Coupe-faim

Le géomètre de Sclessin et ses équipiers ont passé une semaine difficile entre les Loups et les Dragons.

La semaine passée, la Cité Ardente a fêté le centenaire de la naissance du plus célèbre des Liégeois. « Georges Simenon, je sais… », dit Johan Walem. C’était en somme une petite aspirine pour oublier une actualité pas très drôle pour les concitoyens de Tchantchès: le Standard a fait une croix sur la Coupe de Belgique et ne fut pas brillant face à Mons et des milliers de sidérurgistes, inquiets pour leur avenir, ont manifesté devant la maison communale de Seraing.

A La Louvière, les Rouches n’ont pas su préserver l’avantage forgé en match aller des quarts de finale de la Coupe de Belgique (3-1), basculant dans le néant après une erreur de cadet de son gardien de but Fabian Carini qui dégagea une balle en retrait dans les pieds d’un Loup, Emmanuel Kenmogne. Après la pause, La Louvière mit la pression, aéra bien son jeu en jouant beaucoup sur les ailes, se forgea plus de belles occasions que le Standard et mérita le 2-0 final, synonyme de qualification pour les demi-finales.

Le chemin le plus court menant à une qualification européenne est coupé. Il ne reste plus que le championnat mais à 14 matches du finish, l’écart avec la quatrième place (deuxième billet pour la Coupe de l’UEFA) est énorme. Johan Walem ne veut cependant pas céder au découragement malgré le mauvais match face à Mons et un rendez-vous pas galant à Bruges.

Bruges est déjà champion

Pour votre club, le voyage à Bruges sera quasiment une question de vie ou de mort. Après la perte de deux points contre Mons et en cas de défaite dans la Venise du Nord, vous pourrez enterrer vos derniers espoirs européens?

Johan Walem: Bruges n’a eu que deux ou trois petits accrocs depuis le début de cette saison mais c’est aussitôt magistralement repris. Une équipe ne possède pas une telle avance au classement général par hasard. Bruges travaille dans la continuité depuis des années. Il y a une marque de fabrique, presque un style anglais, dans l’engagement et la philosophie, et Trond Sollied a respecté cette richesse et cette tradition tout y apportant son système tactique. C’est efficace et, finalement, cela devrait inciter tout le monde à garder le même cap au fil des saisons. Quand un club est sans cesse poussé par les mêmes courants, tout est plus facile. Tout est solide. Je ne prends qu’un exemple: la ligne médiane. Elle peut compter, entre autres, sur Gaëtan Englebert, Timmy Simons, Nastja Ceh, Alin Stoica, etc. Derrière, il y a du physique et devant, ils marquent facilement. Bruges impressionne, est au-dessus du lot et est déjà champion car personne ne remontera cet écart. Cela ne veut toutefois pas dire que le Standard n’est pas capable d’y arracher un succès. La saison passée, en gagnant à Gand puis à Bruges, nous avions carrément relancé le championnat. Cette fois, ce sera aussi un virage important pour nous. Mais je ne fais pas encre de comptes: on y verra plus clair dans un mois.

Au Tivoli, le manque de personnalité de l’équipe n’a-t-il pas été à la base d’une élimination qui fait mal?

Je ne nie évidemment pas que ce fut un revers cuisant. Il doit nous faire réfléchir après trois mois positifs. Le plus néfaste serait de jeter l’eau du bain avec le bébé. On ne peut pas chambouler un système tactique qui a fait ses preuves après une tuile. Non, il convient de continuer dans cette direction et, éventuellement, procéder à quelques réglages dans la même occupation de terrain. L’absence de Jonathan Walasiak et le retrait en cours de match d’Ivica Dragutinovic ont pesé lourd mais ce ne sont pas des excuses valables. Une équipe doit savoir gérer de tels problèmes. L’erreur de notre gardien de but non plus car il restait encore pas mal de temps de jeu. Ce qui est exact, c’est que nous leur avons permis de rêver, donc d’emballer le match au lieu de le tuer. Je maintiens que nous avons eu des occasions mais que nous n’avons pas su être totalement présents dans les duels. Les Loups ont bien écarté le jeu, provoquer des duels d’homme à homme sur les ailes. Ce ne fut pas une surprise pour nous, de même que leur ligne arrière à quatre, sans Domenico Olivieri: tout était prévu. A 2-0, les Louviérois ne savaient plus ce qu’ils devaient faire devant leur rectangle. C’est une élimination douloureuse mais Dominique D’Onofrio a trouvé les mots justes, et vigoureux, pour qu’un résultat négatif ne nous abatte pas et, au contraire, qu’elle génère une réaction positive dans l’humilité. Le Standard y était parvenu après son mauvais début de championnat: il faut utiliser les mêmes recettes. Nous devons évacuer au plus vite la déception, qui est réelle, de cette élimination. Nous avons raté une occasion unique de réussir une belle Coupe de Belgique mais il faut tourner la page et réussir une série. On savait que Mons avait une belle équipe. Elle l’a prouvé.

