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Cry for me, Argentina

Diego Maradona, peut-être le meilleur footballeur de tous les temps, est décédé mercredi dernier. Un footballeur que certains assimilaient à un dieu. Un joueur qui apportait du bonheur et du baume au coeur, mais qui était aussi, comme les dieux grecs, diablement humain. En fait, il voulait surtout être adoré. Adiós a Diego.

A diós. En espagnol comme en français, ce mot signifie littéralement « À Dieu ». On ne pouvait utiliser meilleur terme en prenant congé d’un homme qui, de son vivant, était appelé Dieu, et qui se considérait parfois comme tel. La semaine dernière, les banderoles, les t-shirts et les titres des journaux rappelaient d’ailleurs ce côté divin: D10S, une combinaison du mot Dios et du numéro 10, celui de Diego Armando Maradona.

Diego ne pouvait pas deviner que, comme son idole George Best, il sombrerait dans l’alcool et décéderait un… 25 novembre.

La foule a afflué massivement dès que sa dépouille a été transférée au palais présidentiel de Buenos Aires pour un dernier hommage. Ses admirateurs, et ils sont très nombreux, ont fait la file pendant des heures. Une marée humaine qui s’est parfois étalée sur trois kilomètres. Des gens habillés en bleu ciel, les couleurs de l’ Albiceleste, l’équipe nationale, ou en bleu foncé à bande jaune, celles de Boca Juniors. Ils ont prié, chanté et pleuré. Sous les yeux des caméras, deux personnes grisonnantes sont tombées dans les bras l’une de l’autre. L’une portait le maillot de Boca, l’autre celui de River Plate. Les deux ennemis héréditaires ont partagé ensemble le deuil de Maradona, le seul joueur capable de rassembler des hommes aux convictions bien différentes. Maradona, C’était l’Argentine.

Diego Maradona sous le maillot de Boca Juniors avec ce qu'il aime le plus au monde: un ballon.
Diego Maradona sous le maillot de Boca Juniors avec ce qu’il aime le plus au monde: un ballon.© belgaimage

Les images aériennes rappelaient, à nous, Belges, celles que l’on avait vues à Bruxelles après le décès du roi Baudouin en 1993. À l’époque aussi, un cortège impressionnant s’était formé dans les rues. Des personnes avaient, elles aussi, attendu des heures pour se recueillir quelques secondes auprès du défunt. Dans le cas de Maradona, on ne pourra cependant pas parler de sanctification, car comme l’a souligné une dame âgée dans la foule, il réunissait en lui autant le bien que le mal. La célèbre chanson Don’t cry for me, Argentina tirée de la comédie musicale Evita s’applique autant à Maradona qu’à Eva Perón:  » All through my wild days, my mad existence ». Diego a également vécu une existence de folie. Mais il existe d’autres similitudes…

Ce sont peut-être justement ces imperfections qui ont rendu Maradona aussi populaire: il était le héros de tout un peuple, qui ne l’adorait pas uniquement pour son génie, mais se reconnaissait également dans ses défauts, ses échecs, son narcissisme. Comme si Maradona nous consolait de nos propres défauts. Même lorsqu’on est un dieu, on peut avoir des côtés humains. Son équipier Jorge Valdano a récemment expliqué que, dans le vestiaire argentin, on aurait entendu une mouche voler avant la finale de la Coupe du monde 1986 contre l’Allemagne. Jusqu’au moment où Diego a appelé sa mère parce qu’il avait peur. Du coup, tout le monde s’est senti soulagé, car si Diego lui-même avait peur, ce n’était pas anormal que les autres tremblent eux aussi. Subitement, les joueurs se sont décomplexés et ont uni leurs forces. Ils se sont serrés les coudes et ont battu la Mannschaft 3-2.

Héros populaire

Tout comme Evita, la très populaire épouse du président Juan Perón, décédée très jeune, Maradona était d’origine très modeste. Son père DiegoChitoro‘ était batelier sur le delta du Paraná. Il a déménagé à Buenos Aires, où sa femme DalmaTota‘, ménagère, habitait dans sa famille. Lorsque cette famille a elle-même déménagé, Chitoro a dû construire une maison de ses propres mains, avec des briques et des plaques de métal trouvées sur place dans le bindonville de Villa Fiorito. Le couple a eu quatre filles et trois garçons, une fratrie dont Diego Armando était l’aîné. Avec ses frères cadets Hugo et Raúl, il a appris à jouer au football dans les potreros, les petits terrains en dur des bidonvilles où l’on y allait parfois franchement, et où l’on développait la technique du football de rue. Dans ces quartiers-là, il fallait aussi survivre.

