Crise de croissance

Défait sans discussion à Zulte-Waregem, le Standard alterne sans cesse les hauts et les bas. Le médian explique les ratés du moteur liégeois et reste confiant.

Le poids des mots, le choc des photos : à l’Académie Robert Louis-Dreyfus, chaque affirmation des joueurs du Standard est notée avec soin, le moindre regard est souligné par les flashes. Près de la salle de presse, un immense poster rappelle la deuxième manche des fameux stress matches pour le titre 2008-09. Les deux équipes entrent sur le terrain. Le temps a filé mais n’a pas écorné ces équipes de la même façon. Sur les 11 gladiateurs anderlechtois, seul Jelle Van Damme a tenté sa chance ailleurs. Côté liégeois, il ne reste que Steven Defour, Réginal Goreux et Axel Witsel. Les Rouches ont évidemment thésaurisé leurs exploits en Ligue des Champions et en Europa League. Mais cette façon de gérer l’effectif met une autre différence en lumière.

Par rapport à Anderlecht, qui peut s’appuyer sur un hinterland économique bien plus important que celui de tous ses adversaires pour garder ses stars, le Standard est obligé de vendre régulièrement ses bijoux afin de nouer les deux bouts. Les cycles de vie d’un vestiaire sont donc plus courts à Sclessin. Totalement retrouvé après un gros passage à vide après l’épisode Wasyl, Witsel sait mieux que personne qu’il imitera un jour les Oguchi Onyewu, Marouane Fellaini, Igor de Camargo, Dieumerci Mbokani, Milan Jovanovic, etc. Il promènera alors sa tignasse (aujourd’hui afro) à l’étranger.  » Oui, mais je n’y pense pas du tout pour le moment… « , précise le médian, conscient du poids des mots.

Quels hauts et bas cette saison !

Axel Witsel : Le début de la saison a été délicat, difficile, hésitant. Et ce le sera encore. Notre équipe avait besoin d’un peu de temps pour se mettre en place. Il fallait établir la communication dans cet effectif qui avait profondément changé et il est possible que nous nous soyons trop interrogés sur notre style de jeu, la verticalité, le jeu au sol, etc. Moi, je n’ai pas eu d’appréhension par rapport à cela. Il fallait trouver de nouveaux automatismes avec des joueurs offensifs ayant d’autres atouts que Mbokani, de Camargo et Jova. Et cette mission incombe en grande partie à la ligne médiane. Je n’ai pas eu peur pour deux raisons : Steven et moi, nous avons du vécu ; je savais que le club agirait en cas de nécessité. C’est ce qui s’est passé.

Quels étaient vos objectifs personnels avant le début de cette saison ?

Compte tenu des départs, et du fait de faire partie désormais des plus anciens, je dois devenir un leader comme Steven l’est déjà. Je dois être un patron et cette obligation ne m’effraye pas du tout. C’est une étape, un passage obligé dans mon évolution comme joueur et en tant qu’homme. Je suis ambitieux dans ma façon de vivre le football. Tout le monde voit que l’effectif a changé mais l’objectif ne consiste pas qu’à remplacer des joueurs. Si cela garantissait le succès, ce serait trop simple. Cette équipe ne joue plus de la même façon qu’à l’époque de Michel Preud’homme ou de Laszlo Bölöni. Et il reste encore beaucoup de travail dans cette volonté à imposer notre jeu.

 » Tchité est plus fort qu’avant son départ pour l’Espagne « 

La présence de Mémé Tchité est-elle très importante ?

Oui, bien sûr. Mémé nous apporte beaucoup : ce qu’il a appris en Espagne, la profondeur, la vitesse, sa double accélération, le calme à la conclusion, le feeling, l’art de surgir au bon endroit au bon moment. Quand il prend la parole dans le vestiaire, il n’y a pas de soucis : c’est direct, tout le monde l’écoute. Je connaissais Mémé avant son retour. J’ai un peu joué avec lui au moment de mon arrivée dans le noyau professionnel. Tchité est encore plus fort, plus confiant, plus complet, plus cool qu’au moment où il nous a quittés. On voit que cet attaquant s’est frotté au Real, au Barça et à Villarreal. On peut penser ce qu’on veut, c’est un gros capital. Il connaît la maison et le football belge. Tchité était parfaitement préparé quand il est arrivé et n’a pas eu besoin de période de rodage. Cet attaquant réalise des trucs auxquels personne ne s’attend. C’est sa griffe, la marque de fabrique de Tchité, celle du vrai buteur.

Par exemple ?

