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Coupe de Belgique: quand les Petits Poucets jouent les trouble-fêtes

Hier, les amateurs d’Onhaye (D3A) ont rendu visite à Ostende dans le cadre des seizièmes de finale de la Coupe de Belgique. Un véritable exploit dans une compétition généralement peu généreuse en surprises. Retour sur ces quelques grandes histoires de Petits Poucets.

KSV Ingelmunster

Saison 1998-1999 (D3)

Parcours: Élimine Amay (P1) 2-1, Dilsen (Promotion) 5-0, l’Olympic (D3) 4-1, Maasland Maasmechelen (D2) 4-0 en seizièmes, Tilleur-Liège (D2) 4-0 en huitièmes et perd contre le Standard (D1) 1-3 en quarts.

Saison 1999-2000 (D2)

Parcours: Élimine Gembloux (provinciales) 3-2, Lebbeke (Promotion) 4-0, Maasland Maasmechelen (D2) 3-1, Anderlecht (D1) 4-1 en seizièmes puis perd 1-8 contre Genk en huitièmes.

« Dans la culture foot belge, Ingelmunster restera comme ce petit club qui a mangé le grand. Pas pour son titre en D3 ou pour les années au top de la D2. Pour Anderlecht uniquement. » À 54 ans, OlivierLamberg enchaîne aujourd’hui les Ironman en tant que triathlète. Toujours plus loin de la double épopée improbable qu’il a connue avec Ingelmunster à la fin du XXe siècle. Non prolongé à Alost en D1 après un an de revalidation, le défenseur répond en juillet 1998 à la sirène JanCeulemans pour « jouer champion » avec les Ouest-Flandriens en D3. « Les moyens étaient énormes pour un petit bled comme Ingelmunster: on avait les sponsors de quelques gros industriels de Flandre orientale. Du coup, le stade avait été rénové avec une tribune multifonctionnelle et on même partis en stage. » Dans l’effectif, quelques noms expérimentés et plus ou moins connus: NicoVanderdonck (ex-Gand), VincentSix (ex-Courtrai), TommyCareel (ex-Roulers) et l’attaquant LucFeys (ex-Deinze), « un gars puissant, rapide et qui plantait quinze, vingt buts par saison, qui me fait penser à LaurentDepoitre: un taureau. »

Libramont n’a pas pu refuser une certaine somme d’argent pour mettre du beurre dans les épinards et se produire devant 15.000 spectateurs à Sclessin. » Thierry Jourdan, RCS Libramontois

La plupart des membres du noyau ont un contrat aménagé, mais ils travaillent sur le côté en journée: Lamberg est chauffeur-livreur, Vanderdonck gère un centre de fitness, d’autres bossent au Ministère… « En championnat, on avait énormément de pression vu qu’on bataillait avec Mons pour la première place. La Coupe, c’était un moyen de décompresser puisqu’on savait qu’on n’irait pas au bout. Mais on ne voulait quand même pas lâcher le truc. »

La première saison est idyllique. Les hommes de Jan Ceulemans empochent le titre, éliminent deux formations de D2 en Coupe, où ils s’offrent un match de gala en seizièmes de finale contre le Standard. Une rencontre solide, avec quelques occasions, au terme de laquelle les Rouches émergent péniblement. Lors de l’édition suivante, Ingelmunster insiste et tire Anderlecht en seizièmes de finale. Au Parc Astrid. « Les Mauve et Blanc auraient dû être prévenus. Mais tourne ça comme tu veux: « Ingelmunster », ça ne sonne pas dangereux. C’est une petite ville rikiki que personne ne connaît. C’est ça qui en fait un underdog contre lequel tu te dis que ça ira, mais au final, ça ne va pas. »

Ce soir d'octobre 1999, Jan Koller ne voit pas le ballon, et ne verra pas les huitièmes de finale de la Coupe non plus.
Ce soir d’octobre 1999, Jan Koller ne voit pas le ballon, et ne verra pas les huitièmes de finale de la Coupe non plus.© BELGAIMAGE