La légendaire
La légendaire « main de Dieu » en quart de finale du Mondial 86, contre l’Angleterre.© belgaimage

Maradona s’appelait lui-même cabecita negra, petite tête noire: l’expression que Perón utilisait pour évoquer les enfants issus d’un mariage mixte, entre autochtone et italien. Chitoro appartenait à la tribu des Guaraní, alors que Tota avait des racines italiennes. Ils étaient tous les deux des peronistas convaincus. La photo de Juan et Evita Perón était accrochée aux murs de la modeste demeure, privée d’électricité et d’eau courante. Le petit Diego essayait de gagner quelques sous en vendant des petits objets en tous genres. S’il y a un moment de son enfance qu’il n’a jamais oublié, c’est sa chute dans une fosse lorsqu’il n’était qu’un gamin. Son oncle Cirilo, accouru en panique, lui a crié:  » Dieguito, garde ta tête au-dessus de la merde ». Cette phrase n’a jamais cessé de résonner dans la tête de Maradona comme une parole sacrée, qu’il s’est rappelée dans les moments difficiles de sa vie.

Maradona le démontre: on peut être très humain, même lorsqu’on est un dieu.

Là, dans le bidonville de Villa Fiorito, sa popularité est née du fait qu’il a réussi à s’extraire de la misère, sans jamais renier ses origines. Une jeunesse compliquée, une ascension vers la gloire et une chute pénible: c’est ce qui fait la magie de personnages comme Maradona, mais aussi Mike Tyson ou, plus près de chez nous, Eric De Vlaeminck. Ce n’est pas un hasard, non plus si Jean-Marie Pfaff s’est lié d’amitié avec Diego: Pfaff a lui-même grandi dans une caravane et lui aussi est parti de zéro pour devenir un héros. Lui aussi est devenu, comme Maradona, l’idole d’un peuple.

Le Mundial mexicain de 86 est le point d'orgue de la carrière de Diego Maradona, avec une victoire 3-2 en finale contre l'Allemagne.
Le Mundial mexicain de 86 est le point d’orgue de la carrière de Diego Maradona, avec une victoire 3-2 en finale contre l’Allemagne.© belgaimage

On peut y ajouter ce besoin d’être adoré et cette crainte d’être abandonné. Aucune phrase ne peut mieux exprimer ce sentiment que celle par laquelle Evita s’adresse au peuple dans la comédie musicale:  » I love you and hope you love me. »

Le messie argentin

Enfant, lorsque Diego se rend à l’école, il emmène avec lui une orange, une boulette de papier-journal ou des loques. Tout ce qu’il faut pour constituer un ballon. Son talent saute aux yeux, au point que dans le premier club auquel il se présente, on a du mal à croire qu’il n’a que huit ans. Après avoir montré sa carte d’identité, il est directement envoyé chez un médecin afin qu’on lui administre des pilules et des infiltrations censées le rendre plus costaud. Les premières bases de son addiction à la drogue sont déjà jetées.

Avec son ami Goyo Carrizo, neuf jours plus vieux que lui, Diego évolue en équipe de jeunes chez les Argentinos Juniors, surnommés Los Cebollitas, les petits oignons. Il n’a pas encore seize ans lorsqu’il effectue ses débuts en équipe première et devient le joueur le plus jeune à évoluer en première division argentine. Son style est déjà comparable à celui qui fera sa renommée: dribbler dans un mouchoir de poche, pivoter dans quelques centimètres carrés avec son centre de gravité très bas, feinter et subitement accélérer. C’est un football de potreros. Il fait joujou avec ses adversaires, plus grands et plus costauds que lui. Il caresse le ballon et le ballon apprécie ses caresses. L’affection est réciproque. Ces deux-là s’aiment profondément. L’une des idoles de Maradona, à cette époque, est le Nord-Irlandais George Best. Lui aussi a les cheveux noirs en bataille et une passion invétérée pour le ballon rond. Diego ne pouvait pas deviner que, comme la vedette de Manchester United, il sombrerait dans l’alcool et décéderait un… 25 novembre.

Après quelques minutes, lors de son premier match avec Argentinos Juniors, Maradona passe le ballon entre les jambes de Juan Cabrera, un petit pont dont la photo fait le tour du monde. Le nom de Maradona est déjà sur toutes les lèvres. Le surnom imaginé par doña Tota pour son fils aîné devient rapidement populaire: La Pelusa, la peluche.

