Coups de blues

Arrivés en politique en même temps, ils voient leur chemin se séparer.

M arc Wilmots, 36 ans, ne se rend plus au Sénat que pour participer aux votes. Et alors qu’il voulait renoncer à toucher ses indemnités ( » Je trouvais normal qu’une personne qui arrête de travailler ne reçoive plus son salaire « ), le Sénat est dans l’obligation de continuer à les lui verser. Malgré le soutien populaire de 110.000 électeurs, Wilmots (MR) n’a pas su imposer ses idées dans le microcosme politique. Il a donc décidé de se retirer, deux ans après avoir été largement plébiscité. Et pour rester fidèle à sa conscience, il a ouvert un compte sur lequel filent ses indemnités et qui servira à financer des projets pour la jeunesse et le sport. Mais est-ce la meilleure solution pour se faire entendre ?

Alain Courtois, 54 ans, s’est lancé dans l’arène politique au même moment, s’associant souvent à l’ancien footballeur sur de nombreux sujets. Lui, c’est à la Chambre qu’il a été élu. Il tire également un bilan amer de ces premières années. Mais, au contraire de Wilmots, il a décidé de rester pour encore se battre pour une meilleure place du sport dans les décisions politiques. Mais arrivera- t-il à imposer ses vues, seul ?

Wilmots était là  » pour les jeunes et le sport  »

Wilmots :  » Il faut analyser cela depuis le début. J’avais l’occasion de rentrer en politique et de me lancer dans le combat pour les jeunes et le sport. J’ai refusé une prolongation de contrat comme coach à Schalke car j’avais donné ma parole à Louis Michel. Personne ne peut comprendre qu’on respecte une parole. Or, pour moi, un engagement c’est un engagement. Il y avait également un choix familial à effectuer. C’est aussi pour cette raison que je suis rentré au pays « .

Le MR a décidé de placer Marc Wilmots sur ses listes du Sénat mais, connaissant les centres d’intérêt de l’ancien Diable Rouge, cela sentait un peu trop l’apport publicitaire. Un engagement au niveau communautaire, compétent pour le sport et la jeunesse, n’aurait-il pas été plus adéquat ?  » Non, car c’est au Sénat que commencent les lois. Par exemple, tu peux faire changer la taxe sur les bénévoles actifs dans le sport. Et puis, je ne voulais pas rentrer dans une politique régionale car je suis un fédéraliste. J’habite à la frontière linguistique, un de mes enfants va à l’école francophone, l’autre à la néerlandophone et j’ai du mal à me reconnaître dans un projet où chacun défend sa petite kermesse. Mais c’est vrai que pour avancer plus vite, il faudrait que le sport revienne au fédéral « .

 » On a commencé un travail laborieux. Pendant un an, on a regardé ce qui existait au niveau du sport. J’ai rencontré ainsi les échevins des sports de la Communauté Française et je me suis posé la question du comment mener une politique sportive en Belgique. Nous avons également soumis un questionnaire aux 7.000 clubs sportifs de la Communauté Française et ceux-ci nous ont répondu à 95 %. Je n’ai donc pas l’impression d’avoir floué mes électeurs car dès le départ, quand je suis rentré en politique, j’ai affirmé que je m’engageais pour le sport et la jeunesse « .

Wilmots part parce qu’il parlait aux murs

Wilmots :  » J’étais soutenu par Louis Michel puis il est parti et j’ai senti que tout le monde se foutait de ces matières. Elles ne représentent qu’un pour cent du budget de l’Etat. Soit sept fois moins qu’en France. Cela n’intéresse personne. Par contre, quand Tom Boonen ou Justine Henin-Hardenne remportent un titre, tout le monde est présent pour la visibilité médiatique ! C’est dire. Je n’en veux pas à Louis Michel d’être parti pour l’Europe car chacun choisit la voie qu’il désire mais c’est clair qu’après son départ, les cartes n’étaient plus les mêmes. Je n’ai jamais demandé aux au-tres de reprendre le flambeau et de suivre la même voie au niveau sportif. Ce n’était pas à moi à leur faire des avances. Je me suis consacré à la Commission sociale du Sénat et je me suis allié à Jacques Germeaux sur la question du dopage dans le sport. Nous avons tenu un colloque d’où sont sorties 28 recommandations. Maintenant, c’est aux gouvernements à suivre. C’est à eux à avoir cette volonté de lâcher les budgets « .

 » Après chaque année, je fais un bilan et je me rendais compte que le sport, on ne voulait pas en faire une priorité. J’ai attendu la réaction du MR. Cela faisait cinq, six mois que je parlais aux murs. J’ai compris et je crois qu’ Alain Courtois commence à comprendre également. Une fois ce colloque terminé, je ne voyais plus à quoi je pouvais servir. J’aurais pu rester, prendre mon argent sans rien faire et ne rien dire mais ce n’est pas mon style. Je n’avais pas envie de jouer un rôle. Il y a moi et mes idées et c’est tout. Qu’on m’aime ou qu’on ne m’aime pas. Je voulais partir car cela n’avançait plus assez vite. En Belgique, ce sont quatre ou cinq chefs de parti qui forment le programme à suivre. Or, ceux-ci ont actuellement d’autres priorités « .

