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Cyclosophe accompli

Philosophe, écrivain, voyageur, auteur et désormais cycliste pro confirmé par une deuxième saison aboutie au sein de l’équipe Wanty-Groupe Gobert, Guillaume Martin est une folie dans le monde stéréotypé du sport de haut niveau. Portrait d’un bipolaire.

Guillaume Martin va vite. Très vite. Sur le dernier Tour de France, sa 23e place finale décrochée au culot a confirmé tout le bien que le petit milieu averti du cyclisme hexagonal pensait de cet espoir français parti tenter l’aventure du professionnalisme en Belgique, du côté de chez Wanty-Groupe Gobert. Moins étourdissant et donc logiquement resté dans l’ombre des omnipotents Romain Bardet, Warren Barguil voire Lilian Calmejane, le néophyte normand aura, pourtant, lui aussi eu droit à son heure de gloire.

Guillaume Martin a remporté l'édition 2017 du Tour de Toscane.
Guillaume Martin a remporté l’édition 2017 du Tour de Toscane.© belgaimage

Avant même que ne soient donnés les premiers coups de pédale du Tour, le journal Libération lui taille le portrait et la France découvre en quatrième de couverture du journal d’opinion, un coureur atypique. Pour ne pas dire hybride. Un homme aux mille passions dans un milieu qui sort rarement le nez du guidon, ça fait du bien. Souvent bafoué, le terme de  » sportif-intello  » prend avec Guillaume Martin tout son sens.

Passionné de philosophie depuis ses 15 ans, le grimpeur normand redonne du sens à la formule. Pas seulement parce que son coéquipier Thomas Degand le décrit comme  » le seul sportif à lire autre chose que les pages sport du journal au p’tit dej’ « , mais aussi, et surtout parce qu’à seulement 24 ans, Guillaume Martin combine de front son activité de cycliste professionnel à un tas d’autres passions plus en lien avec sa formation d’élève surdoué.

Pompeuse, un peu caricaturale, la locution n’en est pas moins foutrement vraie. Surclassé scolairement dès la deuxième primaire, Guillaume Martin a, depuis, pris l’habitude d’être étiqueté comme le cerveau de la bande. Ses états de services ne trompent pas. Son bac littéraire obtenu avec mention TB, ce Normand d’adoption, né Parisien, intègre une classe préparatoire aux grandes écoles.

Sciences Po puis l’ENA, l’école des présidents de la Ve République ? Très peu pour lui. Agacé par l’ambiance  » bête à concours  » de ces formations d’élite, Guillaume rejoint l’Université de Rennes pour y faire de la philo à plein temps. Trois ans plus tard, il en ressort avec le titre honorifique de major de sa promotion avant d’enchaîner avec un Master et de clôturer ses études deux ans plus tard avec un mémoire intitulé  » Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne ?  »

Une passion sans borne pour Nietzsche

Pas le temps de souffler, le tout frais diplômé d’un Master 2 en philosophie se lance à corps perdu dans une carrière cycliste fructueuse. Un coming-out sportif qui ne doit rien au hasard pour ce fils d’une mère comédienne et d’un père professeur d’aïkido. Car, depuis tout petit, Guillaume Martin jongle entre deux mondes qui n’ont pas grand-chose en commun.

 » Pourtant, je le jure, je n’ai jamais été un extra-terrestre. C’est juste qu’il n’y a jamais eu de hiérarchie entre l’intellectuel et le physique. J’ai commencé le vélo à 13 ans et, en parallèle, je prenais autant de plaisir à lire  » Ecce Homo  » de Nietzsche qu’Harry Potter de J.K.Rowling. C’est pareil aujourd’hui, je m’amuse autant devant un gros blockbuster que devant un film d’art et d’essai. Quoique, les gros blockbusters, parfois, c’est un peu lisse…  »

