Cure de désyntoxication

Cette fois, c’est sûr, l’Australien raccroche. A moins qu’il ne faille parler de long break. Allez savoir.

Après dix années de bons et loyaux services sur le circuit, couronnées entre autres par onze titres glanés à travers le monde (parmi lesquels deux victoires à l’US Open en 1997 et 1998 et une première place mondiale pendant une semaine de juillet 1999), Patrick Michael Rafter range sa raquette. L’année 2002 commencera sans lui et on ne le verra plus pendant un bon moment. Sa toute dernière expérience des courts se sera soldée par un cuisant échec. Il y a une semaine et demie, l’Australie s’inclinait en finale de la Coupe Davis devant son public à Melbourne. Une déception d’autant plus grande que blessé à l’épaule, Rafter, qui n’a jamais remporté le Saladier d’argent, dut céder sa place à Wayne Arthurs pour le cinquième et dernier match. Une preuve qui ne trompe pas: tandis que la victoire française était consommée, l’Australien n’apparut pas lors de la conférence de presse d’après-match. Il était fatigué, abattu moralement par ce coup du sort.

L’Australien veut mettre son tennis entre parenthèses pour profiter de la vie en dehors des courts. « Alors, et alors seulement, je verrai combien le tennis me manque réellement », dit-il entre deux de ses légendaires sourires qui les font toutes craquer.

Fils d’une modeste famille de neuf enfants (il a 5 frères et 3 soeurs), Rafter était un joueur au grand coeur. Généreux dans l’effort à travers un service-volée dans la plus pure tradition australienne, le joueur du Queensland dingue de surf l’était également à travers de multiples actions humanitaires.

Qu’a représenté le dernier Masters, disputé à Sydney, pour vous?

Patrick Rafter: le Masters, c’est une sorte de cerise sur le gâteau. L’idée de l’ATP est très bonne d’avoir instauré le classement sous la forme d’un championnat. La place de N°1 se décide tout en fin de saison et chacun en fait un objectif prioritaire.

Vous y avez malheureusement été battu par Agassi, Grosjean et Hewitt. Trois matches, trois défaites.

Ce n’était pas ma semaine! Le Masters a même été une farce pour moi. Il fut très décevant. Dès l’US Open, je savais pratiquement que j’étais qualifié et depuis ce moment, je n’ai plus pensé qu’à ce Masters qui se disputait dans mon pays. J’étais animé d’une excitation inhabituelle de me produire devant mon public. Mon épaule en a malheureusement décidé autrement mais elle ne constitue en rien une excuse.

Votre dernier match contre votre compatriote Hewitt ne fut pas une rencontre comme les autres, n’est-ce-pas?

C’est vrai. L’hymne national australien fut joué avant le match, ce qui n’arrive qu’en Coupe Davis. C’était bien et étrange à la fois. Pour le public, aussi, ce fut étrange. Les gens se demandaient qui ils allaient supporter! Nous avons joué un match d’une grande qualité mais il était trop fort.

Hewitt a toujours été un combattant

Quel regard portez-vous sur l’ascension de votre compatriote?

Il a toujours été un combattant. Même lorsqu’il est apparu sur la scène internationale en 1999. Il est un de ces gars que nous voulions intégrer dans l’équipe de Coupe Davis il y a deux ou trois ans déjà. Durant les mois d’été, il a prouvé qu’il était le N°1. Je tenais à le voir accéder à la première place mondiale. Il l’a fait et qui plus est, au terme de sa victoire face à moi!

Déjà après votre défaite à Wimbledon contre Ivanisevic, vous aviez déclaré que vous en aviez marre d’écrire l’histoire…

Oui, mais cette fois, mes impressions furent différentes. A Wimbledon, j’étais détruit, démoralisé. Cette nouvelle défaite en finale m’a vraiment coupé les jambes. Ecrire l’histoire de cette façon-là n’avait rien d’amusant. A Sydney, j’ai perdu un match pour lequel une victoire n’aurait rien changé dans mon cas puisque j’étais déjà éliminé. Mais j’ai « permis » à Lleyton de devenir le plus jeune N°1 mondial de l’histoire. J’avais ainsi une raison d’être satisfait.