Comme il est impossible pour vous de se qualifier pour la Coupe de l’UEFA par le biais de la Coupe de Belgique, faut-il encore croire à la troisième place du championnat (les deux premières qualifiant pour la Ligue des Champions)?

Je sais que ce sera très, très dur mais rien ne dit que certains n’exploseront pas. Il reste 45 points à attribuer et, de toute façon, ne nous soucions pas des autres.Avoir faim

Je vais vous faire une proposition de titre pour ce reportage. Coupe-faim ou Coupe-fin? A vous de choisir…

Coupe-faim car je n’aime pas le mot fin. Fin, cela voudrait dire terminus alors que le Standard peut encore jouer un rôle important. Non, il faut avoir faim pour redresser la tête. Rien n’a été évident depuis le début de la saison. Je connais bien Robert Waseige et j’appréciais sa façon de travailler. Son départ m’a attristé. Je crois que certains dans le groupe ne l’ont pas compris. Les résultats malchanceux ont provoqué un climat très tendu. Je n’ai pas envie de revenir sur ce sujet, c’est le passé.

Ne dit-on pas que le stress vous fut insupportable?

Ce n’était pas évident, je ne jouais pas tout le temps. J’ai moi-même demandé de rejoindre la Réserve pour prendre du recul, m’aérer, penser à autre chose. Et cela m’a requinqué car j’avais été déçu par cette tension et les réactions de l’un ou l’autre joueur…

Ali Lukunku?

Je ne citerai pas de nom. A quoi bon? On sait que certains se nourrissent de sensations. C’est leur problème, pas le mien. Certains ontlancé des ragots. Au Standard, on a bien cerné les aspects de ma personnalité. On sait qui je suis, comment je réfléchis et je fonctionne. Je respecte le club, les autres, le groupe. C’est la moindre des choses. Pour moi, c’est même tout à fait primordial. Je ne peux pas fonctionner dans un autre climat. Quand un joueur raconte des conneries, je ne dois quand même pas réagir. Il m’a qualifié d’hypocrite: pourquoi? Non, je n’entre pas dans ce jeu-là. Faux sur toute la ligne. Il a dit n’importe quoi mais, sur le terrain, je lui aurais toujours fourni de bons ballons sans hésitation. Ceux qui me connaissent savent que je fais passer le groupe avant tout. Je suis sensible, ça oui, je le reconnais, mais est-ce un défaut? Je cerne bien les contours de l’âme liégeoise et je ne serai jamais une grande gueule. Ce n’est pas dans ma nature et je ne veux pas devenir quelqu’un que je ne suis pas. Si je tentais de le faire, pour céder à la vision des autres, à la mode, au système, ou aux désirs des autres, je ne serais pas Johan Walem.

Or, c’est en étant moi-même que je réussis ma carrière. Un patron, cela ne veut rien dire dans le football moderne. Il faut un collectif dans lequel chacun se sent bien. Quand c’est le cas, tout le monde tire le train et celui-ci roule plus vite. N’est-ce pas plus facile quand il y a beaucoup de locomotives? Un vestiaire doit d’abord être serein. Les joueurs ont le devoir de s’entendre, sans nécessairement être des amis. Ils ne doivent pas se voir sans cesse. Je dirai même qu’il vaut mieux pas. Chacun a sa vie. Quand on est trop amis, c’est finalement néfaste. Il faut de la concurrence au sein d’un effectif afin de progresser.

La Belgique se mesure à l’Algérie ce mercredi: pas de regrets d’avoir quitter les Diables Rouges?

