DALLAS AU TIVOLI

Condamné aux PO3, Mons vit avec le spectre de la relégation depuis le début de la saison. L’occasion, pour notre magazine, de revenir sur les dernières descentes de clubs wallons en D2. Après Tubize en 2008-2009, place à La Louvière en 2005-2006.

« C’était infernal, on se regardait en chiens de faïence, on se demandait chaque week-end par quels coéquipiers on allait encore se faire entuber  » : Michaël Cordier a fait ses débuts pros dans des conditions très particulières. Replantons le décor.

La Louvière est un bon élève de la D1 : quatre bonnes saisons consécutives depuis sa montée en 2000. Victoire en Coupe de Belgique, débuts en Coupe d’Europe, et les championnats 2003-2004 et 2004-2005 ont été des grands crus avec une huitième puis une septième place. Mais pour la campagne suivante, on a quand même l’impression qu’il va falloir s’accrocher. Albert Cartier est parti.  » On lui proposait de prolonger mais il a préféré aller voir ailleurs. Peut-être qu’il avait déjà entendu parler de quelques trucs louches « , dit aujourd’hui Frédéric Tilmant. Il y a aussi eu des départs de cadres de l’équipe dont SilvioProto, Gunther Van Handenhoven, Wagneau Eloi, Geoffray Toyes, Mario Espartero, Yannick Zambernardi. A part Alex Teklak, Nordin Jbari et, dans une moindre mesure, Fritz Emeran, les transferts entrants sont inconnus ou presque : Frédéric Bosak, TrésorLuntala, Cesar Oulai, Sergio Sanchez, Egutu Oliseh, Jaroslaw Mazurkiewicz, AlexPasaoglu, Tiago,… On s’est servi dans la Réserve du Standard, en D2, dans les divisions inférieures françaises, en Argentine, au Brésil, en Pologne. Pas gagné.

A la tête de l’armada : Emilio Ferrera. Il va tenir jusqu’à un cruel 0-3 contre le Brussels, début octobre : 4 points sur 27, terminé bonsoir.  » Le contraste était total, peut-être trop brutal « , dit Tilmant, adjoint à l’époque.  » Avec Cartier, le dialogue était quotidien, facile, franc, direct. Quand il avait quelque chose à dire, il appelait le joueur et il allait droit au but. Ça plaisait. Ferrera était beaucoup plus réservé, distant. J’avais l’impression qu’il faisait tout pour éviter les conflits, même les simples discussions. Avec son staff aussi, la communication était parfois compliquée. Je ne savais pas toujours ce qu’il pensait alors que je n’avais jamais ce problème avec Cartier.  » Cordier se souvient d’un entraîneur  » peut-être trop pro pour un club comme La Louvière. L’approche tactique de Ferrera était remarquable mais, effectivement, le côté très familial du club ne lui convenait sans doute pas. Il mettait une barrière, un mur entre les joueurs et lui, le contact n’était pas simple, il n’y avait pas de conversations informelles avec lui après l’entraînement comme il y en avait avec Cartier. On passait d’un coach très expansif à un autre qui gardait tout pour lui.  »

Les pestiférés du foot belge

Les Loups tiennent leur meilleur classement de la saison après deux journées : ils sont à la 14e place. Après cela, ils resteront longtemps juste au-dessus de la zone de relégation. Et à partir du 23e match, ils ne quitteront plus les deux dernières places. Frédéric Tilmant est coach pour un match après le C4 de Ferrera, puis il reprend son training de T2, cette fois aux côtés de Gilbert Bodart. Le renard est dans la bergerie, La Louvière va droit dans le mur. On entend les premières rumeurs de matches arrangés par le Chinois.  » C’était ma première saison chez les pros : pas évident de s’affirmer dans un contexte pareil « , se remémore Quantin Durieux.  » Déjà, les clubs wallons, à part le Standard, sont un peu considérés comme des sous-clubs quand ils vont jouer en Flandre. Alors, avec tous ces bruits de corruption, c’était encore pire. En début de saison, beaucoup de gens parlaient de La Louvière en termes plus ou moins positifs parce qu’il y avait eu deux bons championnats. Mais dès qu’on s’est mis à évoquer le Chinois, le vent a complètement tourné.  » Alex Teklak déclarera en fin de saison :  » Je n’avais plus aucun plaisir à faire mon métier. Nous étions les pestiférés du football belge, c’était dur à vivre. L’influence des affaires extra-sportives sur nos résultats est incontestable. Toute la saison, ça a été Dallas avec des divorces, des bagarres, des rumeurs.  »

