D’Artagnan

A 30 ans, il est autant incontournable à Arsenal qu’en équipe nationale de France.

L’agression

Mai 2002. Robert Pires foule le terrain de Highbury, sur des béquilles. Arsenal est champion d’Angleterre. Le Français est ovationné par les supporters pendant de longues minutes. Il est le dernier joueur à brandir le trophée de la Premiership. Malgré sa grave blessure au genou, il s’agit bien là de son titre à lui, de même qu’il a eu une part considérable dans la victoire en FA Cup, même s’il a raté la finale.

Pires reste sur la meilleure saison de sa carrière. Son plus beau titre de gloire, c’est sans doute son élection, par la presse écrite britannique, au titre de Footballeur de l’Année. Il le mérite car l’international français est inarrêtable et ses dribbles sont un régal pour l’£il. Lui-même trouve qu’il a la démarche d’un canard. Disons alors qu’il a un dandinement magistral car cette saison-là, tout ce qu’il touche se transforme en or. Pires a marqué neuf buts mais a surtout délivré 15 passes décisives, qui lui valent le titre informel de roi des assists.

Pires se focalise sur le Mondial coréo-japonais, jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Nikos Dabizas, le défenseur grec de Newcastle le 23 mars 2002 en coupe. L’équipe du nord est rapidement menée 2-0, notamment suite à un but de Pires. Frustré, Dabizas, qui évolue maintenant à Leicester City, tacle violemment le Français, qui, dans une ultime tentative pour éviter cette agression, retombe mal. Bilan : déchirure d’un ligament croisé et six mois de revalidation.

 » Je pensais ne manquer que la préparation au Mondial « , explique Pires qui fait une croix sur le tournoi. On ne peut imputer l’échec des Bleus, éliminés au premier tour, aux absences de Pires et de Zidane mais comme le joueur du Real, le Londonien était un maillon important de l’équipe de Roger Lemerre.

Le mauvais exemple

La famille Pires a toujours adoré le football. Antonio, le père portugais de Robert, est un supporter fanatique de Benfica. Sa mère espagnole, Mabel, soutient le Real Madrid. Tous deux ont émigré à Reims.

A huit ans, Robert peut jouer pour un club, Reims Sainte-Anne, lequel a d’ailleurs baptisé son stade du nom du joueur. Quand il n’est pas au club, Pires joue au foot avec son frère cadet, Tony, à l’extérieur, ou à la maison, avec une balle en caoutchouc. Son père a également joué mais son oncle José Fernandez a fait mieux, puisqu’il a joué en équipe fanion du Stade de Reims, comme professionnel.

 » C’était l’exemple à ne pas suivre, au fond « , raconte Pires.  » Mon oncle a trop profité de la vie et a galvaudé son talent. Grâce à ma mère, je n’ai pas marché sur ses traces. Elle a été dure à mon égard. Je lui en suis reconnaissant. Elle ne cessait de me demander si je voulais finir comme mon oncle « .

Son jeu aventureux, ses longs dribbles et une moyenne de 20 buts par saison ne sont pas passés inaperçus. A 14 ans, Pires a signé un contrat amateur au Stade de Reims. Chez le double finaliste de la Coupe des Clubs Champions, qui milite maintenant en D3, Pires perd sa liberté d’action. Même s’il évolue derrière les attaquants, il n’est plus celui autour duquel tout tourne. Pour la première fois de sa vie, il est confronté à un milieu dur. Le plaisir cède la place à la pression et il envisage d’arrêter les frais.

 » Je pensais qu’il n’y avait pas de place pour moi dans le football professionnel. J’étais trop petit, pas assez rapide. On me bousculait trop facilement. Je jouais dans la troisième équipe, sans perspective « .

Ses parents l’ont convaincu de persévérer. Pires, qui suit aussi des études sportives lourdes, est récompensé de ses efforts par un diplôme et un premier salaire de 130 euros.

Magistral à Metz

En 1991, le Stade de Reims demande pour la deuxième fois sa mise en faillite. La plupart des joueurs s’en vont. Lorsque le FC Metz s’intéresse à Robert, la famille Pires ne doit pas y réfléchir à deux fois. Dans le club lorrain, le jeune Robert se fait définitivement un nom. Il y découvre les dures lois du football de haut niveau et comprend que peu d’élèves de l’académie stricte atteindront l’équipe fanion.