Le peuple argentin considère Diego Maradona comme un messie. Ce pays d’Amérique du Sud traverse alors une période compliquée. En 1976, le général Jorge Videla organise un coup d’État avec sa junte militaire. Des dizaines de milliers de citoyens sont emprisonnés et torturés, ou disparaissent sans laisser de traces. Le contraste avec les années Perón est énorme. Le peuple a besoin de dérivatifs, et se console avec Maradona. Né dans une étable, vénéré par les pauvres et fêté comme un roi. Il est le sauveur.

Alcool et drogue

Quelques mois après ses débuts chez les Argentinos Juniors, en février 1977, Maradona est appelé une première fois en équipe nationale. Une deuxième sélection tarde à venir, car l’entraîneur César Luis Menotti le trouve encore trop jeune et ne le convoque pas pour la Coupe du monde 78, organisée en Argentine. La junte de Videla compte sur ce Mundial pour légitimer son règne. L’Argentine remporte le tournoi en battant les Pays-Bas 3-1 en finale. Pour Maradona, c’est une première grande déception.

Un an plus tard, il fait cependant partie de la sélection argentine U20 qui, au Japon, remporte la médaille d’or au championnat du monde de la catégorie en battant l’URSS en finale. La Pelusa inscrit six buts en six matches.

Après cinq ans et 166 matches, au cours desquels il a inscrit 116 buts, Maradona quitte Argentinos Juniors en 1981 pour le club de ses rêves: Boca Juniors. À ce moment-là, il a déjà fêté trois titres de meilleur buteur et été élu trois fois Footballeur de l’Année. Ce n’est que le début de sa gloire. Après une saison, il est déjà clair qu’il ne tardera pas à traverser l’Atlantique pour rejoindre l’Europe. Juste avant la Coupe du monde 82 en Espagne, le FC Barcelone rassemble un milliard de pesetas (environ huit millions d’euros) pour l’attirer en Catalogne. Une somme astronomique à l’époque.

Entre Maradona et l’Espagne, ce ne sera jamais le grand amour. Le Mondial s’assimile à un chemin de croix pour l’Argentine, qui s’incline dès le match d’ouverture sur un but (devenu légendaire pour nous) d’ Erwin Vandenbergh et qui sera éliminée lors de la deuxième phase de poules après une défaite 1-3 contre le grand rival sud-américain, le Brésil. Cinq minutes avant le coup de sifflet final, Maradona plante ses crampons dans le ventre de Batista et est exclu.

Dans ce geste, on ressent toute la frustration qui envahit ce petit corps. Elle ne fera que s’accroître en deux années au Barça. Durant la première, il souffrira d’une hépatite qui le tiendra éloigné des terrains pendant trois mois. Malgré tout, le 26 juin 1983, il offrira aux Catalans une victoire mémorable sur la pelouse du Real Madrid. Sa prestation sera telle qu’il sera ovationné par le stade Santiago Bernabéu.

Mais, dans ces années 80, les attaquants jouissent d’une grande liberté, le VAR n’a pas encore été inventé et les défenseurs utilisent tous les moyens imaginables pour briser une attaque. Maradona est leur cible privilégiée. L’Argentin a beau sauter pour limiter les dégâts, il ne peut éviter tous les coups de genou, de coude ou de poing. Parfois, l’arbitre intervient, parfois il ferme les yeux. Le 24 septembre 1983, Andoni Goikoetxea, le boucher de Bilbao, sort le couteau. Son tacle appuyé touche Maradona à la cheville gauche, qui se fracture « avec le bruit d’une branche qui craque », comme il le dira plus tard. Goikoetxea s’en sort avec un carton jaune.

Maradona se retrouve à nouveau éloigné des terrains pendant de longs mois. Il oublie la douleur, la frustration et la solitude en se réfugiant dans l’alcool et la drogue. Le début d’une addiction.

