» D’un super Standard au dernier de Bundesliga « 

Le Brésilien révélé chez nous fait le buzz en Bundesliga.

A Mönchengladbach, on a rangé les perruques. Provisoirement. Des supporters avaient pris l’habitude de porter une grosse tignasse pour marquer leur soutien à Dante Bonfim (28 ans), le Brésilien ex-Carolo et ex-Standarman. Comme des fans d’Everton le font avec Marouane Fellaini. Mais en mai dernier, Dante a changé de look. Il avait promis que si le Borussia sortait gagnant de ses test-matches pour le maintien contre Bochum, il se raserait.

 » Je l’ai fait dans le vestiaire dès la fin du match retour. Mes coéquipiers m’ont dit : -Va maintenant te montrer aux supporters. Le match était fini depuis plus d’une heure, je pensais qu’il n’y avait plus personne dans le stade. Je suis sorti et j’ai vu que 10.000 personnes continuaient à chanter et attendaient pour voir ma nouvelle tête. Entre-temps, ça a déjà repoussé un peu. Et ça redeviendra comme avant.  »

Dante est en Allemagne depuis janvier 2009. La Bundesliga, il la kiffe à fond. Et son club, moribond lors des trois dernières saisons, roule aujourd’hui dans la roue des géants, se bat en tête du classement avec le Bayern, Dortmund, Schalke,…

Votre classement actuel est étonnant d’autant que l’équipe n’a pas beaucoup changé.

Dante : Mönchengladbach a transféré quatre joueurs. Et ils sont tous sur le banc !

Comment tu expliques cette métamorphose ?

Nous avions déjà fait un bon deuxième tour et nous continuons sur notre élan. A cause des test-matches, nous avons aussi eu dix jours de congé en moins que les autres : sans doute une bonne chose parce que nous avons moins perdu le rythme. Et nous avons retenu beaucoup de leçons de cette saison difficile.

Par exemple ?

Ça ne peut pas marcher quand tu cherches sans arrêt des excuses pour justifier tes mauvais résultats. Dès que nous prenions un but, les têtes tombaient, un deuxième suivait, puis un troisième bien souvent. C’est comme ça que tu te retrouves avec la défense la plus trouée d’Europe. Au lieu d’avoir les yeux en face des trous, on cherchait des prétextes : untel est blessé, untel est en méforme, untel est suspendu, on n’a pas eu de chance, etc. On se concentrait sur ces excuses faciles au lieu de penser au terrain. Tout le club a fait cette erreur, pas seulement des joueurs et le staff. Au deuxième tour, on a arrêté de tomber dans ce piège. En janvier, tout le monde a dit que le Borussia était mort. Nous avons bossé, le nouvel entraîneur Lucien Favre nous a fait remonter dans le classement.

 » Ce sera difficile d’aller au bout parce qu’on vient de très loin « 

Tu étais blessé à l’époque où l’équipe prenait des grosses claques chaque semaine mais tu étais quand même un défenseur du club qui prenait le plus de buts en Europe. Comment tu l’as vécu ?

C’était horrible. Je me suis cassé le pied. J’ai voulu vite revenir, et dès que j’ai rejoué, je me suis abîmé le genou. J’aurais pu avoir le beau rôle, dire que je n’étais pas concerné par les casquettes que le Borussia prenait. Ça aurait été trop facile, je ne suis pas comme ça.

Cette équipe peut jouer la tête pendant toute la saison ?

(Très sceptique). Ouille… ce sera compliqué. Nous n’avons pas un gros noyau. Il y a des jeunes doués mais ils n’ont pratiquement aucune expérience de la Bundesliga.

Vous avez gagné au Bayern et à Hambourg, vous avez battu Hanovre qui a été la bonne surprise de la saison dernière, vous avez atomisé Brême 5-0 : c’est malheureux de ne pas y croire un peu plus !