 » J’étais un peu un électron libre. Je n’avais pas d’accord avec le parti. J’avais un accord avec son chef. Contrairement à de nombreux hommes politiques, je n’avais pas d’ambition personnelle. Je ne cherchais pas à avancer, à faire carrière dans ce milieu. Je suis rentré en politique pour une cause et quand j’ai senti qu’elle n’était plus qu’en 25e position à l’ordre du jour, il valait mieux que je tire ma révérence. Je crois que je suis le premier à faire ce geste en 175 ans d’histoire de la Belgique. Cela prouve que je poursuivais un projet « .

 » La machine politique est faite ainsi. Il faudrait avoir une vue à long terme. Or, les politiciens tablent sur le court terme pour se faire élire. Moi, je m’en foutais de me refaire élire. J’étais là pour faire avancer les projets « .

 » Ma décision a été bien comprise dans le monde politique. J’ai quand même vu certaines différences entre mes deux précédents métiers. Quand j’étais sportif, les journalistes me sollicitaient alors que ce sont les hommes politiques qui harcèlent les médias pour vendre leurs idées « .

Wilmots est libre mais pense à Schalke…

Wilmots :  » Moi, je suis comme beaucoup de gens. Bruxelles-Hal-Vilvorde, je m’en fous ! Par contre, la jeunesse, la famille, la santé, c’est important. Un euro investi dans ces matières, ce sont trois remportés. Il faut changer tout ce système. On est arrivé à une génération Playstation et chips. Or, ce n’est pas avec 50 minutes de gym par semaine à l’école que cela va changer. Pourquoi ne pas passer à deux fois deux heures par semaine ? Je ne veux pas mener une politique sportive pour l’élite comme cela se fait aux Etats-Unis. Non, je vise le sport pour tous à l’école. Le chèque sport est prêt mais il est bloqué dans une armoire et il serait temps qu’on l’en sorte. Mais on se dispute pour savoir qui va le sortir à la presse « .

 » Une autre idée serait d’allonger les humanités pour ceux qui veulent faire du sport de haut niveau. Souvent, pour avoir son diplôme, un jeune doit faire un choix et supprimer le sport de haut niveau. Si on lui permet d’étaler ses humanités jusqu’à 20 ans, il aura le temps de voir où il a le plus de chance de réussir, et à 20 ans, s’il part à l’université, il ne se sentira pas frustré qu’on ne lui ait pas permis de continuer le sport « .

 » Il ne faut jamais dire jamais mais pour le moment, j’ai mis la politique de côté. Après 20 ans de vie de fou, cela ne me dérange pas d’avoir un peu de repos. Je peux faire tout ce que je veux et je vous assure que je ne manque pas de travail. Je peux également m’occuper un peu plus de mes enfants. Mon travail de consultant télé m’amuse et me permet de rester dans le monde du football. Avec le recul, si j’avais su comment cela allait se dérouler, je serais resté entraîneur à Schalke. Mais je ne regrette rien car j’ai pu connaître et apprendre un autre monde « .

Courtois se légitimise avec 700.000 footeux

Courtois :  » Quand j’ai quitté Anderlecht, plusieurs partis politiques ont senti l’animal en se disant : -Et pourquoi pas celui-là… Je me suis dit : -Alors, pourquoi pas ? Depuis longtemps, je trouvais que le sport était un amusement pour le politique. Il est utilisé en terme de communication. Quand Justine Henin ou Kim Clijsters sont en finale de Roland Garros, le TGV porte bien son nom : c’est Tout le Gouvernement Va. Mais ils ne se sont jamais posé la question de savoir comment ces deux joueuses sont arrivées à ce niveau. Je continue donc à dire que le sport est sous-employé et exploité et qu’il a droit au respect. Il s’agit tout de même du plus grand mouvement social du pays. On dépense 9 milliards pour la culture et un milliard pour le sport. Je me dis que cela ne va pas. Je ne dis pas que le sport doit se développer au détriment de la culture mais il s’agit des deux parents pauvres du budget et même à ce niveau-là, il y a une grande différence. Je voyais bien qu’en tant que secrétaire général de l’Union Belge, on ne m’écoutait pas. Il fallait donc que j’aille là où tout se décide : dans l’arène politique « .

 » L’arrivée de Marc Wilmots a certainement été un plus. Avec sa personnalité, je me disais qu’à deux, il n’y aurait pas de soucis et qu’on parviendrait à faire passer un message. On a peut-être été un peu naïfs « .

 » J’ai cru que c’était en politique que cela se passait. Mais je dois constater que c’est très lent. Ce que dit Marc Wilmots est exact : c’est une matière qui n’intéresse personne. Or qu’on n’oublie jamais que c’est un énorme mouvement social ! Rien qu’en football, c’est 700.000 personnes. C’est un pouvoir économique énorme. Mais ce pays se fout du sport « .

