D.J. sonne faux ?

Dean Johnson, l’investisseur américain qui a repris le matricule 4 fin décembre dernier, est-il illusionniste ou mécène ? Enquête.

Menacé de radiation en raison de dettes fédérales, le FC Liège a peut-être disputé un des derniers matches de son histoire dimanche dernier au Parc Duden contre l’Union Saint-Gilloise. Récit d’une journée peut-être historique.

14 h 30, un homme s’engouffre dans le stade. Il prend place à deux pas des supporters, comme à chaque fois qu’il va voir son équipe. Il salue les uns, tape sur les épaules des autres. Son charisme est naturel. Il est américain et s’appelle DeanJohnson (52 ans) et depuis le 5 janvier, il est le nouveau président du matricule 4. Costard classieux, Porsche C, allures de golden boy friqué : les signes extérieurs de richesse sont bien là. En novembre, mandaté par un agent, il se présente au club et de nombreuses personnes se disent que cet homme, à l’abri du besoin, tombe à pic. Le club est englué dans d’inextricables problèmes financiers : les joueurs ne sont plus payés et une trentaine de créanciers se bousculent au portillon. L’homme est courageux et sans doute, un peu fou. Il est venu en Belgique en 1994 pour monter une affaire. Son truc à lui, c’est la finance et la gestion des entreprises. Son pedigree : des études de commerce à l’Hamline University of Minnesota complétées par un cursus suivi à l’Université de la Ruhr, à Bochum.

Selon certains échos, ce citoyen de St. Paul, la capitale du Minnesota, excellerait en business aux commandes de ses sociétés implantées en Belgique. Johnson maîtrise l’anglais, le néerlandais et l’allemand et  » assure se mettre prochainement au français « . Il fourmille de projets pour son nouveau club, promettant même, dans un futur proche, un écrin de 15.000 places avec hôtel luxueux, centre de fitness, etc. Son stade, il escompte bien l’implanter à Rocourt, là où l’ancien repère des Sang et Marine était niché.

Il est tellement convaincant que tout le monde à Liège lui mange dans la main. En quelques semaines, sans avoir l’air d’y toucher, il a réussi ce que le matricule 4 refusait depuis des années : projeter de transformer l’ASBL en société anonyme. Et ôter tout pouvoir décisionnel aux supporters qui, jusque-là, orientaient fortement la gestion du club.  » Mon objectif est de professionnaliser le FC Liège dans le cadre d’une vraie structure de société. Plus concrètement, je vais d’abord payer les joueurs, renforcer l’équipe lors du mercato hivernal et ainsi assurer son salut en D3… « , dit-il lors de son intronisation, rassurant les clubs de supporters.

 » C’est Don Quichotte sur un âne « 

Quand on sonde le passé américain de Johnson, la belle idylle prend du plomb dans l’aile. Il ne faut pas pousser ses ex- collaborateurs américains pour avoir des confidences. Car Johnson et le foot, c’est déjà un bout d’histoire. Aux USA, il est connu pour être l’éphémère président des Minnesota Thunder. Un club professionnel aujourd’hui mort sous cette appellation qu’il présida d’août 2007 à fin 2009.  » Lorsqu’il est arrivé, le club, qui était alors une institution chez nous en D2, allait bien « , raconte Brian Quarstad, journaliste sportif, qui a suivi jour après jour la disparition des Minnesota Thunder.  » Notre club n’avait aucune dette. À son départ, moins de deux ans plus tard, Johnson et ses partenaires devaient quelque chose comme un million de dollars aux employés du club, commerciaux, joueurs, entraîneurs, staff et au National Sports Center où l’équipe disputait ses rencontres. Plus grave : il avait demandé à ses employés d’avancer eux-mêmes des sommes pour payer les dettes. Des prêts qu’il ne leur a jamais rendus… Du jour au lendemain, on n’a plus trop entendu parler de lui jusqu’il y a quelques mois lorsqu’il a voulu revenir à la tête du nouveau club créé sur les cendres des Thunder. Mais quand on lui a demandé d’apurer ses dettes, il a rebroussé chemin.  »

Franchise endettée laissée à quai et personnel grugé. DJ aurait aussi formulé un tas de promesses qu’il n’aurait jamais tenues.  » A St. Paul, il avait promis un stade, une merveille technologique multifonctions qui inclurait aussi un stade de baseball « , poursuit Quarstad.  » Il l’avait appelé le projet Lafayette Yards. Mais, honnêtement, il n’a jamais eu les moyens de ses ambitions. Je connais d’ailleurs bien sa maman et sa s£ur. Elles savent ce qu’il fait et sont assez embarrassées par tout ça. Pour moi, il vit dans une autre réalité que la nôtre. Je pense qu’il fait ça depuis un petit temps, déjà. C’est un briseur de rêves. C’est Don Quichotte sur un âne…  »

