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Jo Planckaert est le dernier des Planckaert : il est le fils de Willy, et le neveu de Walter et d’Eddy. Et il a raté son printemps. Il a remporté une étape de l’Etoile de Bessèges en février puis, plus rien à cause d’une tenace infection intestinale, d’origine bactérielle. Il n’a plus eu que quelques places d’honneur dans A Travers les Flandres (quatrième), le Prix E3 d’Harelbeke (neuvième), les Trois Jours de la Panne (deuxième de la troisième étape) et le GP de l’Escaut (sixième). Il ne se défait pas de son étiquette d’éternel espoir…

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Jo Planckaert : Je me suis entraîné dur cet hiver. L’Etoile de Bessèges a été bonne pour le moral mais j’ai dû abandonner au Tour de la Méditerranée après m’être cogné le genou contre la barre. Ensuite, en Espagne, j’ai mangé quelque chose d’avarié. Le lendemain, j’ai eu la diarrhée et je n’avais plus de jambes pour la course. J’avais tout le temps des nausées. On m’a soumis à des examens approfondis à Paris. Ils ont révélé une déchirure de la paroi stomacale mais je vis avec depuis deux ans. Les médecins n’ont rien voulu entendre et m’ont renvoyé avec des pilules contre la diarrhée. Deux semaines plus tard, mon médecin traitant a découvert que j’avais une salmonellose mais la moitié du printemps était déjà en l’air.

Comment vous êtes-vous occasionné cette déchirure ?

C’était lors de ma première année chez Cofidis. J’avais le maillot de l’Etoile de Bessèges mais nous n’avions que huit secondes d’avance et nous devions rouler un contre-la-montre par équipes de 20 km. Sur papier, nous étions les meilleurs, avec Frank Vandenbroucke, Nico Mattan, Peter Farazijn et Chris Peers, mais j’étais nerveux. C’est bête mais c’était ma première course pour Cofidis et la direction m’avait mis sous pression. Je ne pouvais échouer. J’ai commencé à ressentir une brûlure d’estomac. Une gastroscopie a montré que j’avais une hernie hyatale : la valve de l’estomac ne se refermait plus. Je devrai me faire opérer un jour mais je retarde ce moment.

Votre stress était-il dû à la présence de Frank Vandenbroucke ?

C’était fou ! Au Circuit Het Volk, les gens ont presque renversé notre camping-car. Je n’ai roulé que quatre mois avec Frank. Ce sont les meilleurs moments de ma carrière : l’ambiance, le spectacle, les sensations. La vie privée de Frank était un feuilleton sans fin, meilleur que Dallas et Dynastie réunis.

Comment vivez-vous votre échec actuel ?

C’est triste car je me suis bien entraîné. Un printemps raté compromet toute la saison car on est poursuivi par l’obligation de se rattraper. L’année dernière à la même époque, j’avais 580 points UCI. J’en ai peut-être 180.

Au c£ur de drames

Battu au sprint par le Hollandais Steven de Jongh aux Trois Jours de la Panne, vous vous êtes enfermé dans votre chambre d’hôtel.

Je savais que je pouvais gagner. Etre battu de dix centimètres est terrible. Enfin, la vie continue. Il y a pire. Pensez à mon coéquipier Kivilev. Ça m’aide à relativiser six semaines de diarrhée. Je regardais Paris-Nice à la TV. J’ai immédiatement compris que c’était grave, à sa position en f£tus. J’étais aussi dans la roue de Nelissen quand il s’est broyé la jambe sur un poteau. Et il y a cinq ans, Manuel Sanroma est tombé juste devant moi, dans un sprint. J’ai volé au-dessus de lui. Sa bouche et ses oreilles saignaient. J’ai compris qu’il était mort sur le coup. Je ne me mêle plus aux sprints massifs. Il y a toujours un Zabel, un Cipollini ou un McEwen et je ne risque pas ma vie pour un accessit.

Beaucoup de coureurs se plaignent du comportement de certains.

Il n’y a plus de respect. Je laisse passer Museeuw ou Steels s’ils sont dans ma roue, par respect. Les jeunes mettent le verrou. Au Tour de Belgique, un néo-pro a heurté deux fois la roue de Museeuw et l’a même interpellé. Moi, je n’aurais jamais osé adresser la parole à Nelissen ou à Ludwig. Maintenant, c’est chacun pour soi. Au Tour de Belgique toujours, il y avait un demi-peloton largué. Pensez-vous qu’ils aient attendu ? Ils se sont dit : – En voilà 60 de moins. Il faut également faire attention au ravitaillement : sept fois sur dix, ils démarrent à ce moment. A la deuxième ou troisième étape, encore : ils foncent à 60 à l’heure et Johan crie : – Du calme ! 500 mètres plus loin, un autre a démarré derrière lui. Johan est le patron mais il n’a plus rien à dire. Les jeunes s’en moquent.

