Coups d’arrêts

Le gardien turc du Standard (21 ans) qui vivait sur un petit nuage depuis son arrivée à Liège subitles premières critiques.

C’est bien connu, en football, on brûle vite ce qu’on a adoré. On ne reste jamais longtemps au sommet et la chute peut parfois s’avérer brutale et rapide.  » Oui, mais on reconnaît un vrai champion à sa capacité à rebondir « , expliquait récemment Marc Degryse en évoquant le cas Axel Witsel.

Aujourd’hui, un autre joueur du Standard a un peu perdu son football. Le gardien adulé, Sinan Bolat, promis dès ses premiers matches à rentrer au panthéon, ô combien garni et réputé, des gardiens du Standard connaît les premiers moments délicats de sa carrière rouche. La charge a été sonnée après ce ballon savonnette qu’il laisse échapper au Germinal Beerschot.  » Ce but a coupé notre élan « , lançait Dieumerci Mbokani avant que Benjamin Nicaise ne le compare, sur le plan psychologique, au coup de semonce de Mladen Petric lors du quart de finale retour en Europa League…

Faut-il pour autant le brûler et le condamner, lui qui a offert sur un plateau d’argent le deuxième titre aux Liégeois, en arrêtant le penalty de la dernière minute à Gand et en brillant lors des test-matches qui s’ensuivirent ? Sans oublier son but marqué de la tête qui a permis au Standard de continuer son aventure européenne… Lui, qui de ce fait, a déjà son nom inscrit en lettres d’or dans le livre qui retrace l’histoire du matricule 16. Son aura était telle qu’il aurait pu manger à l’£il dans le carré pour le reste de ses jours. Telle qu’il pouvait se permettre l’une ou l’autre erreur. Oui mais voilà, la note commence à devenir salée. Les bourdes succèdent aux prestations de grande classe. Son but victorieux de la tête contre l’AZ a servi de trompe-l’£il. A l’époque, déjà, il avait fallu cet exploit pour qu’on oublie quelque peu une prestation décevante à l’Olympiacos.

Bolat avait placé la barre tellement haut pour ses six premiers mois que cette saison ne pouvait que décevoir le public. Mais où se situe le niveau actuel de Bolat et comment expliquer cette baisse de forme ?

N’oublie-t-on pas trop vite son jeune âge ?

 » Cette baisse de forme me fait mal « , explique son agent, Kismet Eris, présent à tous ses matches.  » Et ce qui me fait le plus mal, c’est de constater que ces erreurs ne sont pas des erreurs de qualité mais de déconcentration ou de mauvaise appréciation.  »

Cette saison, le Standard a misé sur la jeunesse. Qui dit jeunesse dit souvent erreur.  » Oui, mais celles des joueurs de champ ne se remarquent pas. Tandis que celles des gardiens se paient cash. « 

Et certains défenseurs du gardien turc de soulever que contre le Germinal Beerschot, si Bolat se troue, l’attaque galvaude deux occasions toutes faites…  » Il a tellement presté la saison passée qu’on en oublie son jeune âge « , plaide Eris.  » On attend beaucoup de lui. Peut-être trop. Il doit prester et parallèlement à cela, continuer à apprendre son métier. Les erreurs font partie du processus d’apprentissage mais pas de celui de prestation. « 

Après son but contre l’AZ, Laszlo Bölöni avait déjà fortement calmé le jeu en déclarant :  » Dans sa très courte carrière, il a déjà fait des choses exceptionnelles mais je ne peux pas oublier qu’il n’a que 21 ans. Et pour l’instant, il n’est pas encore un gardien de but. D’ici deux à trois ans, peut-être. Quand il aura stabilisé son jeu et qu’il aura commis suffisamment d’erreurs pour devenir un gardien de but.  »

Pourtant, certains refusent l’argument du manque d’expérience.  » C’est vrai qu’il lui manque de la maturité mais le métier devrait commencer à rentrer « , tempère Christian Piot, gardien au Standard de 1966 à 1978.  » Sinon comment expliquer qu’il commet des fautes alors qu’il n’en commettait pas la saison dernière, à un âge encore plus tendre ? »

Ses débuts tonitruants jouent-ils en sa défaveur ?