Moins d’un mois après l’arrivée de Bodart, il y a la fameuse victoire 1-3 à Saint-Trond. Un des 18 matches très suspects du dossier Ye.  » Je n’ai pas fait de commentaires à l’époque mais je trouvais que ce match n’était pas normal du tout « , dit Tilmant.  » J’ai eu l’impression qu’il s’était passé des trucs, plusieurs joueurs pensaient la même chose.  » Dans d’autres rencontres bizarres, c’est La Louvière qui s’incline.  » On parlait plus de matches suspects que de foot « , se souvient Quantin Durieux.  » Au début, je me disais qu’il était impossible que des coéquipiers trempent dans des affaires pareilles. Puis il y a eu tellement de rumeurs que j’ai commencé à y croire. Et l’ambiance est devenue pesante dans le vestiaire. On ne savait plus sur quels gars on pouvait encore compter. Et, logiquement, l’esprit d’équipe a disparu. Chacun pensait à sa pomme, on voulait se montrer parce qu’on avait compris qu’il n’y avait plus d’avenir à La Louvière.  »

 » On discutait beaucoup de toutes ces histoires « , raconte Cordier.  » Je me souviens de conversations avec Quantin Durieux, Alex Teklak et Olivier Guilmot. On disait : -Qui va nous saboter ce week-end ? On avait des soupçons mais c’était difficile de faire vraiment tomber les masques. Il y a plusieurs matches qui ont tourné d’une manière étonnante, j’ai assisté à des changements tactiques surprenants. On lisait aussi les journaux et il fallait être aveugle pour ne pas voir que Bodart jouait un drôle de rôle. Ces trucages ont provoqué la chute de La Louvière. Il y avait quand même du talent dans le groupe et je suis persuadé que sans toutes ces histoires, on aurait pu se sauver.  »

Un rêve brisé par un Chinois et des tricheurs

Fin février, Bodart démissionne – ou on le démissionne, question d’interprétation. Les finances sont au plus mal, Filippo Gaone ne veut pas payer un nouvel entraîneur et il demande à Frédéric Tilmant de s’y coller.  » J’avais déjà compris à ce moment-là que le maintien était une mission quasi impossible. Je n’avais pas d’adjoint à temps plein, et surtout, plus de groupe. Ce n’était plus qu’un rassemblement d’individualités, on ne pensait plus collectif. Il y avait trop de problèmes pour que les joueurs restent soudés. Tout le monde parlait des matches louches. A l’entraînement, j’assistais parfois à des scènes surréalistes. Des gens que je ne connaissais pas venaient au bord du terrain, parlaient à certains joueurs puis s’en allaient discrètement. Je ne te dis pas à quel point ils étaient encore concentrés sur les exercices que je leur demandais de faire ! Et les problèmes financiers achevaient de plomber l’ambiance. Des joueurs étaient payés en retard, d’autres ne touchaient plus rien. Ils me demandaient de faire quelque chose pour eux mais j’étais impuissant. Je pouvais simplement leur dire que ça finirait par s’arranger, qu’ils devaient faire confiance à Gaone parce que je le connaissais très bien. Moi aussi, j’avais parfois touché mes salaires en retard mais j’avais toujours fini par les avoir. Quand je leur disais de lui faire confiance, j’y croyais moi-même. J’essayais d’entretenir une ambiance plus ou moins positive mais c’était très compliqué. Si j’étais moi-même devenu défaitiste, ça aurait été un vrai cauchemar.  »