Courtois insiste sur la connerie de la communautarisation

 » Je n’ai jamais autant comparé le monde politique au monde sportif, à une nuance près, c’est que dans le sport, quand on a une parole, on s’y tient. Quand on dit quelque chose, on le respecte. Ce qui est loin d’être le cas en politique. La seule fois où j’ai pu pren-dre la parole en séance plénière, c’était à propos d’un vote sur le bénévolat. On m’a réfuté que le montant non taxable des bénévoles passait de 1.000 à 2.000 euros. Si on veut éliminer le noir, 1.000 euros, c’est trop peu. Il faut leur donner un statut. On n’appellerait plus cela des bénévoles mais des volontaires. C’est le seul moment où j’ai pu parler à tous ces parlementaires. Et je leur ai dit que si on continuait, on allait perdre tous ces bénévoles. Mais cette loi n’est pas passée et cela me reste encore en travers de la gorge « .

 » J’ai présenté également le chèque sport et culture avec Marc Wilmots en novembre 2004 et on a dit que ce n’était pas bon. Mais maintenant, j’entends un ministre qui sort le chèque sport et culture comme si c’était lui qui l’avait inventé « .

 » Je reste encore car je veux absolument arriver à deux résultats : le statut des sportifs rémunérés amateurs et je veux encore défendre ce problème des bénévoles. Je continuerai au moins cela jusqu’à la fin de mon mandat. Quelqu’un m’avait un jour surnommé le tribun du sport. Je crois qu’il faut au moins une personne qui mette le doigt sur tout ce qui ne va pas à ce niveau-là « .

 » Le sport appartient certes aux communautés mais toutes les matières qui intéressent le sport sont des matières fédérales. La fiscalité (taxation des joueurs et des arbitres ainsi que des bénévoles), la sécurité sociale pour les clubs, le prix des tickets et la sécurité dépendent du fédéral. C’est la formation qui se joue au niveau communautaire. Il suffit de voir que c’est depuis que l’on a défédéralisé le sport que cela ne va plus. Mais il y a des tabous en Belgique. Comme celui de dire que c’est une connerie d’avoir communautarisé le sport. Depuis que l’on a six ministres des sports, les affaires sportives n’ont jamais été aussi mal. Il y a trois sports où c’est toujours le miracle permanent : le tennis, le cyclisme et le moto-cross. Mais toutes nos autres disciplines, qu’elles soient collectives ou individuelles, sont en régression Tout cela parce qu’il n’y a pas de distinction entre ce qui doit être pris par le fédéral et le communautaire. Moi, je voudrais simplement faire en sorte que tout ce qui est sportif de haut niveau dépende du fédéral en créant par exemple une institution, et on laisserait la formation et la détection des talents au niveau fédéré « .

Courtois rappelle que les buvettes sont des églises

Courtois :  » Quand Marc est parti, je lui ai téléphoné en disant qu’il était le premier et que j’allais bientôt le suivre. Avec Wilmots, on perd quelqu’un qu’on écoutait. Quand Courtois parle, cela a moins d’impact que quand c’est Wilmots qui le dit. Il représente un peu l’opinion publique. En politique, il y a un déficit de ressources humaines. Je vois plein de collègues compétents pour une série de choses et on n’utilise pas leurs qualités. Moi, je suis un des rares à pratiquer couramment trois langues (français, néerlandais et anglais) mais cela n’intéresse personne. Le Parlement est le seul endroit en Belgique où on n’utilise pas les capacités linguistiques alors que dans toutes les entreprises, c’est la première compétence requise « .

 » La politique, c’est comme le sport. On vous prend pour que la concurrence ne fasse pas appel à vous et puis on vous met sur le banc. Or, en côtoyant les terrains de sport, on a été au contact de l’ensemble de la société. Les buvettes des clubs sont les églises d’aujourd’hui. Le sport tient donc un rôle social et je ne comprends pas pourquoi on ne s’occupe pas de cela. Est-ce que je suis déçu ? Oui mais je compte rester « .

 » Je n’exclus rien quant à mon avenir. Il va bientôt y avoir des élections communales et je verrai où le parti me situera. Si on veut de moi, je continuerai, mais si on ne veut pas de moi, je saurai à quoi m’en tenir. Je me dirai que j’étais le gars qu’on a mis sur le banc et qui est bon pour se trouver un nouveau club en D2 anglaise ou en Turquie. L’Union Belge ? Il y a un candidat président ( Roger Vanden Stock) qui est la bonne personne au bon moment. Et puis, moi, je ne suis pas rentier. Or, c’est un poste qui n’est pas rémunéré. Par contre, je planche sur un grand projet pour la Belgique « . Le Mondial 2018…

STÉPHANE VANDE VELDE

 » en 175 ans de Belgique, je suis le premier sÉnateur À dire stop  » (marc wilmots)

 » On a peut-être ÉtÉ un peu trop naïfs  » (Alain Courtois)

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