Crazy Carroll

Le sauveur du foot anglais serait donc un grand type à queue de cheval, azimuté et singulièrement antimoderne. Très drôle. Andy Carroll ne fera jamais gagner l’Angleterre, mais il risque fort de la faire mourir de rire.

Il commença la journée par une victoire éclatante, 5-1, contre Sunderland puis il s’en alla fêter ça. Au Diamond Inn, un bar de la banlieue de Newcastle, Andy Carroll (21 ans) s’enfila quelques bières. Dans la foulée, il se murgea dans deux établissements du centre-ville, avant de se poser dans un vilain casino. A 6 heures du mat’, ruiné, beurré mais pas couché, il s’envoya vite fait un petit déj’ au McDo et fila chez un coéquipier, où l’alcool et la drogue coulèrent visiblement à flot pendant plusieurs heures. Jusqu’à ce qu’un taxi ne vienne chercher les deux copines passées au supplice, sur le coup de 9 h 45. C’est ainsi que Carroll devint quelqu’un. Ainsi qu’il devint grand.

Racontée dans le détail par toute la presse tabloïd, cette journée du 30 octobre lui valut instantanément le statut de it-boy de la Premier League. Parallèlement, elle le plaça au c£ur d’un débat qui parcourt à intervalle régulier le football anglais. Résumons-le ainsi : un barjot peut-il porter le maillot de l’équipe nationale ? Un barjot plusieurs fois inquiété par la Justice et contraint de vivre chez son capitaine, Kevin Nolan en l’occurrence, jusqu’au jugement d’une affaire de coups et blessures sur une ancienne petite amie, mérite-t-il vraiment cet honneur-là ?

Fabio Capello a tranché. Il a offert sa première sélection à Carroll le 17 novembre dernier, contre l’équipe de France. Mais on a une autre question pour l’Italien. Franchement, Fabio, peut-on construire l’avenir avec un joueur aussi old school ?

 » Ce jour-là, j’ai vu quelque chose de différent « 

Comme Chris Waddle ou Paul Gascoigne – il n’y a pas de hasard dans la vie – Andrew Thomas Carroll naît à Gateshead, banlieue canaille et chômeuse de Newcastle. Il commence à jouer à l’école, la Brighton Avenue Primary School puis la Joseph Swan School. A 8 ans, première licence au Redheugh Boys’ Club, avant le premier transfert, vers Low Fell Juniors, le meilleur repère du coin pour les jeunes joueurs.

Andy Carroll ne ressemble pas encore à Andy Carroll. « A onze ans, il était tout petit « , se souvient Alan Jarvis, entraîneur à l’époque d’une équipe locale.  » Il jouait sur l’aile gauche, au milieu de terrain. Je me souviens du match qu’il a disputé contre mon équipe, le Wallsend Boys Club. Ce jour-là, j’ai compris que j’avais vu quelque chose de différent, c’était évident.  »

Tellement évident que Jarvis appelle immédiatement son pote Peter Kirkley, alors aux commandes du recrutement de Newcastle United :  » Alan m’a dit que je devais absolument jeter un coup d’£il sur lui. C’est ce que j’ai fait, et j’ai aimé ce que j’ai vu. Il jouait sur l’aile mais, même de cette position, c’était un super buteur. Alors, je l’ai fait venir à l’Academy pour quelques semaines, il a assuré et on a décidé de l’engager. Au moment de le faire signer, Sunderland a tenté de nous le piquer. Mais franchement, cela ne faisait aucun doute qu’il signerait chez nous. Andy était un énorme fan de Newcastle.  »

Son idole ? Alan Shearer, évidemment. Car lui aussi se sent buteur. Mais il continue de jouer à gauche, ailier, voire latéral. Il ferme sa gueule, rase les murs à s’en égratigner les coudes. Andy Carroll ne ressemblait décidément pas encore à Andy Carroll.

 » Il était très timide, très calme  » , raconte Peter Beardsley, alors entraîneur à l’Academy.  » Je me souviens qu’une année, nous sommes partis faire une tournée en Allemagne. Un soir, nous avons laissé les joueurs sortir, pas pour picoler, hein, mais pour voir un peu du pays. Mais Andy était trop jeune. Avec deux autres, ils ont préféré rester à l’hôtel. Et ont regardé Qui veut gagner des millions ? Comme des vieux. Il ne manquait que la camomille.  »

Systématiquement accompagné dans ses virées par un garde du corps

Alors quand est-il devenu dingue ?  » Il a commencé à prendre confiance en lui quand il a réalisé qu’il pouvait faire une carrière, une belle carrière « , avance avec une certaine justesse Jimmy Nelson, autre entraîneur de l’Academy de Newcastle. Car chez Carroll, les honneurs coïncident avec les dérapages. Il est bon quand il déconne. Et vice-versa.

En octobre 2007, il est appelé dans l’équipe nationale des moins de 19 ans, pour un match contre la Roumanie, c’est l’une de ses premières distinctions. Il en profite. Avec deux potes, ils sortent, se beurrent, explosent le couvre-feu… et est renvoyé chez lui. C’est la toute première fois que Carroll fait jaser. Il va enchaîner, au rythme de son ascension sportive. Début de saison 2008-2009, nouveau statut, il devient quasi titulaire, donc il bastonne une nana dans un bar.

Un an plus tard, en D2, il ne cesse de scorer, alors un soir il éclate un verre dans la face d’un mec. Quelques jours plus tard, il met un pain à son coéquipier Steven Taylor à l’entraînement. Diagnostic ? Une mâchoire cassée, celle du pauvre Taylor, et une main amochée, la sienne. Mais elle s’en remettra. Suffisamment en tout cas pour entrer en contact avec la tronche d’une ex-petite amie alors que l’on annonce, de toutes parts, sa première sélection en équipe nationale.

