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Couvre-feu d’artifice

C’était un mercredi pas vraiment comme les autres. Alors que le 21 octobre va rimer avec Ligue des Champions, le 14 a sonné, en France, le glas d’un autre foot. Certainement celui que je préfère. Il est un peu plus de 20 heures dans un tramway de l’est parisien, et mes amis et moi filons vers notre match de championnat amateur. Sur le trajet, pas de discussion tactique ou de spéculation sur l’adversaire du jour, juste un iPhone et une écoute tristement religieuse de l’allocution d’ Emmanuel Macron qui, entre autres, nous apprend qu’à partir de vendredi minuit, une partie des Français est appelée à observer un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin. Il y a quatre terrains de football au stade Louis Lumière de la Porte de Bagnolet, que vous ne visiterez sans doute jamais si vous êtes de passage à Paris. À l’unisson, toutes les équipes présentes se disent que dans quelques minutes allait probablement être donné le coup d’envoi du dernier match de football amateur en 2020. Un match au cours duquel on m’a sifflé une faute de main dans la surface, alors que mon bras était collé à mon torse au moment où le ballon m’a fusillé la poitrine. Un penalty sorti par mon gardien qui a provoqué chez moi une réaction que je vous tairai afin que vous puissiez encore apprécier mes chroniques hebdomadaires. Puis parce que le football amateur est ce qu’il est, et que nos adversaires étaient arrivés avec dix minutes de retard, à 22 h tapantes, alors qu’il restait dix minutes à jouer, le gardien du stade a décidé d’éteindre la lumière. Coup de sifflet final pour le vrai foot.

J’ai aimé le côté sans calcul de ce Standard – Bruges. Le fait que ça ait pu basculer d’un coté comme de l’autre.

Samedi après-midi était donc le moment d’envisager de quoi le premier soir de  » confinement nocturne  » serait fait. Il n’y eut aucun choix par défaut. Le premier fut celui du coeur : Marseille -Bordeaux, sur la télévision. Le second, celui de la curiosité : Standard – Club Bruges, sur l’ordinateur. Et si souvent je déplore que personne en Belgique ne diffuse la Ligue 1, j’ai, pour la première fois, pensé l’inverse. Couvre-feu ou pas, je me suis senti gâté. Gâté de pouvoir comprendre les enjeux, les dynamiques et les forces en présence de ce match-là. Fier de pouvoir connaître les 22 types qui se tiraient la bourre comme si c’était une question de vie ou de mort. Heureux de reconnaître les tignasses blondes de Raskin et Diatta et les courses de Mata. Chanceux d’avoir, depuis quelques mois désormais, le droit de découvrir. Un droit que l’on ne s’octroie pas souvent, en matière de football, où l’on s’en tient souvent à sa compétition locale et à ce que l’on appelle les  » grands championnats « .

Car je l’avoue, j’ai parfois trouvé le football rébarbatif. Comme toute passion, finalement, quand on regarde toujours la même chose, toujours le même match, toujours les mêmes joueurs. Ce samedi soir, j’aurais pu avoir envie de descendre partager ce Standard – Bruges avec les policiers qui patrouillaient en bas de chez moi. Et pas que pour leur parler de l’arbitrage de Monsieur Laforge, même si contrairement à l’arbitre de mon match de mercredi, il a eu droit au VAR. D’ailleurs, je n’ai pas envie de débattre à son sujet. Ce qui m’ennuie le plus, c’est qu’à l’issue d’un tel match, le sujet principal soit l’arbitrage. Même si, souvent, dans les matches qui comptent et qui font le sel d’une saison, le ref est au centre du bal. Il n’y a qu’à regarder Everton – Liverpool pour comprendre que le souci lié à la video n’est pas belgo-belge. De la sortie assassine de Pickford dans les pieds de Van Dijk au hors-jeu de Mané que je ne comprendrai jamais, la Premier League a aussi livré un récital de robotisation dramatique du ballon rond.

Bref. Parlons Standard-Bruges. Parlons football. Un football que les analystes, les puristes, auront certainement trouvé brouillon à quelques égards, notamment côté brugeois, où l’on est capable de mieux faire. Mais j’ai aimé le côté sans calcul de cette soirée. Le fait que ça ait pu basculer d’un coté comme de l’autre. Le fait que le Standard joue le match de cette façon, avec un Montanier qui ose Balikwisha dans son onze de départ. Le penalty parfaitement stoppé par Mignolet, l’autre magnifiquement tiré par Gavory. Les interviewes d’après-match entre self-control et dérapage, où l’on a autant envie de dire bravo à l’adversaire que merde à n’importe qui, et pas qu’à l’arbitre. Un football sans filtre, finalement. Où l’émotion prend le pas sur la tactique et l’envie le pas sur la technique. Un jeu qui nous fait finalement penser à celui qu’on va laisser de côté, le temps que la situation s’améliore. Un jeu que j’aime regarder, analyser et commenter, mais auquel j’aime jouer, par dessus tout. Alors, à tous les footballeurs du dimanche, on se retrouve certes ce jeudi, pour voir si le Standard est aussi rugissant en Europa League. Mais on se retrouve surtout sur un terrain, dès que possible.

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