Au Germinal Beerschot, personne ne croit qu’il va glisser le pied dans un trou de souris et marquer sur la transversale de Mbaye Leye. En Coupe de Belgique, contre Genk, il grille Eric Matoukou dans un mouchoir de poche avant de battre Thibaut Courtois d’une magistrale pichenette. Son apport est très important car on sait qu’il ne doit pas nécessairement être servi sur un plateau en argent pour marquer. Pour nous, c’est primordial et j’imagine qu’il met ses opposants dans l’embarras. Je n’aimerais pas être défenseur et le tenir. Mémé est chiant à garder, bouge toujours mais il sait aussi se faire oublier, décrocher ou être un relais. Il a un timing formidable dans le trafic aérien et est solide dans les duels d’homme à homme…

C’est pas Lukaku quand même ?

Non mais il est solide, très solide même.

Rêvons un instant : et si le Standard avait pu choisir entre Tchité et Lukaku ?

Ah… ce sont deux potes. J’imagine le duo qu’ils formeraient en équipe nationale. Compte tenu de notre évolution actuelle, Tchité nous convient mieux. C’est notre homme de la profondeur. Romelu décroche quand même plus que lui, se retourne avant de repartir. Notre manière d’être sur le terrain est différente. Lukaku s’adapterait aussi à notre jeu, bien sûr. Il trouverait ses marques au Real, à Barcelone ou à Chelsea : je vous laisse imaginer ce qu’il pourrait apporter au Standard.

C’est une question théorique…

Oui, oui, j’ai bien compris. Tchité colle mieux à nos réalités actuelles. C’est un coup dans le mille. Et il peut compter sur Cyriac, qui après une saison d’adaptation, apporte toute sa fraîcheur, son étonnante détente verticale, sa vivacité.

 » Le problème de Carcela, c’est qu’il n’a pas toujours envie… « 

Et puis, il y a Carcela…

Ah, Mehdi. Un diamant. Son problème, c’est qu’il n’a pas toujours envie comme c’est parfois le cas ces derniers temps. S’il abordait chaque match avec une motivation totale, il grandirait encore, serait dix fois plus fort. Je ne dis pas qu’il est unique mais peu de joueurs détiennent toutes ses qualités. Il est imprévisible. Quand Mehdi part dans un dribble, personne ne sait où, quand et comment, cela se terminera. Là, je reconnais le Mehdi avec qui je jouais dans les agoras. Il passe où il y a tout sauf de la place. C’est dingue son art de se faufiler partout. Je le connais et cela me permet de le décoder plus facilement que les autres. Avec de tels atouts, le Standard ne peut qu’être offensif. Attendre dans notre camp, cela ne va pas avec cet effectif. Beaucoup de choses ont changé…

Songez-vous à la taille, aussi ?

Oui, offensivement et défensivement, le Standard avait la maîtrise du trafic aérien. Et, en plus de sa reconversion cela explique une partie de ses succès. Personne n’était aussi fort que notre équipe sur le deuxième ballon. A ce jeu-là, nous avions de Camargo, Fellaini, Onyewu, etc. Le Standard partait de là et ajoutait quand il le fallait de la vivacité au sol. Maintenant, il faut faire le contraire : miser sur le contrôle du ballon sans oublier la profondeur au moment le plus indiqué, la verticalité. Nous ne pouvons pas agir autrement. Les atouts sont différents : les arracheurs et les rois du jeu aérien sont partis. L’équipe des deux titres n’est pas née du jour au lendemain. Preud’homme a travaillé un an avant de trouver la bonne formule. Nous aurons encore besoin de patience. Moi, je préfère de toute façon jouer au ballon que balancer au plus vite devant. Je me suis amélioré dans mon positionnement. Je suis plus à la man£uvre. J’aime bien…

Qu’est-ce que Conceiçao apporte ?

Il y a d’abord son entente avec Dominique D’Onofrio, le chef. C’est un duo très proche du groupe. Conceiçao apporte sa grinta, son expérience, ses conseils,… ses coups de gueule. On ne peut pas s’endormir avec lui. Quand quelqu’un comme lui vous pousse dans les derniers retranchements, on ne peut que progresser. Il parle sans cesse, communique beaucoup.

C’est quand même un duo très différent par rapport à ceux que vous avez connu précédemment ?

Oui, mais chaque staff technique a son style. Quand Dominique D’Onofrio doit se faire entendre, cela peut faire du bruit. Il ne faut pas négliger l’ampleur de la tâche et le poids des attentes après ce que nous avons vécu.

Si je vous dis… Preud’homme, vous me répondez quoi ?

Papa poule. Il a été extraordinaire et a installé le Standard dans le progrès. MPH m’a lancé en D1 et je n’oublierai jamais comment il s’y est pris, en me protégeant, en ne m’utilisant pas trop au départ. Il ne voulait surtout pas me brûler et j’ai découvert ce monde en dépannant à droite, à gauche. J’ai pu m’installer à l’aise. Puis, il y a tout le reste. C’est un super coach. Il a requinqué Gand et ses succès à Twente ne m’étonnent pas du tout. MPH est fait pour le top européen et il y arrivera. Twente n’est qu’une étape vers les sommets.