Ce qui l’est moins, c’est la passion sans limite que le Français voue àFriedrich Wilhelm Nietzsche, philosophe et poète allemand de la deuxième moitié du XIXe siècle.  » Ce que j’ai tout de suite apprécié chez lui, c’est que c’est un philosophe qui critique les philosophes « , explique Guillaume.  » C’est un style incisif, qui choque autant à la lecture que dans les idées. Celles d’un homme qui lutte contre les valeurs installées. Le bien, le mal, la religion, le christianisme surtout : il remet en question la plupart de nos constructions culturelles pour apprendre à penser autrement. C’est une critique de la masse, une sorte d’apologie de l’individu, ça me parle.  »

Guillaume Martin sait visiblement de quoi il retourne.  » Sportif-intello  » disait-on. Et pourquoi pas cyclosophe tant qu’on y est ?  » Il y a différentes variantes « , s’amuse-t-il.  » Il y a vélosophe aussi que j’aime tout particulièrement. « Le Français de l’équipe Wanty joue le jeu. Fier de son parcours, mais surtout conscient de ce qu’il sait être une spécificité. Sa spécificité.

 » Ce n’est pas pour ça qu’il en joue. En fait, on n’en parle même jamais entre nous « , défend Guillaume Levarlet, ancien coéquipier.  » À la limite, c’est nous qui le chambrons avec ça parce que je sais que pendant le Tour il a été beaucoup sollicité pour son côté intello. Cela ne l’empêche pas d’être parfaitement intégré au collectif, comme n’importe quel coureur si ce n’est que ce n’est pas n’importe quel coureur puisque c’est bien souvent le leader sur les différentes courses.  »

Platon versus Platoche

Comme sur le Tour, où son panache se heurte parfois au tempérament de son directeur sportif Hilaire Van der Schueren, 69 ans, une trentaine de Tours de France au compteur et quelques montées d’urticaire provoquées par la fougue de son jeune premier. Guillaume Martin n’en reste pas moins un leader écouté, aux conseils toujours avisés selon Thomas Degand, autre coéquipier.

 » Je ne vais pas parler de science infuse, mais c’est quelqu’un qui a une vraie intelligence positive et utile au groupe. Ses interventions sont toujours pertinentes, c’est quelqu’un de très utile en meeting parce qu’il est juste et précis dans ce qu’il dit. C’est un fin tacticien en fait.  »

N’en jetez plus, la coupe est pleine. Un peu trop pour un homme qui déteste qu’on le caricature.  » En vrai, le cycliste intello, c’est un truc de journaliste. En cela, le Tour a été aussi bien une aventure sportive que médiatique. Un jour, on m’a demandé de poser en cuissard en train de lire  » Ainsi parlait Zarathoustra  » de Nietzsche, adossé au bus de l’équipe, 30 minutes avant le départ. Je veux bien jouer le jeu du cycliste philosophe, mais il faut rester dans les limites du naturel et essayer de ne pas tomber complètement dans l’artificiel.  »

Convaincu d’avoir fait le bon choix en se lançant dans une carrière de cycliste professionnel, le coureur n’en oublie pas ses activités annexes. Si l’homme s’imagine une seconde vie de  » journaliste ou boulanger, à voir « , le présent est à l’action. Et en l’occurrence, le garçon ne chôme pas. À l’automne 2016, il a écrit sa première pièce de théâtre,  » Platon VS Platoche « .

Consacrée à la philo, évidemment, et conçue pour être instructive et drôle, elle sera adaptée cet hiver par sa mère et devrait tourner un peu partout en France.  » Les répétitions sont en cours. La première aura lieu en février en Drôme provençale. D’ici là, je ferai pas mal d’interventions dans des lycées pour présenter la pièce puisque c’est une sorte de vulgarisation philosophique qui peut, je pense, être une bonne porte d’entrée.  »

L’intrigue principale ? La dualité entre Platon et Platoche où la complexité pour Platon de s’accommoder de sa position d’intellectuel solitaire, lui qui aurait rêvé d’être un grand artiste ou un dirigeant politique. Comment ne pas voir un penchant autobiographique pour ce cycliste accompli, philosophe à ses heures ?  » Sauf que moi, en partie grâce à mon éducation, je n’ai jamais dû faire de choix « , se défend l’homme à la double vie.