 » Ce n’est pas un mauvais gars  » , dit Charles N’Zogbia, actuellement à Wigan et ancien de Newcastle.  » C’est quelqu’un qui n’aime pas qu’on le cherche et qui peut s’emporter vite.  » Comme ce jour de janvier 2009 au cours duquel il rentre dans le lard de son coéquipier français.  » C’est moi qui l’avais cherché « , avoue N’Zogbia.  » C’était une période où on ne gagnait pas beaucoup, où il y avait de la tension. Alors qu’on était dans la même équipe, il m’a reproché de ne pas suivre mon adversaire comme il le fallait. A partir de là, on s’est embrouillés, mais on nous a vite séparés. Le jour même, c’était réglé. Tu peux délirer avec lui. C’est un gars calme qui aime jouer au foot. Il a peut-être besoin de conseils de gens plus matures, sinon il est normal.  »

Carroll a en tous les cas une circonstance atténuante. Il est devenu star dans sa ville natale, une ville de province dans laquelle tout se sait, dans laquelle tout le monde le jalouse. Quand il sort, on le provoque. Quand il se paye un nouveau 4×4, il termine en flammes, brûlé par des racailles du coin. Tout joueur de football anglais devenu star au milieu de ses potes d’enfance condamnés au chômage a connu cela. Cela fut le cas de Terry, Giggs, Gerrard, Owen… Eux ont très vite appris. Carroll est visiblement plus lent, mais semble intégrer. Depuis quelques mois, afin de désamorcer les provocations, il est systématiquement accompagné dans ses virées par un garde du corps.

Saccadé, échevelé, laborieux : apparences trompeuses

Pour Carroll, le véritable déclic footballistique s’est produit à 16 ans. En un an, il pousse de dix centimètres.  » Soudainement, il s’est allongé, il a tout pris dans les jambes  » , se souvient Nelson, alors directeur de l’Academy. Il était grand, mince, on aurait dit Bambi. Il devait prendre du poids, c’était évident. Mais je me souviens l’avoir vu à cette époque marquer un but incroyable : il a dribblé quatre joueurs et mis une mine de l’extérieur de la surface. A ce moment-là, je me suis dit :- Hell !, il faut le faire jouer dans l’axe.  » Carroll va décoller. A 16 ans, il se voit offrir un contrat de deux ans. A 17, il devient le plus jeune joueur de l’histoire de Newcastle à jouer en coupe d’Europe, à Palerme.

 » Franchement, je crois que pas mal de gens sont surpris de voir où il en est aujourd’hui « , dit Nelson.  » Même à l’intérieur du club, beaucoup de gens doutaient de lui, quand il avait 15 ans.  »  » Moi même, je suis étonné  » , dit Alan Jarvis, celui qui mit Newcastle sur ses traces.  » Je m’attendais à ce qu’il devienne pro, ça oui. Mais jamais je n’aurais pensé qu’il ferait carrière à ce poste.  »

C’est vrai, Carroll fait un drôle d’attaquant. Il n’a pas la gestuelle du buteur. Il est saccadé, échevelé et semble laborieux. Les apparences jouent un peu contre lui. Mais c’est un faux lent : il a terminé dans les cinq premiers lors des séances de vitesse effectuées avec la sélection anglaise. Il bouge assez bien et sent correctement le jeu. Il est assez sobre devant le but et frappe pas trop mal. Et  » il fait partie des trois meilleurs joueurs de tête que j’ai jamais vus dans le football « , ajoute Kevin Keegan.

Pour autant, Carroll n’est ni fin, ni forcément taillé pour le football moderne. Sa technique est banale et les petits espaces ne lui conviennent pas. Sur le terrain, son trait de caractère le plus net reste sa combativité. Depuis toujours.

 » Chez nous, quand les jeunes rentrent au club, on leur fait passer un entretien approfondi « , reprend Nelson.  » Au cours de celui-ci, on leur demande ce qu’ils feraient s’ils n’arrivaient pas à devenir footballeurs. La plupart disent prof de sport, ou un truc dans le sport. Lui, il a dit qu’il bosserait dans l’armée, c’est le seul jeune qu’ait jamais répondu cela. Je crois que cela se ressent dans la façon dont il joue. « 

Son style correspond parfaitement à celui de Newcastle, plus travailleur que flamboyant, plus défensif que débridé. Par son attitude et sa capacité laborieuse, Carroll est le joueur idéal dans une équipe dominée, réduite à gratter les ballons. On l’a vu contre la France. Mais peut-il exister dans une équipe qui joue ? Ou plutôt, peut-on jouer avec Carroll ?

Shearer, à qui on le compare quand on veut être sympa, n’a jamais vraiment réussi. Au fond, il a toujours été énorme dans des équipes moyennes. Même lorsqu’il remporta le titre avec Blackburn. Darren Ferguson, à qui on le compare quand on veut être lucide, a échoué encore plus clairement dans cette ambition. Car avec ces deux-là, comme avec Carroll, la tentation est naturelle de jouer long vers l’avant, de se refugier dans l’ancestral football anglais. C’est aussi ce que l’on a vu contre la France. Carroll a été correct, l’Angleterre désastreuse. Fabio se trompe, mais c’est très drôle .

PAR MARC BEAUGÉ – PHOTOS : REPORTERS

Quand il devient titulaire,il bastonne une nana dans un bar. Quand il ne cesse de scorer, il éclate un verre dans la face d’un mec.

 » Quand on leur demande ce qu’ils voudraient faire s’ils ne devenaient pas pros, les gars répondent prof de sport. Carroll a répondu militaire….  » (Jimmy Nelson, ancien directeur de l’Academy de Newcastle)

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