J’ai pris une décision, c’est ainsi, je ne reviens pas en arrière même si on éprouve toujours un pincement au coeur quand l’équipe nationale joue. Je sais ce que je veux dans la vie et j’ai toujours tout fait pour atteindre mes objectifs. J’étais parfois discuté en équipe nationale, c’était dur à vivre mais la Coupe du Monde a prouvé que j’avais raison dans mes ambitions. La page est tournée. Des jeunes ont pris leurs marques. Ils ont tout l’avenir devant eux. J’ai 31 ans et je désire me consacrer totalement à mon club. Je veux tout donner ici sans perdre d’influx ailleurs. L’équipe nationale, c’est extra car on joue pour son pays mais c’est éreintant aussi. D’autres ont fait le même choix que moi. J’aurai encore trois ans de contrat à la fin de la saison. Je veux gagner quelque chose avec le Standard. Cela prendra le temps qu’il faudra mais j’y arriverai et je dois aussi me consacrer à ma fille, Ophélie, à ma famille. J’ai réfléchi, j’ai fait des choix logiques à 31 ans. Brésil-Belgique

Pour en revenir une dernière fois à l’équipe nationale, le but marqué face à la Russie ne constitue-t-il pas le plus beau moment de votre carrière de Diable Rouge?

Cela ne s’oublie pas, c’est sûr. Mais je regrette un peu que l’opinion des gens se soit fait finalement sur un seul coup franc. Il a certes été décisif et a fait le tour de la terre mais ma carrière de Diable Rouge ne se résume pas à ce beau moment. Moi, je retiens même d’abord Brésil-Belgique. C’était plus fort. Ce soir-là, les futurs champions du monde ont tremblé et douté face à une petite Belgique superbement collective. Ils ont émergé à la dure en fin de match alors que avons dominé durant de larges plages de la rencontre. Cela prouve qu’il y a du talent chez nous et que le plus rude adversaire des Belges, c’est toujours cette espèce de pessimisme qui doit être gravé dans nos gènes. Rien n’est jamais bon dans notre pays où nous avons pourtant tout pour être heureux. Il faut croire que nous n’aimons pas voir la vie du bon côté. C’est trop simple, certainement.

Le Standard n’a plus de Diable Rouge, pas de joueur classé honorablement au Soulier d’Or: une confirmation de votre classement actuel en championnat?

Non, je ne vois pas cela de cette façon-là. C’est la preuve que nous devons travailler et développer les potentialités qu’il y a chez nous. Le coach a faim de succès. Dominique D’Onofrio a réussi à mettre de l’ordre dans la baraque. Son discours est clair et se base sur un concept tactique qui ne varie pas. En quelques semaines, nous avons quitté le bas du classement. On doit remettre cela.

A Udine, on vous appelait le géomètre: un honneur?

Lorsque Udine est venu me chercher à Anderlecht, c’était pour mes qualités. Oh, les Italiens avaient parfaitement cerné mes manquements. Ils ont installé à côte de moi un médian différent, complémentaire. Il n’a jamais été question que je m’y exprime dans un registre qui ne soit pas le mien. Udine a joue en 3-4-3 puis en 4-1-3-2 comme c’est le cas actuellement au Standard. J’ai toujours eu besoin des autres. Je me sens à l’aise dans la position décentrée vers la gauche mais je ne refuse jamais d’autres missions. A Anderlecht, j’ai joué sept ans dans l’axe. La saison passée, je jouais parfois à droite. Cela ne m’a jamais dérangé. Je l’ai fait pour dépanner le groupe en misant sur mes qualités.

Votre compagne est italienne. A la fin de votre carrière, où vous installerez-vous? En Belgique ou en Italie?

J’espère jouer leplus longtemps possible. Le footballeur pro a la chance d’exercer un métier de rêve. Parfois stressant mais c’est fort et riche car nous voyageons, nous rencontrons des gens différents, etc. Je dois tout au football. Je le sais et je dis que cela vaut la peine de vivre pour ce sport. Il m’a finalement apporté la liberté de choisir, de vivre plus tard comme je le voudrai. J’ai découvert plus que le football en Italie. Et on m’avait prévenu: quand on connaît le Frioul, on ne le quitte plus. J’y ai des amis bien au-delà du football, une maison, ma compagne. Mais la Belgique est et reste mon pays. Cela veut dire que je vivrai un peu en Belgique, un peu en Italie, entre les deux pays avec ma fille Ophélie, ma femme, ma famille.

Pierre Bilic

« Je ne serai jamais une grande gueule »

« Rien n’est jamais bon dans notre pays »

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