Espérez-vous retravailler un jour avec MPH ?

Je ne lis pas dans l’avenir mais ce serait avec plaisir…

 » L’étranger n’est absolument pas à l’ordre du jour « 

A l’étranger alors ?

Pour l’instant, l’étranger n’est absolument pas à l’ordre du jour. Je vis ce que je dois vivre et la tête est au Standard. Si je pars un jour, ce sera grâce au Standard et à ce que je montre sur le terrain. Il n’y a pas à sortir de cette évidence. Je n’entends plus tout ce qu’on dit, ces rumeurs qui vous citent à gauche et à droite. Carcela doit faire la même chose. Pas écouter le bruit et les… louanges. Je suis sous contrat au Standard jusqu’en

2014. C’est du concret, le reste pas.

La saison passée, les cadors ont d’abord joué pour leur transfert : c’est votre tour de le faire maintenant ?

Je joue pour l’équipe, je ne sais pas faire autrement. J’existe par le collectif et il n’y a pas à en sortir. Je suis heureux quand je peux servir les autres. C’est aussi pour cela que je m’entends bien avec Steven.

C’est qui le vrai leader, vous ou lui ?

Les deux. Il balaye plus bas, je structure plus haut. C’est à deux que nous réussirons. Et je suis confiant…

Si je vous dis Bölöni ?

Dur, très dur mais pas trop dur. J’ai beaucoup appris avec lui. Si l’Europe a redécouvert le Standard, c’est grâce à lui. Quand les résultats ne suivent plus, c’est toujours le coach qui casque. C’est comme cela dans le football. L’effectif a aussi ses torts et n’a pas su enchaîner tous les matches avec la même motivation. Je n’ai plus eu de nouvelles de Bölöni depuis son départ.

Et si je vous dis… Wasilewski ?

Je réponds par un souhait : le revoir au plus vite en D1. Je sais ce qu’il a vécu, je sais ce que j’ai traversé. Derrière l’image que chacun a sur un terrain, il y a l’homme. Jonathan Legear me parle parfois de Wasilewski quand nous nous voyons en équipe nationale. Fellaini a fréquenté le même kiné que lui, Lieven Maesschalk. Jona et Marouane m’ont parlé de lui. Si Wasilewski le souhaite aussi, j’aimerais bien le rencontrer.

Une équipe peut-elle développer tranquillement ses ambitions offensives si la défense n’est pas à la hauteur ?

Difficile. Il faut garder plus souvent le zéro, comme nous l’avons fait au Beerschot. Ce secteur change trop souvent. Laurent Ciman peut et doit devenir le patron. Il joue bien à droite mais je le préfère dans l’axe avec sa lecture du jeu, ses transversales. Il peut coacher cette défense où il y a eu un problème de communication. Tout le monde ne parle pas la même langue. Je ne suis pas sûr qu’il faille nécessairement trouver des solutions à l’extérieur. Il y a du talent derrière : Laurent, Opare, Poco, Mangala, Felipe, Ramos. Moi, je trouve que c’est pas mal…

 » Lukaku doit rester en Belgique « 

La lutte pour le titre : est-ce un objectif réaliste pour cet effectif ?

Oui et je le redis. Pour cela, il faut vivre ses ambitions à fond lors de chaque match. Si on n’y arrive pas, ce sera plus difficile. Ce groupe atteint actuellement 70 % du niveau de l’équipe des deux titres et de la Ligue des Champions mais il peut aller plus loin que la génération précédente. C’est osé mais je le pense. Même si je préférerais vivre des soirées européennes, notre programme est moins lourd que celui d’Anderlecht, de Gand ou du Club Bruges. Enfin, je ne veux pas m’occuper des autres…

Un peu quand même, non ?

Genk a entamé la saison en boulet de canon et continue sur sa lancée. Je ne pense pas que cela durera éternellement. Comment cette équipe se passera-t-elle de Jelle Vossen blessé ? Je me méfie de Gand, bien organisé. Si Anderlecht a un noyau très étoffé, il dépend énormément de Lukaku. Restera-t-il ou pas à Anderlecht en janvier ou à la fin de la saison ? A sa place, je ne me précipiterai pas. A 17 ans, il doit jouer, ne pas cirer le banc. Il a le temps, Carcela, Defour et moi aussi. Anderlecht a des atouts. Nous aussi. On l’a prouvé au match aller contre les Mauves, n’est-ce pas ? Mais on doit arriver à avoir ce même état d’esprit chaque semaine…

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : REPORTERS/GOUVERNEUR

 » MPH est fait pour le top européen et il y arrivera. « 

 » L’effectif actuel vaut actuellement 70 % de celui des deux titres mais peut aller plus loin… « 

 » Si Wasilewski le souhaite aussi, j’aimerais bien le rencontrer… « 

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