 » La vie d’un espoir est dure « , affirme Pires.  » Il faut être blindé, ne jamais baisser les bras et être prêt à affronter chaque phase, car toutes sont difficiles. Enseignants et entraîneurs ne vous font pas le moindre cadeau. J’étais seul, sans famille, dans une ville inconnue. C’était à moi de ne pas échouer « .

Pires devient vite une valeur sûre de l’équipe B quand Benfica se manifeste pour lui. Le président de Metz, Carlo Molinari, repousse résolument l’offre généreuse. Pour le médian, c’est le signe qu’il est en bonne voie. Sous la pression des journalistes, le staff technique fait passer Pires dans le noyau A.

 » Joël Müller, l’entraîneur, avait besoin de quelqu’un à gauche. Ce fut ma chance « , se souvient Pires.  » Je dois vraiment avoir fait tout correctement car, alors que je n’avais que 20 ans, je n’ai plus quitté l’équipe. L’entraîneur a déclaré que j’étais son joueur clef et j’aimais arpenter mon flanc. A la fin, je pouvais faire ce que je voulais. J’ai vécu six magnifiques années à Metz. Mon seul regret est que nous avons raté le titre en 1998, à la différence des buts, au profit de Lens « .

La personnalité de Pires se développe aussi. Il rencontre Nathalie, sa future femme, qui travaille au stade Saint-Symphorien de Metz. Dieu prend une place importante dans sa vie, quand un de mes meilleurs amis décède d’un accident de la circulation. Pires :  » La mort fait partie de la vie. Nous y sommes tôt ou tard confrontés. J’ai confiance en Dieu et en moi-même. Je sais que je reverrai Fabien un jour. Avant de monter sur le terrain, je fais discrètement le signe de la croix. Nous sommes sur terre parce que Dieu nous a accordé la vie. Chacun a reçu un talent. Il doit l’utiliser « .

Difficultés à Marseille

L’été 1998, l’Olympique Marseille transfère Pires contre neuf millions d’euros. C’est un record français pour un transfert intérieur et l’international va gagner huit fois plus. Un rêve se concrétise pour Pires : il va jouer dans un grand club. Ses parents, sa femme et le président de Metz lui conseillent pourtant de choisir l’AS Monaco. Ils pensent que le médian va sombrer, dans la violente Marseille. Pires opte malgré tout pour l’Olympique, rassuré par la présence de Christophe Dugarry et Laurent Blanc. En outre, Rolland Courbis, l’entraîneur extraverti de l’OM, pense qu’il sera le joyau de son entrejeu. La première saison, Pires est d’ailleurs brillant. Il joue 34 matches, marque six buts et l’Olympique rate le titre de peu. Il atteint la finale de la Coupe UEFA, mais Parme est trop forte (3-0).

La deuxième saison s’achève en drame. Après le départ de Blanc pour l’Inter, Courbis lui confie le brassard. C’est le début de la fin :  » J’ai accepté l’expérience mais avant même le début de la saison, ça me trottait en tête. Le capitaine doit être un leader, quelqu’un qui sait communiquer avec un groupe. Je me demandais si j’en étais capable. Maintenant, je peux dire que je ne le pouvais pas. Je n’avais pas les épaules assez solides pour ça « .

Il traverse une crise et a le sentiment de ne plus pouvoir faire confiance à personne, pense que tout le monde discute derrière son dos. Supporters et journalistes réclament des explications sur les mauvais résultats, car l’OM lutte même contre la relégation. La pression est trop forte pour lui. Pires consulte un psychologue à Monaco.

Le pire est à venir. Suite à une défaite 5-1 contre Saint-Etienne, en décembre 1999, les supporters encerclent l’hôtel des joueurs, qui doivent y passer la nuit. Pires :  » Le lendemain matin, quand l’entraîneur, Bernard Casoni, a demandé qui voulait aller discuter avec les supporters, ce fut le silence. Nul n’osait même lever les yeux. Finalement, j’ai levé la main car j’étais le capitaine « .