Point d’orgue

À la fin de la saison 1983-84, Barcelone dispute la finale de la Coupe contre le champion, l’Athletic Bilbao. Le match de la honte, qui marquera la fin de l’aventure espagnole de Maradona. Goikoetxea, qui a conservé la chaussure avec laquelle il a endommagé la cheville de Maradona dans une vitrine chez lui à la maison, comme un trophée, se montre une nouvelle fois très dur avec le petit Argentin. Les autres Basques ne sont pas en reste, et pour ne rien arranger, adressent des remarques racistes au père de Diego. Peu avant la fin, alors que le score est de 1-0 en faveur de Bilbao, le sang de Maradona ne fait qu’un tour. Il se retrouve nez à nez avec Miguel Sola. Le Basque fait un geste déplacé, Maradona lui assène un coup de tête. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Sous les yeux de millions de téléspectateurs et du roi Juan Carlos, qui assiste à la finale de la Copa del Rey comme c’est la tradition, un véritable combat de rue éclate. Coups de poing, coups de coude, coups de karaté… Maradona et Goikoetxea forment l’épicentre du choc, qui se termine avec soixante blessés parmi les joueurs, le staff, les officiels et les photographes de presse. Le boucher de Bilbao écope de 18 semaines de suspension, réduites à sept en appel. Maradona, lui, n’a plus sa place à Barcelone.

Avec son ami Fidel Castro lors d'une émission télévisée en 2005.
Avec son ami Fidel Castro lors d’une émission télévisée en 2005.© belgaimage

Ni dans d’autres clubs de pointe, d’ailleurs. Aucun grand club européen ne veut ou n’ose mettre sur la table l’argent nécessaire pour attirer l’Argentin. Subitement, le SSC Napoli se manifeste. Il vient de boucler la Serie A à la onzième place. Il est plus habitué à se mouvoir dans le ventre mou du classement que dans les hautes sphères.

Le réalisateur anglais Asif Kapadia a réalisé un documentaire poignant sur les années napolitaines de Diego Maradona. Vous lirez, ci-contre, d’autres histoires publiées par La Gazzetta dello Sport sur cette période, durant laquelle Maradona a sans doute atteint le sommet de son art.

Si Naples a réussi à réunir suffisamment de lires pour attirer Maradona, c’est probablement grâce à l’aide de la Camorra, la mafia napolitaine. Au cours des années qui suivent, un lien s’établit d’ailleurs entre le footballeur et l’organisation criminelle.

Avant que Maradona n’emmène réellement Naples vers les sommets – le club termine huitième en 1985 et troisième en 1986 – il vit le point d’orgue de sa carrière au Mundial de Mexico. Aucun pays ne doit autant sa couronne mondiale à un seul joueur que l’Argentine en 1986. On a déjà tout dit et écrit sur le quart de finale contre l’Angleterre, où Maradona marque grâce à « la main de Dieu » et où, quelques minutes plus tard, il double la marque en inscrivant ce qui restera sans doute comme le plus beau but jamais inscrit en Coupe du monde: un raid en solitaire de soixante mètres, qui laisse sur place six ou sept adversaires. En demi-finale contre la Belgique, Pelusa réalise un nouveau doublé, avec un deuxième but inscrit au terme, lui aussi, d’une série de dribbles. L’Argentine, dans cette Coupe du monde, c’était Maradona.

Tant en Argentine qu’à Naples, Maradona s’est nourri de l’amour du peuple.

Une deuxième Argentine

C’est en qualité de champion du monde que Maradona entame véritablement son ascension vers la gloire à Naples. Cette ville du sud de l’Italie devient, pour lui, une « deuxième Argentine ». Il ressent à nouveau l’amour de tout un peuple, s’érige à nouveau en sauveur. Depuis des années, les Italiens du sud souffrent d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de ceux du nord. Le nord est riche et industrialisé. Le sud est composé d’ouvriers agricoles. Cette différence de classe se reflète dans le football. Les clubs de Milan et de Turin se partagent les trophées, en laissant parfois quelques miettes à ceux de Rome.

Maradona rend à Naples sa fierté et sa gloire. Il offre deux titres aux joueurs bleu ciel – les couleurs de l’Argentine, autre coïncidence. Une première fois en 1987, puis une seconde fois en 1990. Naples remporte également la Coupe d’Italie, et la Coupe de l’UEFA en 1989 contre Stuttgart, après avoir éliminé le Bayern Munich en demi-finale: un match qui est entré dans la légende pour l’échauffement de Maradona, qui a jonglé avec le ballon au son de la chanson Live is life du groupe autrichien Opus.

 » When the feeling of the people is the feeling of the band », chante Opus. Le club, c’est le peuple. La ville, elle, vit au rythme de Maradona. Au rythme de Dieu.

Mais comment va Diego?

