Cour léger

L’ex-capitaine du Sénégal revient sur un parcours romanesque où s’entremêlent quart de finale de Coupe du Monde et problèmes cardiaques.

Il y a des joueurs qu’on est heureux de retrouver. Khalilou Fadiga (33 ans) en fait indiscutablement partie. Ceux qui ont eu la chance de le voir chez nous dans le passé, soit au FC Liège, à Lommel ou à Bruges, gardent en souvenir les dribbles d’un des derniers grands artistes de notre compétition. De 1994 à 2000, ses grigris ont égayé les pelouses belges qui, dès l’entame du troisième millénaire, sont apparues trop étriquées pour ce milieu offensif au pied gauche exceptionnel.

Les championnats de France, d’Italie et d’Angleterre l’ont donc accueilli par la suite. Des compétitions à la stature du capitaine des Lions du Téranga, revenu en héros à Dakar après avoir atteint les quarts de finale de la Coupe du Monde de 2002. Un an plus tard, ce qui s’apparentait jusque-là à un conte de fées pour le titi de la Goutte d’Or (quartier populaire parisien du 18e arrondissement) prend des allures de cauchemar. Transféré de l’AJ Auxerre au club de ses rêves, l’Inter Milan, Fadiga reçoit le tackle le plus violent de sa carrière. Lors d’un contrôle d’usage en juillet 2003, les médecins du club lombard décèlent chez lui une arythmie cardiaque. Depuis, Khali n’a plus jamais connu les mêmes honneurs. Aux deux opérations du c£ur – l’une destinée à lui enlever les traces d’extrasystole qui provoquaient des contractions du c£ur, l’autre pour la pause d’un défibrillateur – succèdent une blessure au genou en 2005 avec Bolton et une rupture du talon d’Achille en avril dernier lors de son séjour à Coventry.

 » J’ai la chance d’être sur mes deux jambes, de voir grandir mes deux enfants, Noah, 8 ans, et Naoël, 2 ans. Combien de personnes sur cette terre auraient voulu connaître un tel parcours ? Beaucoup, j’en suis convaincu. Mais ne pensez pas que je suis fini. Mon ambition est de disputer encore cinq belles saisons au plus haut niveau « .

Rencontre avec un écorché vif, amoureux du ballon rond.

Vous revenez en Belgique près de huit ans après votre dernier match avec Bruges. Quelles sont les raisons de ce retour ?

Khalilou Fadiga : Il y en a trois. L’entraîneur, Trond Sollied, envers qui j’ai beaucoup de considération. Ma famille, que je peux enfin voir tous les jours. Et une très bonne équipe.

Vous hiérarchisez ces raisons ?

Non. A quoi bon ? C’est le package complet qui m’a incité à revenir. Mercredi dernier, je suis tombé sur le Gouden SchoenNDLA : prononcez à la française… Ahmed Hassan devait répondre à la question : Préfériez-vous remporter le Soulier d’Or ou la prochaine Coupe d’Afrique ? Je trouvais le lieu plutôt mal choisi pour poser cette question ; par ailleurs, pourquoi vouloir à tout prix faire un choix entre deux consécrations bien distinctes ?

Notre compétition a fortement dévalué par rapport à celle que vous avez connue à votre arrivée en 1994. Cette différence de niveau, l’avez-vous fort ressentie ?

Aujourd’hui, je vois les choses du bon côté. Je ne m’encombre pas de futilités. Mon bonheur, c’est de rejouer, prendre du plaisir sur les terrains et voir mes enfants en dehors.

Vous avez tout de même connu plus sexy dans votre carrière que ce huitième de finale de Coupe de Belgique à Mons pour votre retour à la compétition.

A Mons, c’est vrai que le décor n’était pas fantastique : on est en plein hiver, il n’y avait pas un chat dans le stade et le terrain était catastrophique sur les côtés. Par rapport au Calcio ou à la Premier League, c’est un autre univers. Mais je le savais. Je ne suis pas idiot.

Vous aviez déclaré avoir été en contact avec Anderlecht. Pourquoi ce transfert n’a-t-il pas abouti ?

Il faut poser la question à Frankie Vercauteren. Il avait pris contact avec un de mes amis, pendant le premier tour du championnat. Après, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Mais ne croyez surtout pas que je sois malheureux : je ne suis pas à Mons, tout de même (il rit) ! Je suis dans un club stable qui est en train de construire un nouveau stade, qui dispose d’un staff très professionnel et qui ambitionne le Top 5 chaque saison. De quoi je me plains ?

