué. C’est ce qui est arrivé. J’ai eu de offres de Turquie et d’Espagne mais ce n’était jamais assez pour Becali. Je gagne moins en Belgique que ce que j’avais à Craiova il y a deux ans et la vie est plus chère ici… Corruption roumaine

Le niveau régresse en Roumanie?

Un peu. Les bons joueurs partent plus tôt, avant même 20 ans. Je n’aurais pas dû attendre aussi longtemps. Regardez les résultats: seul le Nacional Bucarest reste en lice. Le Steaua est 14e en championnat. Le neveu de M. Becali a d’étranges façons: – Je ne vous paie pas tant que vous n’obtenez pas de résultats. Comme il a des hommes à la fédération, les joueurs n’ont aucun recours. On vend des matches, des arbitres déterminent le résultat de rencontres… j’ai tout connu. Un trentenaire peut peut-être s’en accommoder mais pas moi. Des présidents m’ont même dit que: -Nous devions faire de notre mieux… un peu moins bien, aujourd’hui. J’ai toujours refusé. Je jouais pour gagner, sinon, mieux valait m’écarter. Je suis resté en contact avec Monsieur Mora. Je lui rendais visite chaque hiver. Il m’a dit qu’il était temps de revenir en Belgique. Becali y était opposé et m’a promis tout et n’importe quoi pour me retenir. Il a saisi mes trois derniers mois de salaire à Craiova. Je ne les aurais que quand j’aurais prolongé. La suite illustre parfaitement l’état de notre football. J’ai exigé mes trois mois, soit 10.000 euros auprès de la fédération. Elle m’a répondu: – Pour 3.000 dollars, tu auras un avis favorable. J’ai accepté car c’était mieux que rien. Le lendemain, le club a obtenu gain de cause! Le président avait certainement offert plus.

On dit que vous avez joué en Provinciale.

Dépourvu de club en Belgique, je me suis entraîné avec l’US Centre. En trois matches amicaux, j’ai marqué neuf buts. J’ai écrit aux équipes de D1 mais seul le RWDM avait encore de la place. Freddy Smets m’était favorable et Patrick Thairet me trouvait quelque chose. J’ai été qualifié très tard. Thairet a été renvoyé, Ferrera a débarqué et a annoncé qu’il n’avait pas besoin de moi. Je n’avais pas encore joué, il ne me connaissait pas. Ce n’est qu’à la 11e journée, contre La Louvière, que j’ai fait mes débuts mais je manquais de rythme. Ensuite, j’ai fait la navette entre l’équipe et le banc. Je me sentais enfermé sur le flanc. Pendant la trêve, l’entraîneur nous a demandé nos deux positions préférées. J’ai écrit deux fois dans l’axe. J’ai eu ma chance contre St-Trond, nous avons gagné et je suis resté. Si le RWDM n’était pas tombé en faillite, nous serions dans les quatre premiers cette saison. Les quatre derniers mois ont été dramatiques : plus de salaire ni de prime. J’ai utilisé mes économies et j’ai dû mendier auprès de ma mère. En plus, j’ai dû payer un avocat. Puis avec l’été, la ritournelle est revenue: étais-je libre? Où allais-je atterrir? Le Lierse m’a fait la meilleure offre, grâce à Ferrera.

Peter T’Kint

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