D’ONOFRIO tire toujours les ficelles

Le meneur de jeu des Diables Rouges change totalement d’univers sportif et financier : est-ce dangereux pour son plan de carrière ?

Des hommes et des événements ont dégagé la voie qui a mené Axel Witsel de l’Estadio da Luz au stade Petrovski, de Benfica au Zenit Saint-Pétersbourg. Parmi les personnalités qui ont joué un rôle dans les négociations, il y a un certain DietmarBeiersdorfer. Cet Allemand n’apparaît pas encore dans l’organigramme du club russe. Il est arrivé sur les rives de la Neva début août et a endossé les responsabilités de directeur sportif du Zenit. Dietmar Beiersdorfer n’est pas un inconnu dans le monde du foot international. Ancien joueur de Fürth, Hambourg, Brême, Cologne et de la Reggiana, il a été retenu une fois au sein de la Mannschaft, contre la… Belgique, en 1991.

Après sa carrière de joueur, Beiersdorfer est devenu directeur technique à Hambourg, au Red Bull de Salzbourg, de Leipzig et de New York. C’est quand il dicte la politique sportive de Hambourg que Lucien D’Onofrio fait sa connaissance pour régler le transfert de Moreira au HSV. Ils échangent leurs cartes de visite : une relation d’affaires est née. Quand Dietmar Beiersdorfer débarque à Saint-Pétersbourg, on lui explique tout de suite que son club désire engager trois renforts, un pour chaque ligne. Alexandre Miller, une des huiles de Gazprom et du Zenit, ne rate aucun match et a promis de tout faire pour y arriver, révèle la presse russe.

Luciano Spalletti est un excellent coach, très philosophe, sacré champion la saison passée grâce à un jeu léché. Un T1 qui gagne a tous les pouvoirs en Russie. Ce fut le cas de Dick Advocaat au Zenit et il en va de même pour Spalletti. Il promet de transférer de grands noms du Calcio mais n’y arrive pas. Ses compatriotes ne se sentent pas attirés par les horizons russes. Par contre, en plus de bonnes connexions dans les Balkans (Gazprom est notamment sponsor de l’Etoile Rouge de Belgrade et de l’équipe nationale serbe), le Zenit connaît la veine portugaise. En 2010, les Russes engagent Bruno Alves à Porto (22 millions d’euros) après Danny en 2008, acquis pour 30 millions d’euros au Dinamo Moscou après avoir évolué au Sporting Portugal. La saison passée, les Russes sont éliminés en huitièmes de finale de la Ligue des Champions par Benfica, emmené par un grand Witsel qui tape dans l’£il de Spalletti. Ses adjoints, Daniele Baldini et Marco Domenichini, ainsi que les scouts du Zenit, tous italiens, sont signalés à Lisbonne où D’Onofrio a une maison. Le Zenit rêve déjà de Witsel, c’est certain.

Le Liégeois fait partie de l’écurie de Jorge Mendes (GestiFut), l’agent de Cristiano Ronaldo. La crise financière frappe au Portugal où Benfica est organisé en société anonyme et coté en Bourse depuis le 22 mai 2007. Mendes a aidé Benfica à court de cash-flow lors du transfert de Witsel. En échange de 3 millions d’euros, il est propriétaire à hauteur de 33 % du joueur, une pratique courante en Amérique latine où des hommes d’affaires possèdent un petit ou un gros pourcentage du titre de propriété d’une star ou d’une promesse. Mendes a amené Witsel de Liège pour un peu moins de 8 millions d’euros et Benfica a fixé la clause libératoire en cas de transfert à 40 millions d’euros. Plus jeune que Lucien D’Onofrio, Mendes contrôle de plus en plus les parts du marché des transferts. On dit qu’ils ne s’entendent pas trop bien mais ils se complètent : la force de la jeunesse et la roublardise de l’ancien.

Choix risqué ?

Pour Witsel, le Zenit s’est directement adressé à la direction lisboète. Mais Dietmar Beiersdorfer a d’autres cartes dont ses bonnes relations avec Jorge Mendes et surtout Lucien D’Onofrio qui a toujours  » dirigé  » Axel sans hésiter à le comparer à Zinédine Zidane. Beiersdorfer et le Zenit savent que Benfica ne refusera pas de mettre un peu de beurre dans ses épinards. De plus, et c’est étonnant, Witsel estime avoir fait le tour de la question au Portugal où les idées et les plans de l’entraîneur, Jorge Jesus, ne lui plaisent pas trop. Il a joué quelques matches au back droit, à son arrivée, et surtout dans un rôle de milieu de terrain ne devant jamais oublier son job défensif.

Pour Jorge Jesus, c’est la priorité alors qu’Axel Witsel songe d’abord à organiser la man£uvre. C’est Pablo Aimar qui a la baguette de chef d’orchestre. Et pour cette saison, Benfica a été chercher Carlos Martins à Grenade. Tout cela ne plaît pas à Witsel qui veut être offensif, toucher souvent le ballon, marquer plus de buts. En 2011-2012, par la force des choses et les plans du coach, Axel s’est contenté de 5 buts et 6 passes décisives en 51 matches, toutes compétitions confondues. Même s’il emballe Benfica, ces statistiques-là ne sont pas suffisantes au regard de sa classe.