Sa jeunesse ne l’avait pas empêché de débuter sur les chapeaux de roues.  » Fin de saison passée, il a joué libéré car le club lui faisait pleine confiance « , analyse Piot.  » Il a joué sans complexes. On ne peut pas dire sans pression car au Standard, il y en a toujours. Surtout quand tu es lancé dans le bain mais on peut résumer en disant qu’il n’avait pas trop de responsabilités. Aujourd’hui, il en a. « 

Sa formidable joyeuse entrée joue donc contre lui.  » Il s’agit de sa première saison complète à Sclessin car la saison dernière, il avait pris la place d’ Aragon Espinoza en cours de championnat « , rappelle Eris,  » Or, pour une première saison comme numéro un, il a dû assumer le championnat, la Ligue des Champions et l’Europa League.  »

 » C’est vrai, il s’agit de sa première vraie saison en D1 « , renchérit Wim De Coninck, ancien gardien de Waregem et Anderlecht, actuellement analyste pour la télévision flamande.  » Il n’a pas beaucoup d’expérience et de ce fait va encore faire des fautes. Il n’a pas eu le temps de s’échauffer comme gardien titulaire. A Genk, il n’a jamais été numéro un et il l’est devenu très vite au Standard, à peine un mois après son arrivée alors que personne ne s’y attendait.  »

Cependant, on ne peut reprocher au Standard de l’avoir lancé trop tôt, ni à Bolat d’avoir réalisé de grosses prestations d’emblée.  » Si tu es bon, tu ne commences jamais trop tôt « , dit De Coninck.  » Il fallait le lancer car pour moi, c’est le plus doué des jeunes gardiens du championnat. Il a une détente phénoménale, un très bon captage de ballons. Il est physique et rapide et a une excellente relance. « 

Comment gérer psychologiquementses erreurs ?

Les premières critiques se sont abattues dès le mois de novembre et ont refait surface après le match à Zulte Waregem. Virulentes. Déplacées selon le joueur qui a décidé de ne plus parler à la presse.  » On avait décidé de se concentrer sur le football « , se défend Eris.

Aujourd’hui, il est sorti de son mutisme. Et après le match au Germinal Beerschot, il n’a pas fui ses responsabilités, répondant aux questions et assumant sa part de responsabilité à 200 %.  » Il y a eu beaucoup de critiques subjectives « , explique Eris.  » J’avais l’impression que certains attaquaient la personne et oubliaient certaines choses. Il y avait de l’ingratitude. A contrario, j’ai bien aimé les cotes après son match au Germinal Beerschot. Il recevait une note sévère à cause de sa bourde mais dans le commentaire, on n’omettait pas de dire qu’avant et après cette bourde, il avait effectué quelques bons arrêts. « 

Ces critiques ont-elles fragilisé ce jeune joueur ?  » Elles ne l’ont pas touché car il lit très peu les journaux « , rassure Eris.

 » On a beau dire que non, les critiques atteignent toujours leur cible « , nuance De Coninck,  » A lui de démontrer maintenant qu’il est très fort psychologiquement. Car, s’il se fixe sur ces erreurs, il va commencer à douter. En mai et en juin, il va devoir se reconstruire, être bien entouré. Il vit une période importante et dangereuse pour sa carrière. Il n’a jamais vécu cela. « 

Faut-il ne retenir de sa saison que ses erreurs ?

C’est là le paradoxe Bolat. C’est un gardien qui sort de grands matches mais qui se troue aussi. Il y a les erreurs de Zulte Waregem, Olympiacos (voire le but du Panathinaikos) et Germinal Beerschot mais il y aussi les prestations trois étoiles à l’AZ, à Salzbourg et contre le Panathinaikos.  » Il est capable du meilleur comme du pire « , résume Piot.  » Au sein du même match, il passe parfois du blanc au noir. « 

 » Au Germinal Beerschot, il fait une grosse erreur mais des arrêts aussi « , renchérit Eris  » Ce qui prouve d’une part qu’il est très fort mentalement car d’autres auraient été cassés pour le reste de la rencontre et d’autre part qu’il fait parfois preuve de déconcentration ou d’excès de confiance, à l’image de beaucoup de joueurs du Standard cette saison. Ce qu’un gardien ne peut pas se permettre. Je le lui rappelle avant chaque match. Il doit encore acquérir cette concentration maximale. « 

 » Pour le moment, on le compare parfois à tort à Espinoza « , analyse De Coninck.  » Le gardien équatorien faisait trois erreurs par match mais il n’y avait jamais but derrière. C’était une sorte de talisman. Avec Bolat, dès qu’il en commet une, cela se paie toujours cash. « 