C’est clair que nous voulons faire quelque chose mais nous savons aussi d’où nous venons. Il faut garder les pieds sur terre : Mönchengladbach sort de plusieurs saisons très difficiles. Nous voulons avoir 40 points le plus vite possible parce qu’avec ça, tu es sûr de ne pas descendre. Après, nous pourrons viser plus haut. Avec 40 points à la mi-février, il te reste trois mois pour faire un truc très bien. Viser la Ligue des Champions par exemple. Mais je ne veux surtout pas m’aventurer… Comment ce groupe gèrera-t-il deux défaites d’affilée ? Serons-nous capables de nous en sortir sans trop de casse ? Personne ne peut répondre. Et c’est clair que, tôt ou tard, il y aura un creux.

 » On est reçu comme des princes « 

Comment vit-on le succès actuel au Borussia ? C’est l’euphorie à tous les étages ?

Oui parce que le club sort de plusieurs années de galère. Des gens se remettent à rêver, à comparer avec le Mönchengladbach de la grande époque, celui qui gagnait des trophées. Mais ils doivent comprendre qu’on aura encore besoin de beaucoup de temps pour refaire des trucs pareils. Le Borussia n’a plus rien gagné depuis 1995. Et depuis 12 ans, il n’a jamais fait mieux qu’une dixième place.

Tu as eu l’impression de débarquer dans un club de losers ?

Oui. Le club venait de remonter de D2 et se battait pour rester en D1. La pression était énorme, tout le monde avait peur d’essayer des choses. Aujourd’hui, ça revit. On nous met dans l’ouate, on nous gâte au niveau des voyages, on nous offre les meilleurs hôtels, on investit à plein de niveaux.

C’est un géant endormi qui peut se réveiller rapidement ?

Rapidement, non. Parce qu’il reste encore beaucoup de retard sur les clubs habitués à jouer le haut du tableau.

Marco Reus est un vrai phénomène cette saison : qu’est-ce qu’il a de si spécial ?

Il est très fort dans sa tête, c’est un bosseur, il ne lâche rien, il percute énormément, il va à 1.000 à l’heure avec le ballon, c’est terriblement compliqué de le contrer. Reus et le gardien Marc-André ter Stegen font un vrai buzz.

Le Borussia a près de 700 fan-clubs dans le monde entier !

C’est de la folie. Au moment de Noël, les joueurs sont envoyés un peu partout pour des réceptions dans ces fan-clubs. On peut nous demander de prendre l’avion pour Munich, Berlin, Nuremberg, Hambourg, Stuttgart,… Nous sommes reçus comme des princes, les gens nous offrent des cadeaux et tout ça.

Avant d’arriver, tu te faisais quelle image de la Bundesliga ?

Je voyais que c’était un championnat où on marquait plein de buts. Je préfère vraiment ça au championnat de France, par exemple, où il y a beaucoup de 0-0 ou de 1-1.

T’es étonné de tout jouer ?

Pourquoi ça m’étonnerait ? Depuis que je suis ici, je n’ai jamais été sur le banc quand j’étais fit. Les seules fois où je m’y suis assis, c’était quand je revenais de blessure et je demandais moi-même pour ne pas être sur le terrain.

 » J’en avais ras-le-bol de jouer à gauche avec le Standard « 

On te connaissait comme back gauche chez nous, mais ici, tu es un pur défenseur central.

C’est là que je me sens le mieux. Et c’est pour jouer dans l’axe que j’ai quitté le Standard en pleine saison. Là-bas, je ne jouais pas au poste où je pensais avoir un grand avenir. Mais Laszlo Bölöni avait son explication : -J’ai Oguchi Onyewu et Mohamed Sarr pour jouer dans l’axe et ce serait ridicule d’en mettre un de vous trois sur le banc. Il me disait aussi que j’étais le seul du trio à pouvoir jouer ailleurs qu’en défense centrale. OK, je comprenais, mais j’avais mes ambitions. Au Standard, je n’ai joué qu’une demi-saison dans l’axe : avec Michel Preud’homme, quand Onyewu avait été prêté à Newcastle.

Pourquoi tu te trouves plus fait pour l’axe ?

Pour viser un certain niveau mondial… je ne suis pas assez rapide comme back, je suis incapable d’enchaîner les rushes qui font mal. Dans l’axe, par contre, je cours plus vite que la moyenne. Et ma taille parle pour moi. Tu dois jouer à une place où tu peux faire des choses en plus que les autres, sinon tu resteras toujours limité à un certain niveau.

Tu as une formation de médian défensif…

Oui, j’ai longtemps été un pur numéro 6 au Brésil. A 18 ou 19 ans, un entraîneur m’a dit : -Tu peux être un bon milieu de terrain mais tu peux faire une très grande carrière comme défenseur central. Je lui ai répondu : -Comment tu peux être certain de ça, tu ne m’as jamais vu en défense. Et lui : -J’ai été défenseur gaucher, crois-moi, je sais de quoi je parle. On a tenté le changement, et c’était parti.

Cette formation de médian te donne envie d’aller encore vers l’avant ?

Bien sûr. Dès que j’ai le ballon, je pense verticalité. Mon premier choix est toujours de le donner vers l’avant. Si je vois qu’il n’y a pas de possibilité, seulement à ce moment-là, je regarde à gauche et à droite.

On te laisse t’aventurer vers l’avant ?

Je le fais à petites doses parce qu’ici, les contre-attaques, ça va très vite !

Daniel Van Buyten était dans les deux dernières équipes européennes du mois : qu’est-ce qu’il te manque pour faire la même chose ?

Jouer au Bayern ! (Il rigole). Mais bon, il y a trois choses à se demander : est-ce que le Bayern m’achèterait, est-ce que je serais dans l’équipe, et est-ce que je jouerais des bons matches ?

Tu as déjà été une fois dans cette équipe type européenne !

Oui, en 2009-2010. Le Borussia n’était vraiment pas bien. On va à Hambourg, qui est toujours invaincu, on est mené 2-1, j’égalise, je sauve ensuite deux buts tout faits, puis on gagne 2-3. La semaine suivante, on reçoit Stuttgart : on fait 0-0 et j’arrête toutes leurs attaques. C’est surtout grâce à ces deux matches-là que je me suis retrouvé dans l’équipe européenne. Je suis en pleine forme pour le moment mais je crois que j’étais encore plus performant à cette période-là.

 » Question joie de vivre, l’Allemagne, ce n’est pas Copacabana « 

Il y a des attaquants qui jouent à l’intimidation ?

Pas beaucoup. Comme le jeu est très ouvert, ils n’ont pas besoin de ça. Ici, il y a peu de comédiens, peu de triche. Et la presse est très rigoureuse sur ce plan-là, ça joue aussi. Si un joueur fait du théâtre, les journaux le démolissent et sa réputation en prend un coup.

Tu joues en défense centrale avec un Hollandais (Roel Brouwers) ou un Autrichien (Martin Stranzl) : c’est l’eau et le feu, l’insouciance brésilienne associée à la rigueur germanique ?

Oui, c’est un peu ça ! Un bon mix.

Brouwers a dit dans une interview :  » Dante aime se sortir de situations difficiles en y ajoutant la manière, un petit dribble par exemple.  » Ça peut se faire dans un championnat aussi rigoureux ? Le coach accepte ça ?

Je ne lui demande pas son avis. (Il éclate de rire). Et les gens aiment bien. Jusqu’à présent, je n’ai pas perdu une seule fois le ballon. Quand je peux sortir proprement en prenant quelques risques, je fonce. Si tu ne prends jamais de risques, tu stagnes. Il faut montrer sa personnalité, ce qu’on a dans le ventre. S’il y a moyen de donner une bonne passe tranchante ou de contourner un adversaire au lieu de taper bêtement un long ballon vers l’avant, je le fais. On me dit parfois : -C’est bien de prendre des risques, mais tu dois rester concentré. Je le suis à fond, pas d’inquiétude !

Avec un coach suisse, la discipline est aussi en haut de l’affiche ?

Oui et non. Favre est très rigoureux au niveau tactique, mais il ne nous casse pas la tête avec d’autres trucs en dehors du terrain.

L’Allemagne et sa légendaire rigueur, ce n’est pas difficile à vivre pour un Brésilien comme toi qui déborde de joie de vivre ?