Si Dietmar Beiersdorfer, Lucien D’Onofrio et Jorge Mendes jouent les premiers rôles, Thierry Witsel, le papa d’Axel, comprend les tenants et les aboutissants de la situation. Il réveille l’intérêt du Real Madrid où Lucien D’Onofrio a ses entrées via Zizou, entre autres. La presse en parle grâce à lui et cela incite le Zenit à accélérer la man£uvre. En réalité, le Real a une priorité : Luka Modric, Axel Witsel passe après l’international croate, même si Jorge Mendes tente vainement de bloquer ce transfert au profit du Belge. Modric est quand même acquis pour 40 millions d’euros et un contrat de cinq ans. Il n’y a plus de place pour Witsel à Madrid qui ne veut pas pêcher deux gros poissons. C’est trop cher et c’est la chance du Zenit où Witsel a même suivi un match avant de signer, comme Hulk de Porto. En tout, Benfica a cédé des joueurs pour un montant de 67 millions d’euros.

Avec un contrat de cinq ans (salaire : 3 millions d’euros nets), Axel peut voir venir. Beiersdorfer a payé 40 millions d’euros pour lui et il se frotte les mains. Sa campagne de transferts est réussie et il note à peine que la presse portugaise traite les Russes  » d’imbéciles dorés « . En Russie, les supporters du Zenit, dont Dmitri Medvedev, l’ancien président de la Fédération de Russie, sont aux anges. Anatoly Bychovets, ex-coach de l’équipe nationale russe, très présent dans les médias, estime que le transfert de l’international belge donnera une dimension plus moderne à la ligne médiane. Pavel Ignatovitch, une vedette qui joue pour le moment à Amkar, n’est pas d’accord. Il estime que la vague de joueurs étrangers, acquis pour des fortunes, empêche l’éclosion des jeunes. Ignatovich parle même de mauvais exemple dans le cas du Zenit. Pour lui, il faudra juger Witsel et Hulk après une série de longs voyages, de matches disputés sur de mauvais terrains et dans le froid polaire du sud de la Russie.

Le directeur général du Zenit, Maxim Mitrofanov, a dû descendre dans l’arène pour défendre la politique de son club. Inquiets, certains Russes se sont demandé si Gazprom n’allait pas augmenter le prix de l’énergie après le transfert de ces deux stars. Mitrofanov a précisé que Gazprom n’avait pas dépensé un rouble et que le Zenit, qui réalise entre 60 et 70 millions d’euros de bénéfice par an pouvait s’offrir de tels investissements. Personne ne l’a cru, mais c’est une autre affaire. Mitrofanov a ajouté des éléments intéressants. Selon lui, pour actionner la clause de rupture de son contrat, fixée à 40 millions, Witsel devait avertir Benfica à un mois de la clôture du mercato, ce qu’il n’a pas fait. Benfica n’était donc pas obligé de le vendre et le club n’a accepté que quand il a eu la certitude que le Zenit achetait aussi Hulk à Porto. Benfica a espéré jusqu’à la dernière minute pouvoir vendre Witsel au Real. S’il n’avait pu obtenir Hulk et Witsel, le Zenit se serait rabattu sur Nani et João Moutinho, avec qui il avait d’ailleurs négocié. Benfica touchera 10 % sur une éventuelle revente de Witsel (dont le transfert sera payé en deux fois), à condition que le prix de revente soit supérieur à 60 millions. Cela dit, la Russie a désormais un des meilleurs championnats d’Europe, même si ce n’est pas encore la Liga, la Premier League ou la Bundeliga.

Axel Witsel a-t-il un plan de carrière ou a-t-il opté pour l’argent en devenant d’abord un produit financier ? Même si le Zenit a des ambitions nationales et européennes et que Saint-Pétersbourg est une ville magnifique, le choix est risqué. Il y a un côté roulette russe dans sa décision. Axel Witsel affirme avoir besoin d’un nouveau challenge d’accord mais il se retrouve aussi en Russie car les grands clubs d’Angleterre, d’Italie ou d’Allemagne n’en ont pas fait une priorité. En tout cas, Witsel tente le grand écart en passant du Portugal à la Russie : il passe du chaud au froid, d’un jeu technique à un football physique et engagé, d’un monde moderne à un autre qui ne l’est pas encore, d’une mentalité latine à des traditions slaves. Tout est désormais très différent dans sa vie mais il pourra compter sur les conseils de Nicolas Lombaerts qui connaît Saint-Pétersbourg et la Russie comme sa poche. En cas de problème, Lucien D’Onofrio ouvrira d’autres portes et le conseillera à nouveau car c’est lui qui a les clés de la carrière d’Axel Witsel.

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS : IMAGEGLOBE

La presse portugaise traite les Russes  » d’imbéciles dorés « …

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