Ce soir d’octobre 1999, TomaszRadzinski indique pourtant – du dos – la voie à suivre. Mais les Bruxellois ne jouent pas bien et ne mènent que d’un but à deux minutes du terme. Puis, sur un centre a priori anodin, SergeBeerens surgit et envoie les siens aux prolongations. « Après notre égalisation, on a senti qu’ils commençaient à s’énerver. Quand EnzoScifo est rentré au jeu, on voyait déjà que ça ne lui plaisait pas et après deux minutes, Vanderdonck lui a mis un petit pont. Ça a énervé tout le monde à Anderlecht, ça a commencé à tacler dans tous les sens. Et ça, ça a décuplé nos forces. On n’était pas spécialement meilleurs que d’habitude, mais on sentait qu’il y avait la place. On sentait qu’on allait gagner. »

En 120 secondes, Feys scelle le sort des Anderlechtois avant le coup de massue de TerryDegrande. Élimination et humiliation pour JanKoller, Radzinski et Cie, qui prennent tout de même la peine de féliciter leurs adversaires, « Tu sentais que derrière, ça allait gueuler dans le vestiaire ou les jours qui venaient ( Il rit). » Les Jaune et Rouge rentrent alors s’ambiancer dans leur petit stade, fiers de leur match, celui d’une carrière. « On a pu rivaliser techniquement et physiquement sur 120 minutes, mais quand un footballeur pro est bien dans sa tête, c’est rare que ce genre de truc arrive. » Au tour suivant, Ingelmunster ramasse 8-1 à Genk.

Patro Eisden

Saison 1981-82 (Promotion)

Parcours: Élimine Diest (D2) 2-0 en 32e, le KRC Malines (D2) 3-1 en seizièmes, Saint-Trond (D2) 3-1 en huitièmes, puis tombe contre Waregem (D1) en aller-retour (1-2, 0-2) en quarts.

« C’était encore le Waregem des frères Millecamps! » Au bout du fil, le fidèle CQ du Patro Eisden, JeanJeurissen, semble déterminé à justifier l’élimination des siens en quarts de finale de la Coupe de Belgique 1981-82. Comme s’il fallait réellement expliquer qu’un club de Promotion – certes futur champion – courbe l’échine contre un « ventre mou » de D1. Surtout que les Limbourgeois ont fait mieux que résister en 180 minutes de duel contre les Ouest-Flandriens. En s’inclinant d’abord 1-2 dans un stade  » vollebak(plein comme un oeuf, ndlr) » à la maison puis 2-0 à Waregem. « Ce jour-là, ils se sont montrés beaucoup plus forts, ils ont prouvé qu’il y avait trois divisions d’écart. Je me souviens que la météo était mauvaise, il avait beaucoup plu et on était peut-être un peu fatigués. Pourtant, on était selon moi une des meilleures équipes du pays à ce moment-là. » Rien que ça.

Le Patro est au ballon, mais c'est finalement Waregem (ici avec Juan Verdugo) qui se qualifiera pour les demi-finales de la Coupe.
Le Patro est au ballon, mais c’est finalement Waregem (ici avec Juan Verdugo) qui se qualifiera pour les demi-finales de la Coupe.© BELGAIMAGE

Il faut dire qu’à l’entre-saison 1981, le Patro réalise une affaire en or. Tout juste relégué en Promotion suite à une sombre affaire de corruption – les Limbourgeois auraient proposé de l’argent au gardien du Witgoor Dessel JosVanGulik pour qu’il se couche lors du dernier match – le Patro Eisden vient surtout de vendre le tout jeune NicoClaesen à Seraing contre six millions de francs belges (150.000 euros). « Ça nous a permis de payer directement les factures, de signer l’entraîneur néerlandais GerardBergholtz, un ancien joueur d’Anderlecht, et de constituer une excellente équipe. »

