Croyez en Dieu !

Battu aux Soulier d’Or, Soulier d’Ebène, Footballeur Pro et même au classement des buteurs, le Congolais a répliqué dans le dernier sprint : un deuxième titre consécutif en étant à nouveau le bourreau d’Anderlecht.

Age : 23 ans. Poste : attaquant. Particularités foot : poison détesté par les défenseurs ; homme décisif des titres du Standard en 2008 et 2009. Signes distinctifs hors foot : distant, secret et difficile à cerner.

Nationalité : congolaise.

Nom : Mbokani Bezua.

Prénom : Dieumerci. Raté… C’est Dieudonné Mbokani. Pourquoi tout le monde l’a-t-il rebaptisé ? L’explication remonte au jour de sa naissance dans une maternité de Kinshasa. Sa mère avait eu une grossesse difficile et craignait fort que le petit en garde des séquelles irréversibles. Quand il est sorti, elle a compris qu’il était en bonne santé et a crié :  » Dieu merci.  » Cela lui est resté.

On connaît très mal le puncheur du Standard. Normal : dès que l’on tente d’en savoir plus sur l’homme, il se ferme. Il a une relation glaciale avec les médias. Le public sait tout ou presque sur Axel Witsel, sur Steven Defour, sur Milan Jovanovic, sur Igor de Camargo. Les vedettes du Standard partagent sans problème leur intimité. On sait qu’untel sort avec un canon, qu’un autre est fan de très grosses voitures, qu’un autre encore a une vie de famille comme ceci ou comme cela.

Mbokani, c’est le mystère. Tentative de décodage du footballeur et de l’homme.

Le buteur : en deux saisons, seul Akpala a fait mieux

Mbokani est passé d’Anderlecht au Standard en début de saison dernière. Si on comptabilise les deux derniers championnats, le classement des buteurs donne ceci :

Joseph Akpala : 33 buts en 63 matches.

Dieumerci Mbokani : 31b/61m.

Mbaye Leye : 29b/59m.

Milan Jovanovic : 28b/61m.

Tom De Sutter : 26b/53m.

Adnan Custovic : 23b/45m.

Bryan Ruiz : 23b/63m.

Oleg Iachtchouk : 22b/58m.

Björn Vleminckx : 22b/61m.

Wesley Sonck : 20b/49m.

Pour le titre de meilleur buteur 2008-2009, Mbokani s’est fait coiffer sur le fil par Jaime Alfonso Ruiz (Westerlo) qui a marqué une 17e fois lors de la dernière journée. Mbokani a égalisé à l’occasion du premier test match contre Anderlecht. Ses stats détaillées dans ce championnat prolongé : 17 buts, 10 du pied droit, 2 du pied gauche, 5 de la tête, 8 goals à domicile, 9 en déplacement, aucun but sur penalty. Et aussi 4 assists.

Mbokani a également marqué un but en Coupe de Belgique et 3 en Coupe de l’UEFA (contre Everton, Séville et Braga). Il arrive ainsi à un total général de 21 goals.

Son bilan contre Anderlecht

L’égalisation de Mbokani dans le premier test-match à Anderlecht a fait basculer la saison. Et au retour à Sclessin, c’est lui qui a provoqué le penalty synonyme de seul but de la soirée. Il y a un peu plus d’un an, il avait déjà tué les Mauves dans le match du titre, en marquant deux fois. Au deuxième tour de ce championnat, il a aussi scoré au Parc Astrid.

Son bilan contre le Sporting depuis son arrivée au Standard : 7 matches (4 en championnat, 2 test-matches, Supercoupe) et 4 buts.

Les moments clés de sa saison

Mbokani a commencé le championnat en boulet de canon : il a marqué 5 fois lors des 6 premières journées, avec des doublés à Dender et contre Westerlo. Puis il est resté muet du 21 septembre jusqu’au 9 novembre quand il s’est subitement retrouvé : 6 buts en 7 matches. Son premier tour (11 buts) a été bien meilleur que le deuxième (5). Une baisse de forme qui a deux grandes explications : la déception qui a suivi le verdict du Soulier d’Or, ensuite une absence de trois matches due à une agression du Lokerenois Avi Strul. On a craint une fin de saison anticipée mais ce fut finalement moins grave que prévu : simple entorse du genou.

 » C’est clair que cette blessure a brisé son élan « , dit Joachim Preto, l’adjoint de Laszlo Bölöni.  » Il n’a pas retrouvé ses sensations dès son retour dans l’équipe. Entre le Mbokani qu’on a revu à ce moment-là et celui qui marquait comme il respirait en début de saison, c’était le jour et la nuit. Mais pour moi, il y a une vérité incontestable : en ne tenant compte que du talent pur, personne d’autre que lui ne méritait d’être meilleur buteur.  »

Soulier d’Or : 6e. Soulier d’Ebène : 4e. Footballeur Pro : 3e. Comment est-ce possible ?