Ce geste incite cinq autres joueurs à accompagner Pires :  » Nous savions que ça n’avait aucun sens car ils étaient mécontents des résultats. C’était un piège. Nous pensions rencontrer quelques supporters mécontents au complexe d’entraînement mais ils étaient 200. Il n’y avait aucune mesure de sécurité. La direction du club savait ce qui se passait mais ne nous en avait pas informés. L’ambiance était menaçante. Nous nous sommes enfuis dans les vestiaires. On a démoli nos voitures, il y avait de la fumée partout. La police est arrivée mais nul n’a obéi à ses injonctions. Les supporters ne voulaient qu’une chose : envahir les vestiaires pour s’attaquer à nous. Quand les chefs des sept clubs de supporters nous ont demandé d’assumer nos responsabilités, il y a eu enfin une ébauche de discussion mais il a fallu encore beaucoup de temps pour que tout se calme « .

Les joueurs se sont sentis abandonnés par le club. Pires a voulu quitter l’OM. Malgré son contrat de sept ans, l’OM a accepté, à cause de la situation.

Louanges à Londres

Après l’EURO 2000, Pires a l’embarras du choix. Finalement, Arsenal et le Real Madrid restent en lice. Il opte pour le club londonien car il craint de retrouver à Madrid la pression qui avait eu une si mauvaise influence sur son jeu dans le sud de la France. Arsenal débourse 9,5 millions pour Pires, qui s’inspire des aventures d’ Eric Cantona à Manchester United. Arsène Wenger, le manager, veut aligner Pires à gauche. Il lui donne l’occasion de prendre sa revanche sur l’épisode marseillais :  » Tu dois utiliser tes qualités et retrouver ton assurance « , lui explique l’entraîneur.

Pires a un visage classique, des cheveux sombres soignés et une fossette entre le menton et la bouche. Il n’en faut pas plus pour que son coéquipier Tony Adams le compare à D’Artagnan. Arsenal a maintenant son mousquetaire mais celui-ci doit s’habituer à la vitesse du jeu anglais. C’est pour ça que Wenger ne reprend pas Pires pour le premier match de la saison 2000-2001. Il peut ainsi s’imprégner tranquillement de l’atmosphère et voir comment ça se passe.

 » J’étais sur la ligne de touche mais au bout de 25 minutes, j’étais complètement perdu « , raconte Pires.  » Jamais encore je n’avais vu de tels tacles, soutenus s’il le fallait par des bras largement écartés. Comment allais-je imprimer ma marque sur un jeu pareil ? La passion des tribunes et la violence du jeu m’ont considérablement impressionné et je suis tombé amoureux du football anglais « .

Pires est anxieux, durant cette première saison, mais il joue quand même 33 matches. Il ne marque que quatre buts. Le jeu est trop physique pour lui, il est fréquemment dépassé. La somme de son transfert est oppressante mais la confiance de Wenger et les conseils de ses coéquipiers français l’aident à franchir ce cap.

Durant sa deuxième saison londonienne, Pires retrouve la liberté qui a été si importante pour la qualité de son jeu. Le médian s’est renforcé physiquement et il peut enfin soutenir le rythme du jeu d’Arsenal. Il se défait de toute retenue. Jusqu’à l’agression de Dabizas, il est plus brillant qu’il ne l’a jamais été.  » J’ai largement récupéré à Arsenal la confiance que j’avais perdue. J’ai pris de plus en plus d’initiatives, ce que l’entraîneur et les joueurs attendaient de moi, en fait « .

Pires a éclaté tard mais à temps. Il est désormais un élément-clef d’Arsenal, auquel il est lié jusqu’au 30 juin 2007 :  » Parfois, je pense à achever ma carrière en France mais je veux arrêter au plus haut niveau. Donc, je veux rester dans un grand club, comme Arsenal. Je joue dans un championnat relevé, avec des supporters fantastiques, dans une bonne ambiance. En plus, j’ai découvert des tas de choses ici. Je m’intègre de mieux en mieux. Je me sens chez moi « .

Wenger a parfaitement résumé l’importance de Pires à Arsenal :  » Nous jouons de manière plus dynamique quand il est dans l’équipe. Il est l’huile de notre moteur « .

Marco Timmer

 » Je suis tombé AMOUREUX DU FOOTBALL ANGLAIS « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire