Crise de l’EURO

Il y a 28 ans, les Diables Rouges participaient pour la dernière fois à un Championnat d’Europe en s’étant qualifiés sur le terrain… Evocation.

On oublie 2000 et la participation automatique en tant que pays organisateur. Pour retrouver trace d’un Championnat d’Europe avec nos Diables qualifiés sur des critères sportifs, il faut se farcir un retour dans le temps de 28 interminables années. En 1984, en France, nous y étions ! Pour y confirmer la place de finaliste arrachée quatre ans plus tôt, pour continuer à surfer sur la vague du tout bon Mondial 1982. Au bout du compte : échec douloureux. Michel De Wolf (54 ans) a joué intégralement les trois matches de cet EURO. Il se souvient…

 » Quand les qualifications ont commencé, l’équipe se sentait assez costaude pour battre tout le monde. Elle était sur une vague. Quand tu as battu l’Argentine à la Coupe du Monde, tu sais que tu es capable de faire beaucoup d’autres bonnes choses. Ça a volé au début des éliminatoires : quatre matches, quatre victoires. Puis, il y a eu un petit relâchement, mais la qualification était de toute façon acquise et ça a joué. A l’approche de l’EURO, il y a eu le terrible tournant, le tremblement de terre : on a appris, fin février, que le Standard avait acheté Waterschei deux ans plus tôt. Dès ce jour-là, Guy Thys n’a plus su à quoi s’en tenir. Il y avait trois piliers de l’équipe nationale qui jouaient au Standard : Eric Gerets, WalterMeeuws et Guy Vandersmissen. On ne savait pas ce qu’ils allaient devenir. On parlait d’une suspension mais rien n’était sûr. Et si on les suspendait, il y avait toujours une possibilité d’appel. Bref, c’était le flou total. Les sanctions sont tombées en avril : ces trois-là ne pouvaient pas venir en France. En quelques semaines, Thys a dû chercher des solutions, bricoler. Alors qu’on avait un noyau qui débordait de confiance, on a subitement eu un groupe qui se posait plein de questions, traumatisé. Les ambitions ont diminué. Enfin bon, deux défenseurs éjectés pour des raisons extra-sportives, ce n’était pas perdu pour tout le monde : sans l’affaire Standard, je n’aurais peut-être pas fait partie de la sélection pour l’EURO ! J’ai même été repris alors que je m’étais fait une bonne entorse en fin de saison… Cela a aussi permis de faire sortir plus vite que prévu des jeunes talents : Enzo Scifo et Georges Grün.

Gerets, c’était notre capitaine. Mais un gars pas du tout emmerdant. Il nous foutait la paix. Si ça tournait, il ne disait rien. Il ne venait te trouver que si quelque chose n’allait pas. Et quand il venait te parler, il ne t’engueulait pas, il n’était jamais cassant. Il te faisait des remarques du style : -Bats-toi. Ou : -Ose. Ou : -Je suis sûr que tu peux faire mieuxlaprochaine fois. Il te mettait en confiance. Deux autres joueurs avaient le même genre de comportement : Meeuws et Jan Ceulemans, même si ça ne sautait pas aux yeux. Alors que Gerets venait vers toi s’il y avait un problème, Ceulemans préférait passer par le coach pour faire ses remarques.  »

Petit Scifo épate contre les grands Yougos

 » En étant versés dans la poule de la France, nous savions que nous étions condamnés à viser, au mieux, la deuxième place. Ce n’était pas un trop gros problème pour Thys, qui nous répétait qu’il y avait quand même deux qualifiés… L’équipe de France était hyper-costaude, elle avait disputé les demi-finales de la Coupe du Monde en 82. Et elle jouait cet EURO chez elle : ça voulait dire qu’elle allait recevoir un soutien terrible de son public. À l’époque, le public français n’aurait jamais sifflé les Bleus, même s’ils avaient été très mauvais. Et leur presse passait son temps à cacher ce qui n’allait pas. On pouvait aussi prévoir une aide probable des arbitres : c’est comme ça dans les grands tournois, le pays organisateur est presque systématiquement avantagé. Mais dans ce cas-ci, ça n’a même pas été nécessaire : les Français étaient trop forts, ils avaient un talent fou dans chaque ligne et le titre ne pouvait pas leur échapper.

Nous avions encore plein de questions dans les têtes quand nous avons joué notre premier match, contre la Yougoslavie. Entre l’annonce des suspensions des joueurs du Standard et ce jour-là, nous n’avions eu que deux rendez-vous amicaux. Et donc, l’équipe n’était pas au point. Les Yougos étaient meilleurs que nous, ils avaient des qualités techniques énormes. Mais nous étions meilleurs tactiquement, nous avons fait le match parfait et gagné 2-0. En plus, Scifo était dans un tout grand jour alors qu’il ne jouait que son deuxième match avec les Diables. Il a fait une démonstration exceptionnelle. Après ce match, nous nous sommes dit : -Et pourquoi pas passer le premier tour ?  »

 » Un dispositif anti-Platini n’aurait servi à rien « 

 » Puis, il y a eu cette journée horrible. En face de nous, les Français. Le meilleur entrejeu du monde à ce moment-là. Jean Tigana savait dribbler un homme. Alain Giresse était capable d’en passer deux. Et Michel Platini faisait carrément ce qu’il voulait, il pouvait te donner sans élan une passe parfaite à 80 mètres. Derrière eux, Luis Fernandez arrêtait tout, bouchait tous les trous, récupérait les ballons puis les passait à un des trois avec un regard qui voulait dire : -Vas-y, fais-en quelque chose de bien. Impressionnant. Platini était au sommet de son art : Ballon d’Or en 83, 84 et 85 ! Si tu lui donnais un coup franc près du rectangle, il avait 90 % de chances de le mettre au fond. On savait plus ou moins comment il allait tirer, mais c’était tellement précis et puissant que le gardien ne pouvait en général rien faire. La hantise, c’était que les Bleus reçoivent un coup franc en zone dangereuse. Ils faisaient tout pour en avoir, évidemment. C’était un jeu pour eux.

Imaginer un dispositif anti-Platini n’aurait servi à rien. Il aurait fallu mettre deux hommes sur lui. Deux sur Giresse. Et encore deux autres sur Tigana. Ajoute ton gardien et ça te fait sept joueurs qui ne jouent plus vers l’avant, qui doivent se concentrer sur la destruction du jeu de l’adversaire, il ne t’en reste plus que quatre pour essayer de faire quelque chose… Tu oublies ! Au bout du compte, Platini a planté trois buts. De la première à la dernière minute, nous avons été complètement dépassés par les événements.

Quand tu rentres au vestiaire après une gifle pareille, tu te sens mal. Tu es conscient d’avoir été ridicule devant toute l’Europe. Evidemment, les Français étaient sur une autre planète mais nous leur avions aussi mâché le boulot. Il ne faut pas oublier que dans les années 80, c’était surtout en jouant avec ton équipe nationale que tu pouvais avoir une chance de te faire repérer par un club étranger. C’était la plus belle vitrine. Et à l’époque, tu ne visais pas l’Angleterre ou l’Allemagne mais plutôt la France. Ça a été le raisonnement de plusieurs Diables. Ils l’ont jouée perso ce jour-là, ils savaient que les caméras étaient braquées sur eux, qu’ils avaient une occasion unique de se mettre en valeur. Beaucoup de joueurs ont surtout voulu faire leur petit numéro. Je ne me sens pas concerné… J’étais déjà content d’être à l’EURO, je n’ai jamais été qu’un travailleur, je ne pensais pas à l’étranger – c’est pourtant moi qui suis allé à Marseille quelques années plus tard… (Il rigole). Mais j’ai ramé comme tous les autres. Contre un Dominique Rocheteau qui était au sommet et s’amusait dans ses dribbles, c’était quelque chose. J’étais rapide, mais sur les premiers mètres, je ne savais pas le tenir. Il faut rester logique… Je n’étais pas assez fort pour m’en sortir contre un attaquant pareil. Et, à l’époque, pas assez intelligent non plus. J’ai fait mon possible, ce n’était pas suffisant. Aucun défenseur belge ne pouvait être content de son match : si tu prends cinq buts, tu n’as pas de circonstances atténuantes. En rentrant au vestiaire, Thys nous a sciés. Nous nous sentions mal, nous nous demandions si nous allions pouvoir remonter la pente en quelques jours, il nous a tenu le bon discours : -Les gars, vous êtes passés à côté. Mais est-ce que vous pensiez prendre quelque chose contre la France ? Non ! Alors, perdre 1-0 ou 5-0, ça ne change rien.  »

Tués par les Danois du championnat de Belgique !

 » Il suffisait de battre le Danemark, qui n’avait rien de comparable aux Bleus, pour sortir de la poule. Après la claque historique, nous avions encore une deuxième chance, ce n’était pas mal, il ne fallait pas se plaindre. Et ce jour-là, nous avons pris un départ de rêve : nous menions 2-0 après 40 minutes. Puis nous avons été assassinés par trois Danois du championnat de Belgique… Frank Arnesen, d’Anderlecht, a fait 2-1 juste avant la mi-temps. Kenneth Brylle, encore un Mauve, a fait 2-2. Et Preben Elkjaer-Larsen, de Lokeren, a mis le but de la victoire. Nous étions morts, physiquement et mentalement : cette deuxième mi-temps a résumé l’état de fatigue de la plupart des Diables. Nous n’en pouvions plus. Quelque chose a subitement cassé. Il fallait un gros problème pour se faire rejoindre puis dépasser comme ça par une équipe du niveau du Danemark. En temps normal, une Belgique qui mène de deux buts gagne le match. Et Thys a encore trouvé les mots justes, malgré l’énorme déception : -On a fait avec les moyens du bord, on a fait notre possible mais ce n’était pas suffisant.

Il était très subtil, supérieurement intelligent. Avec la presse, il avait une vraie relation de proximité et il savait que c’était bon pour lui. Il écoutait les journalistes et, régulièrement, il tenait compte de leurs avis. En général pour leur donner tort… On lui conseillait de donner une chance à un joueur X ou Y ? Thys le faisait, le gars en question était mauvais, puis le coach allait trouver le journaliste en lui disant : -Tu vois que tu n’avais pas raison ? Je viens de te le prouver par A + B. Ton joueur, il ne vaut rien. On ne va plus perdre notre temps à discuter de son cas. L’affaire était close. Je ne dis pas que je l’appréciais énormément à l’époque, mais je ne lui connaissais pas d’ennemis.

Et il maîtrisait super bien le foot. A une période où la majorité du noyau provenait du Standard et d’Anderlecht, il a concilié les deux styles en équipe nationale. Les Liégeois pensaient surtout à expédier des longs ballons vers l’avant, les Bruxellois cherchaient plutôt à temporiser, à la jouer technique, à attendre une ouverture dans le mur adverse pour frapper. Thys a mixé tout cela et ça marchait. Il ne nous mettait aucune pression, il ne venait pas nous ennuyer sans arrêt avec des consignes, il ne nous demandait même pas d’être concentrés parce qu’il nous traitait comme des adultes. Ses séances de théorie ne duraient pas plus d’un quart d’heure. Il disait par exemple à Gerets : -Aujourd’hui, tu joues contre Kenny Dalglish. Tu le connais, hein ! Tu sais ce qu’il fait ! Allez, c’est bon, je ne te casse pas plus les oreilles… Et il savait entretenir une ambiance. Nous nous retrouvions souvent dans une cuisine du Heysel pour boire quelques verres après l’entraînement. La situation était déjà un peu la même qu’aujourd’hui : le talent, on l’avait ; le physique, aussi. Donc, c’était surtout l’ambiance qu’il fallait travailler. Maintenant, je vois des gars hyper doués en équipe nationale, ils ont aussi une condition physique exceptionnelle, c’est une équipe phénoménale sur le papier. Mais ces gars-là sont incapables de former un groupe. Mets Thys à la tête des Diables actuels et tu verras autre chose parce que les joueurs s’entendront, s’aideront sur le terrain.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Dès le déclenchement du scandale Standard- Waterschei, on a su que c’était fini. « 

 » Contre le Danemark, quelque chose a subitement cassé. Nous étions morts. « 

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