D’un autre oeil

Sa blessure n’était finalement qu’un mauvais moment à passer. Il a appris à relativiser, il a changé.

Pour Alexandre Teklak, la saison 2002-2003 a véritablement commencé depuis dix jours. Victime d’une fracture du péroné après 20 minutes de jeu au Standard, lors de la première journée de championnat, il s’est retrouvé deux mois et demis sur la touche. Les blessures de nombreux défenseurs de l’Excel ont précipité son retour. Après une mi-temps en Réserve au Lierse voici dix jours, il était relancé dans le grand bain de l’équipe Première 48 heures plus tard et a directement été en mesure de tenir 90 minutes. Son retour a été accueilli avec satisfaction et soulagement, car depuis plusieurs semaines, le compartiment arrière des Hurlus avait tendance à prendre l’eau.

Cela n’a pas dû vous arriver souvent dans votre carrière, d’être ainsi attendu comme le messie?

Alexandre Teklak: De nombreuses personnes m’ont fait la même réflexion, en effet. Cela vaut aussi pour Gordan Vidovic et Marco Casto. Comme l’Excel encaissait beaucoup de buts, on se raccrochait aux convalescents comme à une bouée de sauvetage. Mais cela me gêne un peu. Je ne veux pas paraître prétentieux en laissant croire qu’avec moi, d’un coup, tout ira mieux. Je crois que la fatalité a joué un grand rôle. Les blessures et les suspensions ont obligé Lorenzo Staelens à modifier la défense à chaque match. Dans ces conditions, c’était difficile de trouver des automatismes. Or, dans une défense de zone, ceux-ci sont très importants.

Que s’est-il passé pour vous durant ces deux mois et demis?

J’ai pris mon mal en patience avec beaucoup de philosophie. Après le drame familial que j’ai vécu durant l’été – NDLA: S onbeaufrèreestdécédédansunaccidentdemoto-, j’ai appris à relativiser. Qu’est-ce qu’une fracture du péroné en comparaison avec cela? Ce qui m’a le plus ennuyé, c’est le plâtre qui m’obligeait à rester immobile. Heureusement, après cinq semaines, j’ai pu recommencer à courir. Finalement, ces deux mois et demi ont passé très vite. Et aucune complication n’a entravé ma rééducation. Au départ, on avait craint que je perde beaucoup de masse musculaire au niveau du mollet, mais cela n’a pas été le cas. J’ai rapidement retrouvé mes sensations. J’ai simplement ressenti un peu de fatigue après mon premier match complet: ce qui est tout à fait normal. Les années ont passé vite

A 27 ans, vous êtes désormais un joueur d’expérience…

Je n’ai pas l’impression d’avoir déjà 27 ans. Les années ont passé très vite. Lorsque je vois les jeunes arriver dans le noyau de Mouscron, je me replonge une décennie en arrière et je songe à cette période où, moi aussi, j’avais intégré l’équipe Première de Charleroi. J’avais 18 ans et c’est Georges Leekens qui m’avait offert ma première sélection. C’était contre l’Antwerp. Nous avions fait match nul: 0-0. En contemplant tous ces gamins de l’Excel qui ont encore tout à découvrir, je m’aperçois que j’ai déjà parcouru la moitié du chemin. Cela me fait une drôle d’impression lorsque j’y pense. Je me mets à leur place et je perçois parfaitement les sentiments par lesquels ils passent.

Vous vous reconnaissez en eux?

Oui et non. Les mentalités ont fort changé. Autrefois, les jeunes qui arrivaient dans le noyau A se faisaient tout petits. Ils n’osaient pas ouvrir la bouche devant des anciens comme Michel Rasquin, Fabrice Silvagni, Roch Gérard, Rudy Moury ou Yvan De Sloover. Aujourd’hui, la notion de respect se perd. Et pas uniquement dans le football. A l’école aussi, les enfants ne respectent plus leurs professeurs. La société a bien changé. J’ai l’air de parler comme un ancien combattant, mais cela m’interpelle. Il faut dire aussi que Georges Leekens, mon premier entraîneur en équipe-fanion, était plutôt du genre intransigeant. Robert Waseige, n’en parlons pas. Et Luka Peruzovic était également un adepte de la discipline. Tous les entraîneurs que j’ai côtoyés étaient très durs avec les jeunes. Aujourd’hui, je dois les en remercier. Car, s’ils m’ont formés footballistiquement, ils m’ont aussi formés mentalement.

Ce respect vis-à-vis des anciens, vous ne le retrouvez plus chez les jeunes de Mouscron?

Si, si. Ils sont tous très gentils et très sociables. Mais les jeunes d’aujourd’hui veulent tout, très vite. Ils n’ont plus la patience d’attendre leur tour. Le football a évolué. Les espoirs arrivent en équipe Première de plus en plus tôt. Et s’ils ne reçoivent pas leur chance directement, ils partent à l’étranger. Où ils peuvent gagner deux ou trois fois plus. L’arrêt Bosman a aussi modifié les comportements.

Aujourd’hui, quel regard jetez-vous sur vos dix premières saisons en D1?

Je préfère retenir les bons moments. Ceux vécus à Charleroi, notamment. C’était une ambiance unique. Ceux qui gravitent toujours dans l’entourage du club aujourd’hui me disent souvent que tout a bien changé. Ce que nous avons vécu ensemble dépassait le cadre du football. On adorait se retrouver après les matches, boire un verre. Des liens très forts se sont tissés. Je ne pense pas que je revivrai cela un jour. Entre autres parce que, désormais, les joueurs proviennent de tous les horizons. Ils ne sont généralement que de passage, et dans ces conditions, c’est difficile d’avoir de réelles affinités. Cela n’empêche pas que l’ambiance peut encore être très bonne dans le vestiaire, mais elle est différente. A l’époque, avec Marco Casto, Olivier Suray, Laurent Wuillot, Rudy Moury et les autres, nous formions une véritable bande. Aujourd’hui, le football est davantage devenu un moyen de gagner sa vie. L’attachement à sa région et à ses couleurs a tendance à disparaître. A l’instar de ce que d’autres ont déclaré avant moi, cela me fait mal de voir ce que l’on fait actuellement à mon Sporting. Ce club mériterait mieux.

Vous y retournez encore souvent?

Beaucoup moins qu’autrefois. Parce que l’ambiance me plaît moins. Et, aussi, parce que différents problèmes ont surgi qui me concernent. J’ai, notamment, été l’objet d’un redressement fiscal. Comme d’autres joueurs de l’époque. C’était encore l’ancienne direction, qui se lave les mains. Elle devait pourtant être au courant de la législation en la matière. Et puis, aujourd’hui, la direction actuelle a sali Bruno Heiderscheid. Il est mon manager et, par-dessus tout, mon ami. Le traiter d’escroc est totalement déplacé. Cela me fait mal lorsque j’entends cela. Il était à mes côtés dans les moments douloureux que j’ai vécus et je peux vous assurer qu’il a en grande partie raison dans tout ce qu’il réclame au Sporting. D’autres, à ma place, dissimuleraient le fait qu’ils sont encore régulièrement en contact avec Bruno Heiderscheid. Moi pas. Je ne parviens pas à cacher mes sentiments. Lorsque j’apprécie quelqu’un, je n’ai pas peur de l’avouer. J’ai horreur de l’hypocrisie.Plus de rêve de gosse

D’autres regrets? Comme le transfert avorté au Standard?

Je ne suis pas du genre à vivre avec des regrets. C’est vrai qu’à un moment donné, j’étais très proche d’un transfert au Standard. Tomislav Ivic avait voulu m’enrôler. L’affaire a capoté, entre autres pour une histoire avec mon manager de l’époque dont je ne veux plus parler. J’ai peut-être trop tardé à me décider, moi aussi. Tant pis.

Au lieu du Standard, ce fut Mouscron?

Oui, et je ne l’ai pas regretté. J’ai éprouvé un peu de difficultés au début, mais je me suis rapidement habitué. Je retrouve un peu l’ambiance conviviale de Charleroi. Le public est extraordinaire. Mais les mentalités sont différentes. A Mouscron, c’est beaucoup plus bon enfant. On peut sans problèmes venir au stade avec les gosses, on n’aura jamais d’ennuis.

L’avenir?

Je viens de resigner à Mouscron pour trois ans. C’est la seule certitude. Pour le reste, je ne me mets pas martel en tête. Lorsque j’étais jeune, je rêvais d’un transfert en Italie. Parce que ma mère est italienne et que j’ai toujours adoré la Juventus. C’était un rêve de gosse, comme tous les jeunes en ont. Aujourd’hui, je me rends compte à quel point c’était futile. J’apprécie ce que j’ai et je ne fais plus trop de projections sur l’avenir. Avec tout ce qui m’est arrivé, j’ai beaucoup réfléchi. Parfois, je me dis: – Qu’est-ce que j’ai pu être c…, à certains moments, en m’énervant pour des broutilles!

Vis-à-vis de Hugo Broos?

Entre autres. Il m’est arrivé d’avoir des mots avec lui. Avec le recul, je me dis qu’il avait parfois raison… et parfois pas. Mais, dans le fond, je crois qu’il m’appréciait. Et, lorsque je me suis blessé en début de saison au Standard, il a été l’un des premiers à me téléphoner. Cela m’a touché. Je découvre les vraies valeurs. La vie ne s’arrête pas au football. Pour l’instant, j’en profite et j’en fais profiter ma famille, mais je commence à comprendre qu’il existe d’autres priorités. Je le comprends d’autant mieux depuis que, mon épouse et moi avons pris une claque en plein visage pendant l’été. Je n’aime pas trop en parler, parce que cela me fait encore très mal. Ma belle-famille et moi, nous étions très liés. Je ne demande la compassion de personne. Lorsque des témoignages de sympathie me parviennent, j’apprécie. J’ai beaucoup apprécié, par exemple, que le président Jean-Pierre Detremmerie se soit déplacé dans les Ardennes pour les funérailles. Il n’y était pas obligé. Je lui ai fait part de ma gratitude en privé. Je ne l’oublierai pas.Tête brûlée et grand coeur

Derrière votre image de défenseur intransigeant et parfois tête brûlée, se cache en réalité un grand coeur?

Je suis sensible, c’est vrai. Sur le terrain, je défends mes couleurs avec rage. En dehors, des petites attentions me touchent. Ceux qui me connaissent bien le savent.

Les changements dans la société vous interpellent?

Oui, parce que j’ai des enfants. Et ce statut de père de famille a profondément modifié ma perception de la vie. Lorsque j’entends que des violences ont éclaté dans un établissement scolaire, je m’inquiète. Je me pose des questions pour l’avenir de mes enfants, je ne voudrais pas qu’ils soient mêlés à tout cela. La montée de l’intégrisme m’inquiète également. J’ai été terrifié par les attentats du 11 septembre. Comme beaucoup de joueurs de Mouscron, d’ailleurs. On en a souvent parlé entre nous. Aujourd’hui, lorsque j’entends toutes les tensions qui enflamment le Moyen-Orient ou les menaces d’attaque contre l’Irak, j’ai peur. Depuis que je suis père de famille, je ne réfléchis plus pour moi mais pour mes enfants. Je me demande dans quel monde ils vont vivre.

Daniel Devos

« Je me suis parfois énervé pour des broutilles »

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