Avez-vous ressenti certaines inquiétudes dans le groupe après le départ d’Alin Stoica, Christophe Grégoire et Guillaume Gillet ?

Concernant le duo Grégoire-Gillet, je ne les ai côtoyés que quelques jours durant le stage. Au-delà de leurs qualités footballistiques, on perd deux bonnes personnes qui savaient mettre de l’ambiance. Mais savoir si le groupe est inquiet, il m’est difficile de répondre.

Comment votre intégration s’est-elle déroulée ?

Tous connaissaient mon parcours. Et les autres joueurs ont toujours eu beaucoup de respect pour moi. A Bolton, par exemple, Fernando Hierro n’hésitait pas à lancer un fuck off à El Hadji Diouf ; à moi jamais. Avec Hidetoshi Nakata, j’avais souvent des conversations, alors qu’il restait très discret avec les autres joueurs. Je n’ai jamais eu de problèmes à m’acclimater.

Son fils prend l’avion pour voir Cristiano Ronaldo

Malgré toutes les blessures qui ont miné votre séjour, que retenez-vous de l’Angleterre ?

J’y ai passé de superbes années. L’ambiance, les gens, la qualité de vie, tout était parfait. On se fait souvent une fausse idée du nord de l’Angleterre et, en particulier, de Manchester dont Bolton est situé à une vingtaine de kilomètres. C’est une ville ultramoderne avec des restos, des bars, des boutiques à la mode… Ma femme en est d’ailleurs tombée amoureuse. Entre 2004 et 2006, mon fils, Noah, y allait à l’école avant de poursuivre sa scolarité en Belgique. La Bolton School est une des écoles les plus huppées de la région, il se retrouvait avec les fils de Gary Neville, de Jay-Jay Okocha ou de Jussi Jaaskelainen, entre autres. Lui aussi était très heureux là-bas.

Vous lui offrez une jeunesse très différente de celle que vous avez connue à Paris. L’enviez-vous d’une certaine manière ?

Evidemment qu’il bénéficie de privilèges par rapport à ma situation, enfant. Mais malgré le quartier difficile dans lequel j’ai vécu, j’ai obtenu mon BAC et j’ai toujours bénéficié de l’amour de mes parents. Bon, c’est vrai que j’ai dû attendre un peu plus longtemps que lui pour prendre l’avion. (Il rit).

Il joue aujourd’hui à Gand. A-t-il les mêmes qualités que son père ?

Ses entraîneurs me disent qu’il est doué. Moi, je ne le juge pas. Je suis là seulement pour l’encourager sous les bourrasques comme dernièrement lors d’un de ses matches.

Est-il fan de son père ?

Non, lui, son idole, c’est Cristiano Ronaldo. Les murs de sa chambre sont tapissés de posters du Portugais et plus généralement de Manchester dont il est complètement fan. Il est encore allé voir, il y a quelques jours, les Red Devils face à Newcastle avec ses amis. On le dépose à Zaventem où il prend l’avion accompagné d’une hôtesse. Arrivé sur le tarmac de Manchester, il est rejoint par sa quinzaine de potes et assiste au match dans le coin d’Old Trafford réservé aux kids.

Le décès de sa mère

Quand on revisite votre carrière, on ne peut passer à côté de l’équipe du Sénégal qui aborde la Coupe d’Afrique sans vous. Malgré votre manque de compétition, ne regrettez-vous pas de ne pas être de la fête ?

J’accepte sans problème de ne pas avoir été sélectionné. Je suis encore en manque de rythme. Il était trop tôt pour disputer une telle compétition.

Votre popularité ne semble pourtant pas en prendre un coup.

Je reste le joueur le plus populaire au Sénégal. J’ai beau avoir passé la majeure partie de ma vie en France puisque je suis arrivé à Paris en provenance de Dakar à l’âge de six ans, je me sens sénégalais. Je reviens régulièrement au pays. Je suis le parrain d’Oxfam d’un orphelinat de Dakar et j’y garde beaucoup d’amis. Pendant les fêtes, j’y suis retourné pour me recueillir devant la tombe de ma mère, décédée il y a un an.

Ce décès, comment l’avez-vous vécu ?