Tilmant termine la saison avec une majorité de jeunes joueurs dans l’équipe. Charleroi vient au Tivoli lors de l’avant-dernière journée : les Loups garderont un tout petit espoir de se sauver s’ils gagnent. C’est 2-0 à la mi-temps, 2-2 à la fin du match. Ce jour-là, un Alex Teklak dégoûté nous lance :  » Ce n’est pas aujourd’hui que nous sommes descendus. Nous étions déjà en D2 depuis plusieurs semaines. La deuxième mi-temps a été une illustration de toute notre saison. Encore une fois, des erreurs ridicules nous ont fait perdre tout le bénéfice de nos efforts.  » Il ajoute que  » si Filippo Gaone s’était mieux entouré, le club n’en serait pas arrivé là.  » Tilmant commente le sujet :  » Un jour, le président m’a dit qu’il avait du mal à tout assumer seul. Il a enchaîné avec ceci : -Mais ne te tracasse pas, Fred. Je cherche des investisseurs et je vais les trouver. Un peu plus tard, le Chinois débarquait.  » Il se considère comme  » une victime du scandale de corruption. Il n’était pas prévu que je devienne entraîneur principal. Je m’imaginais adjoint à La Louvière pour longtemps, je ne suis devenu T1 que par accident, et au plus mauvais moment. C’était un cas de force majeure. S’il n’y avait pas eu cette histoire de matches arrangés, La Louvière ferait peut-être encore partie du paysage de la D1, et peut-être que j’y travaillerais encore. Mon rêve a été coupé net par le Chinois et les autres tricheurs.  »

Privation de licence et chute en D3

Pour l’anecdote, c’est sur le terrain de Westerlo que La Louvière dispute son tout dernier match de D1 : défaite 2-1 avec un but marqué par le meilleur réalisateur vert et blanc de la saison, Aco Stojkov, un international macédonien arrivé à la trêve hivernale et qui a fait une partie de sa formation à l’Inter Milan. Il évolue aujourd’hui en Roumanie, suite logique de son goût pour le voyage : il a déjà joué en Pologne, en Serbie, en Suisse, en Hongrie, en Iran,…

Le drame hennuyer ne s’arrête même pas à cette rétrogradation. Dès le mois d’avril, donc avant la descente sportive, la commission des licences a privé La Louvière du droit d’évoluer en D1 et aussi en D2 la saison suivante. Gaone s’excite comme s’il avait pris une décharge, se lâche dans les journaux en visant Pierre François (à la fois directeur du Standard et expert juridique de la commission des licences) et va en appel. Le club est défendu par Jean-Pierre Deprez, l’avocat de Charleroi. Il relaie Laurent Denis, le conseil habituel de la RAAL, qui a déjà ses petits soucis avec la justice… La commission prive La Louvière de licence notamment parce qu’elle a une dette envers la Fédération. Une dette anecdotique de 44.000 euros mais le président joue au plus malin :  » Pour moi, ce paiement n’est pas prioritaire. Des clubs flamands ont déjà reçu leur licence sous condition alors qu’ils avaient une dette fédérale.  » En appel, le verdict est confirmé : le club doit repartir en D3, même avec un passif de trois points. Jean-Pierre Deprez affirme que  » La Louvière est le poil à gratter du football belge.  » Gaone ajoute que son club  » paie pour tous les événements des mois précédents « .

Fred Tilmant demande une audience au patron :  » Je lui ai dit qu’après une quinzaine d’années de collaboration, c’était fini pour moi. Ce club m’avait tout donné, j’y avais joué de la D3 à la Coupe d’Europe contre Benfica, j’y avais gagné la Coupe de Belgique, je m’y étais reconverti comme entraîneur. Mais je ne me voyais pas bosser en D3. J’ai fermé la porte avec le sentiment d’avoir assisté à un immense gâchis.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » On se regardait en chiens de faïence, on se demandait chaque week-end par quels coéquipiers on allait encore se faire entuber.  » Michaël Cordier

 » On parlait plus de matches suspects que de foot.  » Quantin Durieux

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