Alors qu’il est adulé par les tifosi napolitains et qu’il explique, ému, qu’il veut devenir une idole pour les enfants pauvres de Naples parce qu’il est lui-même issu de la rue, il attire de plus en plus souvent le regard de la Camorra. Celle-ci lui offre tout ce qui peut lui faire plaisir. Le dimanche, après le match, c’est le début de trois jours de fête, arrosés d’alcool, de drogues et de femmes. À partir du mercredi, il élimine les toxines par la sueur, et le dimanche, il est prêt à briller sur le terrain. Son corps est soumis à rude épreuve, sur et en dehors des pelouses. Il a de nouveau besoin d’un peu de baume. C’est un cercle vicieux. Son entourage connaît le danger: il faut surveiller le sac de sport, mais aussi la « trousse de médicaments ».

Scènes d'hystéries à Buenos Aires, devant la voiture qui emmène la dépouille de Maradona.
Scènes d’hystéries à Buenos Aires, devant la voiture qui emmène la dépouille de Maradona.© belgaimage

Il n’y a pas que le corps de Maradona qui est dans le dur. La pression psychique s’accentue également. En 1988, il déclare: « J’ai quatre années de Calcio dans les jambes, mais quinze années dans la tête. » L’amour du peuple va de pair avec des attentes inhumaines et la presse le traque comme du gibier. Il suffit de visionner les images de l’époque. Partout où Maradona apparaît, il est entouré par des équipes de télévisions et des photographes. Il n’a aucun moment à lui.

Dans le film de Kapadia, on l’entend déclarer en toute simplicité: « Je veux simplement être Maradona. » Mais, dans un autre fragment, un ami affirme: « J’irais au bout du monde avec Diego, mais je ne veux aller nulle part avec Maradona. » Le footballeur se détruit lui-même. Il se livre au public, à la presse, aux médias et à la mafia, et ne redeviendra plus jamais lui-même. Après quelques années à Naples, il n’aspire qu’à une chose: redevenir Dieguito, le gosse de Villa Fiorito.

Sujet de discorde

 » Es dura la caída », chante l’artiste argentin Fito Páez dans sa chanson Tiempo a tiempo. Plus dure est la chute. Surtout lorsqu’on tombe de haut. En 1990, Maradona offre un deuxième titre de champion au Napoli. Deux mois plus tard, l’Italie et l’Argentine s’affrontent en demi-finale de la Coupe du monde dans un match disputé à… Naples. Maradona divise la ville. Alors que l’Italie a toujours dénigré Naples, Naples reçoit l’occasion de dénigrer l’Italie. Il faut choisir entre le pays natal et Dieu. Et ils sont nombreux à choisir Dieu. Lorsque Maradona se fait siffler par une partie du public pendant le match, les tifosi napolitains se détournent des Azzurri. L’Argentine s’impose aux tirs au but, mais s’incline en finale contre l’Allemagne (0-1). L’Italie, elle, n’a que ses larmes pour pleurer.

Maradona est devenu un sujet de discorde. La Camorra se détourne de lui et ne cherche plus à cacher son addiction à la drogue. Il consomme de la cocaïne, est arrêté devant les caméras de télévision et est suspendu quinze mois.

Le rideau tombe sur sa carrière. Il passera encore quelques saisons à Séville et aux Newell’s Old Boys, en Argentine, où il essaie de retrouver la condition avant le Mondial 94 aux États-Unis. Pendant celui-ci, il est contrôlé positif à l’ephédrine et est renvoyé à la maison. Il tire sa révérence après deux dernières saisons à Boca Juniors.

La drogue a laissé des traces. Maradona grossit, connaît des problèmes au niveau mental et son coeur lui cause des soucis. Pendant des années, il passe de l’hôpital au centre de désintoxication. En 2000, il déménage à Cuba, chez son cher Fidel Castro. Celui-ci décédera en 2016, un… 25 novembre! Les signes du destin sont parfois curieux.

Durant ces années, Maradona coache encore quelques clubs, car en plus de son salaire, ce job lui confère adoration et un nouvel accès à diverses drogues. En 2010, il dirige même l’Argentine à la Coupe du monde en Afrique du Sud. L’expérience ne débouche pas sur un succès. La descente aux enfers débute alors, même s’il effectue encore de nombreuses apparitions en public. Dans l’émission télévisée de Raffaella Carra, il attire une dernière fois l’attention. Jusqu’à ce triste anniversaire du 30 octobre, lorsqu’il n’est presque plus capable de marcher et que les prémices de la mort se lisent déjà sur son visage.  » I still need your love after all that I’ve done », chante Evita. La foule en larmes dans les rues de Buenos Aires, le feu d’artifices tiré à Naples, les multiples hommages rendus sur les réseaux sociaux: autant de témoignages qui démontrent que, en ce qui concerne l’amour du peuple, il peut dormir sur ses deux oreilles.

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