A La Panne, le peloton a été unanime : il n’a pas grimpé le Kemmelberg.

C’est la course à étapes la plus dangereuse. Nos Français ne veulent pas la courir : tous les Belges sont supermotivés et le parcours est mauvais. Quand il pleut, il est impossible de descendre le Kemmelberg. Peers s’y est brisé la moitié des os l’an dernier, Tchmil s’est déchiré la cuisse, Redant y a achevé sa carrière : il ne sait plus tendre son bras. Il y a 15 ans, un coureur a perdu un morceau de langue. A dix kilomètres du Kemmelberg, j’ai demandé ce qui allait se passer au commissaire de course. Il a répondu : – On verra bien. J’ai pris la tête avec Van Petegem et nous avons continué tout droit, sans freiner : les gens se sont écartés d’eux-mêmes. C’était génial ! Enfin un geste de solidarité. Je comprends les organisateurs mais ils doivent aussi réaliser qu’ils ont affaire à des hommes, pas à des artistes de cirque. On veut transformer toutes les courses en Tour des Flandres. L’UCI interdit les étapes de plus de 200 km mais le Tour de Belgique est parvenu à en insérer une de 248 km. Enfin, en théorie, car mon compteur affichait 265 km à l’arrivée.

Vous coincez souvent au-delà de 200 km.

Depuis toujours. Mon père a cru que je ne deviendrais jamais coureur car j’attrapais des crampes après 50 ou 60 km. Je produis trop d’acide lactique. Le maximum est entre 100 et 150 et je suis à 200 ou à 300. Lors d’un examen sanguin, le labo a téléphoné à mon médecin pour lui signaler que son patient était en train de faire un infarctus !

Rouleau à tarte

Ne peut-on rien faire ?

Pas grand-chose. Il paraît que les capillaires de mes muscles ne se dilatent pas assez à l’effort, ce qui entrave la circulation sanguine dans les jambes. Massages et bains chauds constituent le seul remède. Mes parents me massaient avec un rouleau à pâtisserie pour éliminer les n£uds ! A mes débuts, j’emmenais ce rouleau partout avec moi et je me massais moi-même. Ce problème m’empêche de viser certaines courses. Enfin, je suis déjà pro depuis dix ans, malgré ça.

Devez-vous adapter vos entraînements ?

Je suis mon instinct, sans pulsomètre ni tralala. Dans mes bons jours, je cours beaucoup. Sinon, je reste chez moi. Roger De Vlaeminck m’a conseillé de courir en hiver, quatre à cinq fois dix kilomètres par semaine, avec beaucoup d’intervalle-training. C’est plus marrant que de pédaler : si je roule dès décembre, j’en ai marre en janvier. Courir est meilleur car après une heure, votre pouls est à 160. Pour atteindre ça en vélo, il faut rouler deux heures à du 60 à l’heure.

La plupart des coureurs ont 6 à 7000 km dans les jambes en début de saison. Vous en êtes à la moitié.

J’ai essayé de rouler beaucoup en hiver mais ça me vidait. L’hiver prochain, Roger De Vlaeminck va me driller. Il pense pouvoir mieux exploiter mon potentiel.

On croit encore en vous puisqu’on vous pointe chaque saison comme un outsider dangereux dans les classiques.

Le croit-on encore ? Mon crédit doit être écorné. On attend trop de moi, depuis dix ans. Mon oncle Eddy a dit que je serais le premier Planckaert champion du monde alors que j’avais gagné une vingtaine de courses en amateurs. Je n’avais pas encore mis les pieds à l’étranger ni vu un col de près. Je savais qu’il visait trop haut mais il est difficile de ne pas rêver.

Comment votre famille a-t-elle réagi ?

J’ai toujours dit que j’étais Jo, et pas Willy, Walter ni Eddy. Ils avaient plus de classe. Leur sang n’était pas encore croisé. Mon père prend mal le fait que je ne roule pas bien. Il ne me le dira jamais mais ma mère m’a confié qu’il se rongeait les sangs.

 » Mes quatre mois avec Frank Vandenbroucke ont été les plus beaux de ma carrière « 

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