Son de cloche un peu plus nuancé dans le chef de Scott Kersen, un bénévole au service des Minnesota Thunder de 1996 à 2009 et historien officiel du club :  » Dean Johnson a toujours eu beaucoup d’idées, chez nous ou à l’étranger comme à Majorque et à Dubaï. Mais, à ma connaissance, il n’a jamais rien payé pour le club si ce n’est une somme de 25.000 dollars afin de lancer la Minnesota Thunder Youth Academy, l’académie de jeunes du club. Je pense qu’il a perdu beaucoup d’argent à la suite de la crise. Pour donner une image, il se comporte comme une équipe : quand tout va bien, il répond présent. Par contre, si les événements se liguent contre lui, il explose. Je pense que si ça ne tourne pas, il quittera Liège sans arrière-pensée…  »

 » Moi, il me doit 5.000 dollars « , avance un ancien attaquant des Thunder, qui a souhaité garder l’anonymat.  » À d’autres, c’est 10.000 ou même 20.000 dollars qu’il doit. Ce sont des salaires, des bonus, etc. Il n’a jamais cessé de nous faire des promesses, des promesses et encore des promesses. Je pense qu’il n’a pas l’argent qu’il prétend posséder. On a essayé de le joindre, mais en vain. De grâce, ne faites pas de business avec lui. « 

Deux faillites et un mauvais signe

Interrogé sur ses déboires outre-Atlantique, Johnson a réponse à tout.  » La situation était difficile là-bas. Ce qui fut à l’origine de mes soucis aux USA, ce sont des conflits entre les différentes ligues de football. J’ai dû investir beaucoup d’argent pour faire jouer mon équipe dans la division adéquate. « 

Se planter, ça arrive dans les affaires comme dans le foot, sauf que quand on enquête en Belgique, la situation financière de Johnson n’augurerait rien de bon pour le matricule 4. Le bilan comptable de trois de ses sociétés n’est guère brillant.  » Ses  » car Johnson a créé au moins trois boîtes chez nous dont les sièges sociaux sont dans le centre d’affaires de Bruxelles. La Wingfield Corporation a été déclarée en faillite le 19 novembre 2009. Entre juin 2007 et juin 2008, elle a perdu quelque 7 millions d’euros. La Wingfield Reality a connu la faillite le 28 janvier 2010. Quant à la dernière, la Wingfield Capital Partner, impossible d’établir son bilan de santé puisqu’aucun bilan comptable n’a été publié depuis 2007. Une obligation pourtant légale.  » C’est souvent mauvais signe « , disent les comptables.

Mais peut-être n’est-ce qu’une apparence ? Et si, finalement, en dépit de ce qu’avancent ses compatriotes, la fortune personnelle de Johnson suffisait à aider le club liégeois ? Il y a quand même de quoi en douter puisque, de source sûre, il aurait aussi accumulé les factures impayées pour le compte de sa seule société encore active Place du Champ de Mars à Ixelles.  » Le loyer n’a plus été payé depuis des mois « , soupire un de ses anciens membres du personnel sous couvert de l’anonymat.  » Il doit de l’argent à tout le monde. Moi, j’attends toujours 15.000 euros. Des huissiers mandatés par différents clients harcèlent les bureaux de sa société qui ne sont plus occupés. On n’arrive d’ailleurs plus à le joindre… Je crains fort que, pour Liège, il n’opère de la même manière. Au mieux, il n’enverra qu’un e-mail où il s’engage à payer… « 

Entre-temps, Christophe Kinet, le tout nouveau coach, le capitaine Eric Deflandre et les joueurs attendent d’être payés depuis plus de trois mois. Et espèrent qu’il mette en application ses promesses reportées de jour en jour.  » On me demande de payer des factures, des salaires de joueurs, etc., mais laissez-moi un peu de temps pour structurer tout ça « , se justifie Johnson, interrogé sur la chose.  » Et puis, ces dettes liées au club, elles sont antérieures à mon arrivée. Je suis président depuis quelques jours à peine et je découvre des cadavres dans les placards presque quotidiennement…  »

Il est un peu plus de 20 h. DJ quitte le stade Duden après avoir assisté à la 13e défaite du FC Liège cette saison. Comme chaque semaine, depuis la fin novembre, il a serré des pinces, offert des bières et assuré, une fois de plus avec un aplomb incroyable, que l’argent était parti de son compte et qu’il allait arriver sur le compte des intéressés.

Suspendu par la FIFA ? Sans doute pas…

Il n’y a pas qu’à son ex-club que Johnson aurait laissé une ardoise. Il en aurait aussi laissé une à l’United Soccer League (USL), la ligue qui chapeautait la compétition dans laquelle les Minnesota Thunder évoluaient juste avant leur disparation.

 » Monsieur Johnson n’a pas respecté ses responsabilités à notre égard « , explique Tim Holt, président de l’USL.  » Il est parti avec une dette de 40.000 dollars. En gros, il s’agit d’amendes administratives et de cotisations. Je ne suis pas habilité à juger l’homme, mais, des fois, il arrive que des gens de bonne composition fassent des choses moins bonnes.  »

L’USL a évidemment alerté l’US Soccer, la ligue nationale qui pourrait, si elle le souhaite, prévenir la FIFA.  » J’ignore si elle va le faire. Franchement, on ne milite pas pour que Johnson soit puni ou suspendu de toute fonction dans un autre club dans le monde. Simplement, on souhaite qu’il aille, désormais, faire son business ailleurs. Ce n’est plus notre problème… « , confie Holt.

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