Très difficilement. Elle avait 62 ans. Sa mort est intervenue près de sept ans après celle de mon père, âgé de 80 ans. Après coup, je me dis qu’elle est mieux là où elle est aujourd’hui. Ma mère se levait tous les matins à 6 heures pour faire le ménage au Tati, un supermarché de Barbès. Elle revenait dans son trois pièces et devait s’occuper d’une dizaine d’enfants. Et elle le faisait toujours avec le sourire.

Votre discours laisse transparaître une image très différente de celle, sulfureuse, que certains vous ont collée lors de votre premier séjour en Belgique.

Voilà, je m’en doutais… J’ai pris deux cartes rouges. L’une lors de l’épisode Pascal Renier – NDLA : Renier, alors à Bruges, l’avait provoqué par des propos racistes quand il évoluait à Lommel – qui est devenu par après un très bon ami et qui est tout sauf un raciste. La dernière, c’est ce coup de coude à un Israélien lors d’un match de Coupe d’Europe. C’est tout. Jamais, je n’ai commis de tackle assassin dont d’autres sont coutumiers.

Il y a aussi l’incident en 97 après Malines-Lommel.

Je sors du stade et deux types m’insultent, et insultent ma mère. Qu’est-ce que je devais faire ? Rester là sans bouger ? Je suis un gars de la rue, je me suis toujours battu dans la vie, au sens propre comme au figuré.

Vous avez encore des contacts avec vos amis d’enfance ?

Bien sûr. Là, je suis en train d’organiser un repas pour que l’on se retrouve tous ensemble. Chaque année, on se réserve deux à trois semaines pour partir en vacances ensemble. Ceux avec qui j’ai fait les 400 coups sont restés les mêmes. Ce sont mes potes pour la vie.

Quand vous retournez à la Goutte d’Or au volant d’une grosse cylindrée, sentez-vous une certaine forme de jalousie ?

Non, pas du tout. Dans les quartiers, on a l’habitude de dire que ta réussite ne t’appartient pas. C’est celle de tout ton entourage. Ce sont eux qui m’ont rendu plus fort.

Comment jugez-vous la situation des jeunes issus de l’immigration en France ?

Malgré tous les problèmes qu’on a pu voir lors des émeutes en banlieue, j’ai le sentiment que les choses évoluent dans le bon sens. Quand je repense à mon père et à ce qu’il a fait pour la France, je suis dégoûté du manque de reconnaissance. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il faisait partie de ces tirailleurs sénégalais qui ont combattu au front pour la France. En retour, il n’a jamais eu un merci, il n’a jamais été décoré comme d’autres qui n’ont jamais tenu une arme. Aujourd’hui, je note qu’au gouvernement, il y a une représentativité de personnes issues de l’immigration avec Rachida Dati ou Rama Yade. Et pourtant, je suis loin d’être sarkozyste. Je suis plutôt tendance socialiste mais je note encore que quand la gauche était au gouvernement, il n’y avait personne pour nous représenter.

Tout s’écroule

L’épisode le plus noir de votre vie intervient au moment où vous êtes au sommet de votre art en 2003 lors de votre passage à l’Inter. Comment avez-vous réagi à ces problèmes cardiaques ?

Pendant les six premiers mois, j’ai été très négatif. J’avais un côté destructeur. Je me répétais sans cesse : -Pourquoi moi ? Par après, je me suis dit qu’en me posant cette question, j’avais indirectement envie que cela arrive à quelqu’un d’autre. J’ai aussi eu la chance de tomber sur un spécialiste du c£ur, le docteur Pedro Brugada (AZ Jette), qui m’a rassuré sur le fait que ma carrière n’était pas terminée, contrairement à ce que me disait le médecin généraliste de l’Inter, Marcello Chimienti.

En septembre 2004, quelque temps après votre arrivée à Bolton, vous vous effondrez lors de l’échauffement précédant un match de Coupe de la Ligue face à Tottenham, d’où la pose d’un défibrillateur par après. Vous n’avez pas songé à arrêter les frais ?

Ce n’était qu’un emballement lié au stress, et je me suis levé juste après. Je ne suis pas fou au point de tout perdre, de ne pas voir mes enfants grandir. Je sais seulement que quand ton heure est venue, tu ne peux rien y faire.

par thomas bricmont – photos: reporters/ vander eecken

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