Vous suivez Lleyton depuis qu’il a 15 ans. Quelles sont ses plus grandes qualités?

Chaque joueur rêve de posséder l’ensemble des qualités qui feraient de vous le joueur parfait. On veut tous posséder le coup droit de Sampras, le revers d’Agassi, ma volée et le service d’Ivanisevic. En ce qui concerne Lleyton, il possède d’autres qualités phénoménales qui nous rendent tous envieux: sa ténacité, son dévouement au tennis jour après jour, sa vitesse et sa force mentale. Il ne rate rien. Il me rappelle souvent le Michael Chang de la grande époque en meilleur, plus rapide et plus puissant.

En arrivant au sommet de la hiérarchie, Lleyton a prouvé qu’on peut être petit et d’une constitution fragile et malgré tout réaliser de très grandes choses. Son mental y est pour beaucoup.

Croyiez-vous qu’il deviendrait un jour N°1 mondial?

Il fait partie de ces joueurs qui ont percé très tôt. Il a su très vite imposer son style et c’est pourquoi j’étais sûr qu’il deviendrait un sérieux candidat pour la première place. Son ascension, puis la réalisation de son but au terme du Masters, ne m’ont en rien surpris. C’est ce qui s’est passé avec Becker et Sampras. Il y a toujours un côté exceptionnel à voir quelqu’un percer si vite.

Vous avez, comme lui, connu votre premier moment de gloire à l’US Open. Vous savez donc mieux que quiconque ce qui risquait de lui arriver dans les mois qui ont suivi sa victoire à New York…

La plus grosse pression que j’ai eue à supporter fut celle qui suivit ma première victoire dans un tournoi du Grand Chelem. Je pensais que Lleyton allait éprouver quelques difficultés après son succès à Flushing. C’est normal. Lorsque vous entrez dans le cercle fermé des vainqueurs majeurs, vous devez faire face à une énorme attention de la part des médias et des sponsors. Beaucoup d’offres vous parviennent du monde entier et cela a immanquablement tendance à vous détourner de votre mission et à vous fatiguer. Il allait connaître selon moi une courbe descendante. Elle n’a pas eu franchement lieu.

Trois Australiens N°1

Il est le troisième Australien à être devenu N°1. Avant lui, il y avait eu John Newcombe et vous-même.

Oui, mais l’avantage pour Lleyton, c’est qu’avec le nouveau système, il est sûr de le rester pour une année entière ( il rit). Moi je n’ai été N°1 qu’une semaine!

Pensez-vous qu’il deviendra l’un des plus grands joueurs de tous les temps?

Je crois qu’il aura du mal à atteindre ce statut. La concurrence est trop dure de nos jours, surtout pour un joueur comme lui qui ne possède pas dans son jeu une arme incroyable. Lleyton doit énormément travailler jour après jour et cela va compliquer sa tâche. Il est très difficile de maintenir très haut son type de tennis pendant très longtemps. Ceci dit, je crois qu’il peut gagner 6, 7 voire 8 titres du Grand Chelem. Cela mérite-t-il le qualificatif de sublime? Les 13 titres majeurs de Sampras, eux, confinent au sublime. Je ne sais pas si Lleyton arrivera à battre ce record mais avec lui, on ne sait jamais. Il est tellement imprévisible.

Et son caractère, râleur, parfois même grossier?

Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est que moi j’ai toujours agi différemment. Lleyton fait partie de ces joueurs qui savent exactement ce qu’ils doivent faire pour gagner. S’il faut qu’il jure sur un court, il le fera sans problème parce qu’il sait que c’est son truc. Et peu importe ce que les gens penseront ou diront à son sujet.

Trop correct pour être honnête?

Vous passiez pour le joueur le plus correct du circuit. Jamais une mauvaise parole, jamais une saute d’humeur, toujours la même grandeur que ce soit après une victoire ou après une défaite. Comment faisiez-vous?