On en revient au paradoxe : Bolat possède beaucoup plus de qualités qu’Espinoza ; il réalise davantage de grands matches et sauve plus de points que lui mais il en perd davantage également.  » Espinoza n’était pas apprécié pour ses qualités footballistiques et sans doute à raison car il avait un style, disons, spécial « , se rappelle Piot.  » Il évoluait sans complexe et on avait l’impression qu’il ne pouvait rien lui arriver car il avait toujours le sourire. Il n’a jamais fait d’erreurs prêtant à conséquences. Sauf en Coupe contre le Cercle. Mais tout le stade frémissait à chaque fois qu’il captait le ballon. De peur qu’il se loupe. Les supporters font, par contre, confiance aveuglément à Bolat… et aujourd’hui, ils se sentent un peu trahis. On lui demande de gagner des points et cette année, on pourrait dire qu’il en a fait perdre. D’un keeper au Standard, on attend des prestations sans reproches. « 

Le Standard se pose-t-il des questions ?

En haut lieu, on est toujours conscient du potentiel de Bolat.  » Si on commence un peu trop à regretter Espinoza, il faut alors vendre Bolat « , affirme De Coninck.  » Mais le club risque alors d’avoir beaucoup de regrets. « 

Derrière, la concurrence s’active. Cette année, Bolat n’a pas pu compter sur un élément d’expérience derrière lui pour lui apprendre son métier. C’est également à cause de ce manque de repères que le nom de son ancien préparateur à Genk, Guy Maertens, circule dans les couloirs de Sclessin. Il connaît les besoins et les lacunes du gardien.

L’entourage de Bolat a accueilli avec enthousiasme l’arrivée du gardien monténégrin Srdan Blazic, âgé de 27 ans. Pour la même raison : l’apport d’expérience ne peut être que bénéfique.  » Il n’oubliera jamais Espinoza qui lui manque car il lui parlait beaucoup « , constate Eris.

Pourtant, l’actuel numéro deux, Kristof Van Hout, mène la vie dure à Bolat. Titularisé à Genk, il avait fait un gros match.  » Van Hout n’est pas un gardien réserve « , précise De Coninck,  » C’est un titulaire. C’est donc difficile, pour un jeune gardien, d’avoir dans son dos quelqu’un de très bon et aussi jeune que lui, qui le pousse dans le dos. C’est le jeu de la concurrence.  »

Après le match du Germinal Beerschot, beaucoup s’attendaient à voir Van Hout débuter la partie à Sclessin contre Genk, d’autant plus que Dominique D’Onofrio effectue une revue complète de l’effectif depuis trois semaines et donne sa chance à certains jeunes comme Franco Zennaro, Gicu Grozav ou André Mbuyi Mutombo. Pourtant, DD a maintenu Bolat contre Genk. Pourquoi ?  » C’est une drôle de question « , explique le coach.  » Bolat ne méritait pas toutes les critiques reçues, d’autant plus que le joueur est conscient d’avoir commis l’une ou l’autre erreur. Contre Genk, il fut à la hauteur de la situation. Moi, je l’ai laissé tranquille pendant trois jours. Le blabla, ce n’est pas mon truc.  »

En agissant de la sorte, l’entraîneur montre que Bolat n’a pas besoin d’être materné, qu’il est très fort dans sa tête. Et en le laissant sur le terrain, le coach évite que le doute s’installe dans le chef du joueur. C’est donc reparti pour un tour. Jusqu’à quand ? Et sera-ce toujours avec le Standard ? Bolat, lui, veut encore s’y développer une ou deux saisons.  » Il a prouvé qu’il pouvait apporter quelque chose au club « , conclut Eris.  » Il a donné de l’émotion aux supporters. Mais il a également coûté au club. Cependant, je pense que le bilan est largement plus positif que négatif. « 

Laissons le mot de la fin à De Coninck :  » Il a progressé malgré tout, cette saison, car il a disputé beaucoup de matches. Il a acquis de l’expérience et c’est grâce aux expériences négatives qu’on apprend le plus. Je suis convaincu qu’il va faire une grande carrière.  »

par stéphane vande velde

« Il a tellement presté la saison passée qu’on en oublie son jeune âge. (Kismet Eris) »

« Il vit une période importante et dangereuse pour sa carrière. (Wim De Coninck) »

« D’un keeper au Standard, on attend des prestations sans reproches. (Christian Piot) »

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