 » En classe préparatoire aux grandes écoles, on m’a demandé de faire un choix entre le sport de haut niveau et mes études, mais je n’ai jamais compris pourquoi on m’empêcherait de faire les deux. Alors oui, peut-être que j’aurais fait normal sup’ dans la foulée si j’avais poursuivi, mais dans ce cas-là, j’aurais dû aller vivre à Paris. Et forcément arrêter le vélo du coup.  »

L’Iran après le Népal

Un crève-coeur finalement jamais envisagé avec sérieux.  » Étonnamment, on ne m’a jamais demandé de sacrifier quoi que ce soit dans le milieu du cyclisme. Tout le monde s’en accommode très bien, on ne me juge pas, on me comprend. D’ailleurs, je me sens plus à l’aise dans ce cercle-là.  »

Dire que Guillaume Martin se voyait cycliste professionnel il y a de cela deux ans serait pourtant mentir. Élevé au vélo sous le diktat des US Postal de Lance Armstrong au début des années 2000, le Normand ne se projetait pas dans ce milieu-là.

 » Pour tous les jeunes de ma génération, le cyclisme pro, c’était  » tous pourris « . Je pensais qu’on ne pouvait pas être propre et réussir chez les pros. Plus jeune, je gagnais des courses, mais je ne pensais pas pouvoir en faire de même dans la catégorie supérieure. Et puis, de fil en aiguille, je me suis retrouvé là où je suis aujourd’hui. Je ne suis pas naïf, je me doute qu’il reste des tricheurs, mais je crois surtout que l’ère du soupçon permanent empêche d’avancer.  »

Du coup, Guillaume Martin fonce tout droit. Quitte à se mettre des oeillères, le Français se refuse les reportages en cascade sur les cas plus ou moins avérés de dopage mécanique.  » Pour moi, c’est certain, le dopage sera toujours une limite, mais il faut aussi faire gaffe à la théorie du complot, à la vindicte populaire qui peut s’abattre sur un seul homme.

On a accusé Froome de gagner le Tour grâce à ça à une époque où il n’y avait pas encore de tests, aujourd’hui, il le gagne encore et il y a des tests donc, c’est qu’il faut se résoudre à croire qu’il est propre. Très honnêtement, je ne regarde pas trop les reportages de  » Stade 2 « . Une roue arrière qui continue de tourner, je ne suis pas physicien, mais ça me parait éventuellement possible en fonction de la manière dont le vélo est posé.  »

Le diagnostic ne se prétend pas professionnel, mais le message passe. Clair, précis, concis, posé. À l’image d’un homme à l’éloquence touchante. Sobre, mais prolixe et sincèrement authentique, Guillaume Martin pourrait disserter des heures. Sur le vélo, la philo et pourquoi pas sur le monde qui l’entoure. Voyageur averti, il a pris l’habitude de s’envoler pour l’autre bout du monde en fin de saison.

Cette année, l’Iran a fait suite au Népal. Une coupure nette dans la saison pour mieux relativiser le succès d’une vie menée à cent à l’heure. En Iran, Guillaume découvre  » la censure et la propagande qui font le quotidien d’une dictature  » et revient avec l’envie de profiter d’autant plus de la fenêtre d’expression qui lui est offerte chez lui, en Europe.

Cyclosophe accompli
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Un livre chez Grasset cette année

Les Éditions Grasset ont proposé l’été dernier à Guillaume Martin d’écrire un ouvrage pour relater son double parcours atypique. Un essai philosophico-réaliste où s’entremêleront fiction et récit de vie. Sortie prévue en septembre 2018. Notre cyclosophe aura alors 25 ans et déjà pas mal de cordes à son arc.  » C’est grisant, mais c’est très perturbant. Qu’est-ce que j’ai fait de spécial pour mériter ça ?  » Vaste question…

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