Cuisine carolo

Quand Philippe Hermant, alias le restaurateur Zio, Carolo pure souche et collectionneur de Zèbres, rencontre Mehdi Bayat, ça sent bon les anecdotes croustillantes.

Le Sporting Charleroi va bien. Très bien même. Cette saison, il a redécouvert la signification du mot ambition. Dans les travées de l’ancien Mambourg, les lamentos ont fait place aux chants de joie et tous les supporters, vieux et plus jeunes, novices ou de la première heure, rêvent d’une participation des Zèbres aux play-offs 1. Parmi eux, Philippe Hermant, alias Zio. Son petit nom, il le doit au restaurant italien qu’il tient avec son épouse à Waterloo.

La question vous taraude certainement : comment le fan n°1 des Zèbres, ami intime d’EnzoScifo, inconditionnel de Philippe Albert, qui conduisait la Renault 5 de Fabian Debecq dans les années 80, a-t-il conservé l’âme d’un mineur dans cette cité bourgeoise ? Son secret, c’est qu’au milieu des centaines de Zèbres qu’il collectionne dans son établissement, il a su rester proche des gens.

Du peuple, comme des membres de la direction. Mehdi Bayat, le manager général du Sporting, n’a d’ailleurs pas hésité une seconde à l’invitation que nous lui avons soumise. Rencontre dans le coeur du Brabant wallon pour parler du Pays noir.

Les cendres sur le point de penalty

Philippe Hermant parle fort. Théâtral, il serre le poing. Parle de politique. De valeurs sociales. De sens du sacrifice. Il adule CharlesDeGaulle, évoque WinstonChurchill. A 58 ans, il reste un Carolo pur jus :  » Je suis né à l’Hôpital Reine Astrid avec vue sur le Mambourg. Je l’ai déjà dit à ma femme : –Quand je serai mort, demande que l’on verse mes cendres sur le point de penalty du côté de la maternité.  »

On vous le disait : unique. Un modèle comme on n’en fait plus. Mehdi Bayat sourit :  » Depuis des années, nombre de Carolos ont tourné le dos à leur club sous prétexte que les résultats étaient moins bons. Mais ce n’est pas une excuse. Heureusement, il y a des irréductibles, comme Philippe. Il prouve aussi, par sa réussite et sa fidélité, que Charleroi n’est pas le quart-monde que certains décrivent souvent par méconnaissance. Pour moi, elle demeure la première ville de Wallonie. Bientôt, la Cité Noire renaîtra de ses cendres.  »

Zio fulmine. Il a les poils qui se hérissent et après une expression wallonne lâchée tout de go, il replonge dans le passé :  » La fierté de Charleroi, c’est la multi-culturalité. L’ascension sociale m’a permis de vivre dans le Brabant wallon mais je n’oublierai jamais d’où je viens. La Sambre coule dans mes veines. Un jour, un sportif professionnel avec lequel j’avais sympathisé, qui n’avait pas encore la trentaine, débarque dans mon resto, la mine déconfite et le menton dans les godasses : –Quelle vie ! J’ai le moral à zéro.

Il m’a tout sorti. J’ai voulu lui mettre deux gifles pour le réveiller. Je l’ai embarqué dans ma voiture, direction Marchienne-au-Pont, La Docherie,… Je lui ai dit : –Gamin, si tu avais la vie de ces gens-là ou que tu n’étais pas né dans l’ouate, je pourrais comprendre. Mais t’as le cul dans le beurre. Ouvre les yeux. Sinon je te laisse ici… Il a ouvert des yeux comme des quilles. Je pense qu’il n’avait jamais vu ça.  »

Dans la Renault 5 du Président

Mehdi Bayat passe la main dans ses cheveux. L’homme peut être fier de sa réussite personnelle tout comme il peut tirer un bilan ultra-positif de son job depuis que Fabian Debecq est le président des Zèbres :  » L’opération Carolos are back a bien fonctionné. Grâce au labeur de Walter Chardon, la cellule commerciale s’est beaucoup développée. Depuis septembre 2012, on sent que les choses ont changé.

Pourtant, cela fait déjà douze ans que je suis au Sporting. Je n’y dors pas mais j’y vis constamment. Je suis tombé amoureux de cette mentalité et des valeurs qu’on y véhicule : accueil, humanité, folklore, chaleur humaine. Nous sommes passés de 40 à 170 partenaires présents lors de notre journée avec nos sponsors. C’est la preuve mathématique du regain de confiance que le Sporting inspire.  »

 » J’y ai rencontré le vice-président de Proxiglas, un groupe de la région qui emploie 5000 personnes. Il est d’origine turque et musulmane. A l’heure où l’on mélange tout, je dis bravo. C’est un exemple de réussite « , narre Philippe Hermant.  » Et puisque l’on évoque le président des Zèbres, autant dire que je le connais bien !