Vous savez, je n’ai pas toujours été comme ça. Quand j’étais jeune, il m’est arrivé de m’énerver ou de manifester ma mauvaise humeur. Je me suis calmé avec l’âge et avec les victoires. Particulièrement celles récoltées à New York. Elles m’ont permis de jouer de manière plus détendue par la suite. Je n’avais plus le sentiment de devoir à chaque fois prouver quelque chose. Quand je montais sur le court, c’était avant tout pour m’amuser.

Les beaux gestes étaient aussi votre spécialité. En Australie, cette année, vous avez demandé à un ramasseur de balles d’aller remettre un polo à un handicapé. Difficile de rester insensible face à ce genre d’attitude.

En fait, je ne savais pas si on m’autoriserait à monter tout en haut des tribunes pour aller le lui remettre en personne! Parfois, lors des changements de côtés, vous vous retrouvez sur votre chaise et votre regard se pose sur une personne en particulier sans raison aucune. Là, j’ai vu cette personne qui essayait de profiter du match comme tout le monde mais qui ne pouvait pas bien voir en raison de sa position. J’ai éprouvé une profonde tristesse et je me suis dit que je voulais le remercier d’une façon ou d’une autre. Parfois, il suffit d’un petit geste pour rendre les gens heureux.

Quel regard portez-vous sur votre saison 2001?

J’ai connu une saison très solide. Chaque tournoi que j’ai disputé m’a vu très consistant et je suis parvenu à enregistrer de bons résultats semaine après semaine. C’est ce que tout le monde essaye de faire à un moment ou à un autre de sa carrière. Mon programme a été minimal à cause d’une Coupe Davis particulièrement chargée. Et puis, il y a mon épaule qui m’a encore préoccupé à certains moments. Je devais la ménager.

Maître de son épaule

On sait que vous en avez souffert à Sydney et en finale contre la France.

Elle va bien mais je dois veiller à toujours bien faire mes exercices, jour après jour, pour la consolider. C’est vraiment fondamental dans mon cas. Pendant la saison 2001, il ne s’est pas passé un jour où je n’ai pas travaillé ce point. Quand la douleur revenait, je devais impérativement ralentir la fréquence de mes matches. Ce fut comme cela durant toute l’année mais cela n’a pas été un trop gros problème.

Dans les moments difficiles, vous avez souvent répété que vous cherchez à vous souvenir de vos finales de Wimbledon (2000 et 2001) ainsi que de vos deux victoires à l’US Open. Qu’est-ce qui vous a permis de briller lors de ces tournois?

La manière dont je me déplaçais, ma concentration et l’intensité que je mettais dans mes rencontres furent probablement la clé. Lorsque ces trois éléments fonctionnent ensemble, c’est la combinaison gagnante.

A l’exception de cette année où vous avez atteint les demi-finales, l’Open d’Australie ne vous a jamais réussi. A cause de la pression: être Australien et jouer à la maison?

Oui. Lorsque venait la période de l’Australian, j’ai toujours senti que les gens m’attendaient au tournant. Je pense qu’un Français, un Anglais ou un Américain ressent la même chose lorsqu’il joue à Roland Garros, à Wimbledon ou à Flushing Meadows. Cette année, j’avoue m’être parfois dit: -Allez, tu n’es pas tout seul, le public s’intéressera aussi à Lleyton Hewitt, à Andrew Ilie ou à Wayne Arthurs. Ce qui est stupide car la dernière des choses à faire lorsque vous êtes engagé dans une épreuve du Grand Chelem est de vous intéresser aux autres.

En attendant, le circuit perd l’un de ses derniers grands serveurs-volleyeurs. Pensez-vous avoir été un modèle?

Je ne sais pas si des gens se disent: – Wouah, j’aimerais jouer comme lui! Si c’est le cas, je crois que davantage de gens ont apprécié Andre Agassi. Il est l’un des plus grands modèles que l’on puisse admirer. En ce qui me concerne, franchement je n’en sais rien. Je préfère laisser dire, cela m’amuse.

Mais vous même, quand vous étiez plus jeune, vous avez bien dû admirer quelqu’un tout de même.

Mes héros se nommaient John McEnroe, Pat Cash, Stefan Edberg et Boris Becker.

Florient Etienne

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