Les trophées individuels, c’est le gros point noir de l’année 2008 de Mbokani. Qui lui en veut ? Qui ne croit pas à fond en lui ? Un peu tout le monde, apparemment. Au Soulier d’Or, il n’a terminé que sixième avec près de 100 points en moins qu’Axel Witsel. C’étaient surtout des journalistes qui votaient. Au Soulier d’Ebène, il était quatrième. Avec un jury essentiellement composé d’entraîneurs. Et au Footballeur Pro, il n’a fini que troisième. Un vote des joueurs.

Mbokani est toujours furieux quand il repense au Soulier d’Or :  » Je ne méritais pas cette sixième place. Lorsque vous interrogez mes collègues, ils vous disent tous que je suis le meilleur. Cherchez l’erreur. Tout ça parce que je ne suis pas proche des journalistes. On me le fait payer. Mais c’est mon choix de ne pas parler à la presse, on doit le respecter. Je suis venu en Belgique pour jouer au foot, pas pour être dans les journaux. Les interviews, je m’en fous. « 

Et depuis la déception du Soulier d’Or, il boude systématiquement les cérémonies. Son absence au Soulier d’Ebène lui a même valu de gros reproches de la communauté congolaise de Belgique. Marouane Fellaini le comprend. Il y a un an, c’est lui qui avait fait la tête au Gala du Footballeur Pro. A la surprise générale, il avait été battu par Jovanovic.  » Pas de problème, je respectais le verdict « , dit le gars d’Everton.  » Mais c’est tout le ramdam qu’on avait fait avant la soirée qui m’avait dérangé. Les gens du foot étaient unanimes, je ne pouvais pas être battu. Mais je l’ai été. Pareil au dernier Soulier d’Or. On m’a dit : -Reviens en Belgique, tu as une bonne chance de gagner. J’avais un entraînement, je suis allé trouver mon coach pour lui demander la permission de faire un saut à la cérémonie. Il a accepté. Et quand je suis arrivé, on m’a directement dit que Witsel avait gagné. Je comprends l’amertume de Mbokani. Mbark Boussoufa l’a complètement largué au Soulier d’Ebène et au Footballeur Pro : mais qu’est-ce qu’il a en plus que Dieu ? C’est incroyable. Mbokani, c’est plus de 30 buts en championnat en deux saisons. A coup sûr le meilleur attaquant en Belgique. C’est un vrai joueur de foot. Il y a des trucs incompréhensibles dans ces concours.  »

Fabio Baglio, l’agent de Mbokani, est lui aussi scandalisé :  » Ce qui a heurté Dieu au Soulier d’Or, ce n’est pas la victoire de Witsel. Il pouvait la comprendre. Il aurait été heureux s’il avait terminé deuxième. Mais sixième, non. Et le Soulier d’Ebène, ça vaut la peine d’en parler ? Boussoufa gagne, OK, il n’y a rien à redire et Dieu est d’accord avec le résultat. Il trouve aussi que Boubacar Copa ne vole rien à personne en terminant deuxième. Par contre, quand Nana Asare finit devant lui, nous ne comprenons plus rien. Tout cela parce que cet inconnu a fait un demi bon match contre Anderlecht ? Il y a de vraies injustices. Mbokani est en Belgique depuis trois ans, il est trois fois champion, il a un apport énorme dans les titres, il est dans le top des buteurs du championnat depuis deux ans mais tout cela ne suffit pas encore. C’est incroyable. Il considère qu’il est victime d’un terrible manque de respect.  »

Preto calme le jeu :  » Qu’il continue à travailler, et alors, les trophées individuels viendront d’eux-mêmes. Il doit arriver à se dire qu’il est encore jeune et arrêter de se focaliser là-dessus : autant qu’il cesse de se faire mal pour rien. « 