Il y a un contraste et, oui, c’est parfois difficile au quotidien. Avant de venir en Allemagne, c’est important de te renseigner, pour savoir à quoi t’attendre. Quand tu prévois que ça risque d’être compliqué, ça se passe mieux que si tu t’attends à la plage de Copacabana… Ici, la météo n’est pas la même. Et les gens sont froids, réservés, ils ne parlent pas. Il faut l’accepter. Quand tu commences à comprendre les défauts des gens, tu as un gros atout.

C’est lourd au quotidien ?

Oui. Heureusement que j’ai ma femme et mes deux enfants. Avec eux, je joue, je blague, je chante, je danse, je rigole, je m’amuse. Tout ce que je ne peux pas faire au club, je le fais à la maison. Quand ça marche bien dans ton métier, tu peux oublier la mentalité ambiante. Mais quand tu es blessé, tu te dis à certains moments : -Merde, qu’est-ce que je fous ici, les gens me font chier et tout ça. Je vais me barrer. J’ai eu plusieurs blessures, et dans ces moments-là, les gens voyaient que je n’étais pas bien mais ça manquait de soutien. On ne s’intéressait pas beaucoup à mes problèmes. Il faut pouvoir passer au-dessus, te dire que tu es ici pour bosser.

Tu as parfois eu de vrais problèmes relationnels à cause de cette différence de culture ?

Les Allemands ont un passé, ça se sent. Certains vivent encore avec l’Histoire. Mon premier entraîneur ici, Hans Meyer, était un vieux qui avait encore une mentalité démodée. Du style : -C’est moi le boss ! Un Führer, quoi ! On ne pouvait quitter la table que quand il donnait le signal. Mais bon, je te répète qu’on oublie tout ça quand on pense aux raisons pour lesquelles on est venu : pour jouer au foot, avoir du succès. Je suis ici pour nourrir ma famille et donner à mes enfants ce que je n’ai jamais eu.

Tu as souffert de ton enfance dans un quartier pauvre de Salvador de Bahia ?

Non. On n’avait pas tous les jours les choses qu’on voulait sur la table mais je ne suis pas mort de faim.

Sept buts de la tête, un du pied ; sept corners, un coup franc…

Tu marques plus de buts qu’en Belgique, c’est étonnant.

Ici, on mise beaucoup sur les phases arrêtées. Contre le Bayern ou Dortmund, tu sais que tu as peu de chances de marquer sur une action de plein jeu, tellement ils sont bien organisés. Ces équipes-là ne misent pas trop sur les coups de pied arrêtés, elles cherchent plus à produire du jeu. C’est ce que le Standard faisait quand j’y étais. C’est normal quand tu es au-dessus du lot, c’est ce que les gens attendent de toi.

Tu as scoré huit fois avec le Borussia : systématiquement de la tête sur des phases arrêtées ?

Sept buts de la tête, un du pied. Sept corners, un coup franc…

Pas de regret d’avoir quitté le Standard avant le deuxième titre ?

Oui et non. Oui parce que j’aurais voulu aller au bout de cette aventure. Non parce que pendant mes six premiers mois ici, j’ai appris plus qu’en un paquet d’années. Souviens-toi : quand je pars, tout le monde se demande pourquoi je quitte la meilleure équipe de Belgique, qui était encore en Europa League, pour le dernier de la Bundesliga. On m’attend comme un vrai renfort mais je me blesse directement. Quand j’entre dans l’équipe, on a six points de retard sur le premier non relégable. Si on descend, c’est la cata pour moi, mon salaire est réduit de moitié. Un jour, je regarde ma femme, je lui dis : -Putain, qu’est-ce que je suis en train de faire ? A trois matches de la fin, on joue contre Cottbus, un concurrent direct : on gagne 1-0, but de Dante ! Dernière journée, il nous faut un nul contre Dortmund pour ne pas chuter en D2 : 1-1, encore Dante qui marque ! Cette saison-là, j’ai joué 10 matches et marqué trois buts importants. Mais nous sommes passés par la toute petite porte.

PAR PIERRE DANVOYE, À MÖNCHENGLADBACH – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Quand j’entre dans l’équipe, on a six points de retard sur le premier non relégable. Si on descend, c’est la cata, mon salaire est réduit de moitié. « 

 » Quand je peux sortir proprement en prenant quelques risques, je fonce. Si tu ne prends jamais de risques, tu stagnes. « 

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