Dans les années 80, nous allions faire du sport dans la même salle. C’était juste avant qu’il ne soit sacré champion d’Europe de culturisme. A cette époque, il vendait des produits dans certaines salles et, pour lui donner un coup de main, je faisais moi aussi le tour des centres de musculation au volant de sa Renault 5.  »

Le restaurateur a noué des amitiés profondes au fil de ses années de présence au Mambourg. Son idole absolue : Philippe Albert.  » C’est devenu un intime. Philippe, c’est le meilleur défenseur de l’histoire du football belge. Un phénomène et un mec droit. J’adore aussi Enzo Scifo.

L’oeil de Peru

Après, il y en a beaucoup d’autres que je citerais volontiers : Rudy Moury pour sa gentillesse, Dante Brogno pour son talent, Roch Gérard et j’en passe. J’adore aussi Mario Notaro. C’est un ami d’enfance. Nous étions voisins à la Ville Haute quand il a débarqué en Belgique et nous sommes toujours restés en contact. Et puis il y a Luka Peruzovic, qui habite ici à Waterloo et dont le petit-fils joue au Racing local.  »

Mehdi Bayat intervient :  » C’est grâce à lui que Sébastien Dewaest est chez nous. Il l’a visionné un jour à Roulers et est venu le lendemain dans mon bureau. -Mehdi, lui, tu dois le faire signer tout de suite ! Et il tapait avec son index sur le calepin où figurait son nom. J’avais beau lui répondre qu’on le visionnerait une autre fois, il répondait systématiquement : -Mehdi, j’ai dit qu’il doit signer tout de suite ! Et il insistait sur la notion de temps. Sur l’urgence. Finalement, on l’a fait. Et quelle réussite !  »

Des anecdotes, autant vous dire que Philippe Hermant en a des brouettes entières. Il se souvient d’avoir jeté Alphonse Costantin hors de son établissement :  » En 93, il avait ouvertement volé le Sporting en finale de la coupe de Belgique contre le Standard. Ce fut une année exceptionnelle, au cours de laquelle nous avions battu trois fois Anderlecht puis Bruges.

Tout le monde sait qu’il travaillait au Village N°1 dont Jean Wauters, le patron des Rouches, était président. Un jour donc, il débarque au restaurant et me demande la carte. Je lui ai répondu : –Et toi dimanche, tu les avais tes cartes ? Tu n’auras pas la mienne, allez sors ! Après les gens s’étonnent que je n’aime pas le Standard…  »

Les deux hommes évoquent ensuite l’attraction que suscite à nouveau le Sporting dans un rayon d’action entre Mons et Namur, puisqu’il est à nouveau le seul club du coin en Division 1. Ils vantent le sérieux de Felice Mazzu et la prolongation de son contrat. Ils énumèrent les jeunes issus du centre de formation qui pointent le bout du nez. Ils murmurent la possibilité de disputer les play-offs 1.

Une donne qui change

 » J’avais bon espoir en coupe de Belgique et cela restera ma grosse déception de la saison, quoi qu’il en soit « , dit Mehdi Bayat.  » Le Sporting a le potentiel pour redevenir un grand club. Cela a toujours été notre projet autant que notre rêve mais cette saison, le cours des choses s’est accéléré. Qui pourrait nous enlever ce rêve des play-offs 1 vu les six premiers mois de championnat que nous venons de livrer ?  »

 » Je constate que même des joueurs qui auraient pu n’utiliser le club que comme un tremplin, s’y accrochent « , ajoute Philippe Hermant.  » Cédric Fauré a son âge mais il se sent Carolo jusqu’au bout des ongles. Pourtant, le mec vient de Toulouse et le Sud de la France, c’est splendide. Il y en a d’autres comme lui. Pour la première fois depuis longtemps, la direction a pu dire  » non  » à une proposition venant de l’extérieur.

Que ce soit pour Dewaest ou Kebano. La donne est en train de changer. J’ai appris que cinq équipes pourraient être qualifiées pour la coupe d’Europe cette saison. Inutile de dire que si nous voulons revenir sur le devant de la scène, c’est maintenant ou jamais.

Et Zio, qui évolue au quotidien dans son univers zébré, au milieu de ses peluches et de ses photos, de conclure en disant :  » A l’époque, après une victoire, il arrivait que je guindaille pendant 24 heures. Parfois plus.  » On imagine que ça pourrait donner en cas de qualification pour les play-offs 1.?

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS : BELGAIMAGE/ STOCKMAN

 » Charleroi demeure la première ville de Wallonie. Bientôt, la Cité Noire renaîtra de ses cendres.  » Mehdi Bayat

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