Pourquoi il fait la carpe

Baglio excuse les silences de son joueur. Il justifie sa tendance à fuir dès qu’un dictaphone ou une caméra arrive dans ses parages :  » On l’a vite condamné. Les gens raisonnent comme ceci : il ne s’exprime pas en public, donc ça veut dire qu’il a une personnalité qui n’en vaut pas la peine. Stop ! Qu’on essaye d’abord de se mettre à sa place. Il faut savoir que Mbokani parlait à peine français quand il est arrivé en Belgique. Et il est de nature très timide. Il sortait de nulle part, mais du jour au lendemain, on en a fait une petite star. Il faut pouvoir gérer des situations pareilles. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il n’était pas préparé à cette gloire. Notamment parce qu’il vient d’une culture tout à fait différente de ce qu’on voit ici. Allez faire un tour au Congo et vous comprendrez un peu mieux. Ce n’est pas une question de richesse ou de pauvreté. Les pauvres là-bas sont plus heureux que les riches ici. Une question de culture au sens large. A Kinshasa, vous marchez dans la rue, vous voyez des gens s’entretuer et vous apercevez des cadavres. Mais cela n’a rien de choquant pour les Congolais. Ils sont cool, relax et se disent que des scènes pareilles font partie de la vie. Ici, on n’a pas du tout les mêmes valeurs. On raisonne en termes d’image, de gloire, de publicité, de médiatisation. Quand on est au top dans sa discipline, on est censé se comporter convenablement en public, devant les médias. Mbokani ne marche pas dans ce jeu-là. Il y a directement eu une grosse pression médiatique sur lui, mais comme il n’est pas à l’aise avec les journalistes et vu qu’il a du mal à s’exprimer en français, il préfère refuser les interviews. On ne le comprend pas, il se sent agressé, et quand il ne répond pas à une demande, ça se retourne contre lui. Au final, on lui fait une réputation qui ne correspond pas du tout au personnage. Le vrai Mbokani est un super gars qui a un grand c£ur. On fait tout un foin autour de ses relations difficiles avec la presse mais il ne demande qu’une chose : qu’on lui fiche la paix. Les rares fois où il s’exprime ouvertement, comme après le Soulier d’Or, il ne le fait pas nécessairement très bien et ça se retourne de nouveau contre lui. Ce soir-là, il avait simplement parlé sous le coup de l’émotion : on le lui a fait payer. Au lieu de dire et d’écrire que c’est un gars sans cervelle, qu’on s’intéresse donc à ce qu’il apporte sur le terrain. Si on se concentre là-dessus et qu’on est honnête, on est obligé d’arriver à une conclusion très nette : il aurait déjà dû recevoir plusieurs prix individuels. « 

Dieu et les arbitres : ça ne passe pas

Mbokani avait pris 4 cartes jaunes en 2007-2008, et encore 8 cette saison : record du Standard. 8 avertissements, c’est autant que pour Oguchi Onyewu, Mohamed Sarr et Tomislav Mikulic réunis ! Un attaquant seul autant averti que 3 défenseurs centraux ! Le plus souvent, c’est pour des rouspétances qu’il a vu jaune.

 » Il doit apprendre à communiquer avec les arbitres, arrêter de s’emballer dès qu’un truc ne lui plaît pas « , dit Preto.  » En plus, dès qu’il s’énerve pour des bêtises, il perd sa concentration et ça se reflète sur son jeu. Il doit comprendre que quand on commence à faire la guerre avec les arbitres, on n’en sort jamais gagnant. Que tu sois d’accord ou pas avec leurs décisions, tu ne pourras de toute façon plus rien y changer. Tout ce que tu risques en râlant, c’est de perdre ton football. C’est l’un des domaines dans lesquels Mbokani doit encore progresser. Il lui reste un gros apprentissage : comme footballeur et comme homme. Il a assez de talent pour devenir un attaquant d’un très haut niveau, mais il y a des lacunes à corriger au plus vite pour y arriver. On sent clairement qu’il est arrivé tard en Europe. « 

Un homme qui souffre mais qui va sourire à nouveau

Mbokani est un homme meurtri depuis l’été 2008. Son père, qui travaillait dans une banque, est subitement tombé malade et en est mort très vite.  » Dieu n’en a pas souffert directement dans son football « , dit Baglio.  » Les premiers matches de la saison, il les a joués pour l’honneur de son père. C’était pour lui qu’il courait, se démenait et marquait. Il lui dédiait ses buts. Puis, il a compris que, vraiment, son père n’était plus là. Et alors, il a connu un creux.  »

Pour lui rendre le sourire, il y aura sa première paternité en juin. Ce sera un fils, qu’il surnommera Dieni.  » Sa copine n’est jamais venue en Belgique mais c’est pour bientôt « , explique Baglio.  » S’il reste au Standard – NDLA : il est sous contrat jusqu’en 2013 -, elle sera ici la saison prochaine. Nous faisons le nécessaire pour obtenir un visa. A ce moment-là, ils seront mariés : tout est prévu pour cet été au Congo. C’est du sérieux, ce n’est pas une fille de passage, ils se connaissent depuis de nombreuses années. Dieu n’a jamais été du genre à passer de bras en bras.  »

Le provocateur

Mbokani a parfois l’art d’énerver ses entraîneurs. La saison dernière, il y eut quelques clashes avec Michel Preud’homme. Le Congolais lâcha un jour :  » Avec lui, la première moitié du championnat a été difficile. On parlait peu, je ne jouais pas beaucoup, il était fâché sur moi. Pour tout dire, je faisais exprès d’arriver en retard à l’entraînement. Pour l’énerver. Sur toute la saison, je dois avoir payé près de 5.000 euros en amendes. Pas grave : cet argent a servi aux supporters, ça leur a permis de faire des magnifiques tifos.  »

Avec Bölöni aussi, il y eut parfois de la friture sur la ligne. La veille d’un des matches européens contre Everton, Mbokani se pointa de nouveau en retard au rendez-vous. Justification :  » C’est parce que le coach avait avancé l’entraînement et on ne m’avait rien dit.  » Et au premier tour, il rentra une fois avec deux jours de retard d’un match disputé avec le Congo. Bölöni, furieux, l’exclut du groupe pour le match à Mons. Il y eut une version officielle : légère blessure. Mais il semble bien que la raison de son absence était ailleurs.

Qui sont ses potes ?

Chelsea est l’équipe préférée de Mbokani et Didier Drogba le joueur qu’il admire le plus. Des rêves pour lui. Partons plutôt à la rencontre des gens qu’il fréquente plus ou moins régulièrement. D’abord son agent Baglio, qui l’a découvert au Congo :  » J’avais été invité par le président du Tout-Puissant Mazembe qui voulait me faire découvrir Trésor Mputu. Je suis tombé sous le charme de Dieu. Il était inconnu au bataillon, c’était un joueur parmi tant d’autres mais je me suis dit qu’il avait un avenir. Je l’ai ramené en Belgique et l’ai hébergé pendant six mois.  »

Au Standard, son meilleur pote est Landry Mulemo. Ils partagent la même chambre lors des mises au vert, sont assis côte à côte dans le bus des joueurs et se rendent régulièrement visite pour des soirées PlayStation. Mulemo :  » Comme Dieu, je suis né à Kinshasa. Dès qu’il est arrivé au Standard, il est venu vers moi. Il était content de trouver quelqu’un à qui parler. C’est un timide mais on ne peut pas lui demander de devenir un deuxième Steven Defour, qui est capitaine et parle néerlandais, français et anglais. Dieu n’aime pas s’exprimer, surtout pas en public. Mais on se fait une image complètement fausse de lui. On connaît une face, qui n’est pas forcément la plus belle. L’autre est très intéressante mais il ne la montre pas à l’extérieur. Depuis quelques mois, je le sens assez triste. Il constate qu’on ne veut pas récompenser son talent par des trophées individuels et ça lui fait mal. Il trouve cela illogique après avoir déjà montré tant de choses sur le terrain. Il sait marquer, donner des ballons de but, dribbler. En un mot, il sait tout faire. Je le trouve encore plus fort que la saison dernière. Il s’est par exemple calmé. Avant, il voulait tout réussir tout de suite ; il a entre-temps appris à être patient.  »

Et il y a les autres potes, tous congolais… Dieudonné Kalulika (ex-Brussels) est un ancien coéquipier de Mbokani au TP Mazembe. Il jouait cette saison à Visé où il y avait une imposante colonie africaine. A Liège, on les voit souvent ensemble dans les galeries du centre-ville. Avec Matumona Zola, joueur du Brussels, international congolais avec Mbokani, ils se voient régulièrement à Bruxelles et à Liège. Et puis Trésor Mputu : la grande star du football congolais, annoncée plusieurs fois au Standard mais toujours au pays. Mbokani l’a côtoyé au TP Mazembe et ils sont toujours associés en attaque de l’équipe nationale congolaise. Enfin : Jo, le copain congolais qui partage l’appartement de Mbokani à deux pas de la Place Cathédrale.

Quels sont ses hobbies ?

Baglio :  » On dit qu’il sort beaucoup mais il n’y a rien de plus faux. C’est un vrai casanier. On le voit parfois à Matongé, le quartier congolais de Bruxelles. Il y va pour se ravitailler en produits congolais mais ça s’arrête là : Dieu est conscient que c’est un quartier à ne pas fréquenter parce qu’on risque fort d’y faire des mauvaises rencontres à tout moment. C’est plutôt dangereux.  »

La première passion hors-foot de Mbokani, ce sont les pièces de théâtre en congolais.  » Il a des piles de dizaines de DVD chez lui, c’est un vrai fan « , dit Baglio.  » C’est souvent grâce à ça qu’il se relaxe. « 

par pierre danvoye

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