Une science du marché que les Mauve et Blanc vont conserver tout au long de la décennie grâce aux retours juteux sur les transferts de VitalBorkelmans puis de ManuKaragiannis. Quant à cette histoire de Coupe, Jeurissen la considère surtout comme un formidable coup de pub pour le club. « Winterslag, Beringen, Heusden-Zolder… Il y avait beaucoup de concurrence dans le Limbourg à ce moment-là. Puis d’un coup, de Ostende à Courtrai, les gens ont su qui était le Patro Eisden grâce à nos succès. » Fin mai, cette année-là, de Ostende à Courtrai, on parle surtout d’un autre club limbourgeois: Waterschei vient en effet de remporter la Coupe. Contre Waregem.

Royal Dinant FC

Saison 1976-77 (Promotion)

Parcours: Élimine Ressaix et Halle aux premiers tours, puis bat Merksem (D3) 4-0 en 64e de finale, le Racing Malines (D2) 1-0 en 32e, et perd contre l’Olympic (D2) 0-3 en seizièmes.

Appuyé au bar de la buvette, MarcHenquin parcourt les noms de ses anciens coéquipiers. Tous ont droit à une intonation et un petit commentaire personnels, style « Très fort de la tête, le Georges! ». L’actuel président du Royal Dinant FC a minutieusement gardé sous plastique les coupures des journaux qui évoquent le plus beau parcours de son club en Coupe de Belgique. « On formait un mélange de gars qui allaient au charbon et d’autres qui savaient donner les ballons précis. Puis on ne se posait pas la question des primes ou de quoi que ce soit: on avait juste envie de foutre des couilles aux autres. »

Coupe de Belgique: quand les Petits Poucets jouent les trouble-fêtes
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À l’époque où il est encore envisageable d’évoluer en Promotion avec une équipe du cru – sauf un attaquant venu de Namur – les Copères débutent leur exercice 1976-1977 avec la ferme intention de viser le top 5 de la série. « On n’espérait évidemment rien de la Coupe de Belgique », promet HenriKadima, ailier de l’époque. « Du coup, on avait déjà rempli notre mission en éliminant Merksem, une équipe d’une division supérieure, au quatrième tour. » Un match marqué par le coup franc du 1-0, inscrit par l’entraîneur-joueur BerryLepère. L’arbitre venait pourtant de le jaunir, probablement frustré de l’avoir vu prouver en traçant la distance sous ses yeux qu’il avait mal positionné le mur adverse. « Il est revenu face au ballon complètement déchaîné. Il a pris cinq mètres d’élan et il t’a envoyé le bazar au plus près du coin de l’équerre. Extraordinaire », s’en exclame encore Marc Henquin.

Au tour suivant, les Dinantais héritent d’un Racing Malines tout juste relégué de D1. Autant dire qu’au moment de descendre de leur car, les Vert et Blanc ne s’attendent pas à une résistance insurmontable. Pourtant, le jeu en contre – « mais jamais négatif » – des Dinantais leur permet de s’imposer 1-0 sur un penalty que DanySedran convertit en feintant du droit puis en tirant du gauche. Une rencontre disputée devant 2.000 spectateurs, dont le CQ de l’époque, feu LéonGenette, qui s’est débrouillé pour flanquer un ami à sa place derrière le guichet de la gare de Dinant où il est censé officier cet après-midi-là.

Malin, le trésorier se place quant à lui dans les vestiaires peu avant la fin du match pour distribuer directement les primes… « Et être sûr qu’on les dépense à la buvette », se marre Henri Kadima. Deux mois plus tard, c’est l’Olympic qui débarque sur les hauteurs de la citadelle. « Comme les week-ends étaient spécialement réservés à la Coupe, les autres clubs du coin ne jouaient pas, donc il y avait un monde fou », se souvient Henquin. « Les gens étaient massés sur les cahutes des vestiaires ou dans la tribune en tôle qui faisait un bruit monstre quand on tapait dessus. » Méfiants et bien préparés, les Dogues s’organisent parfaitement et en enfilent trois à leurs hôtes. « On n’aurait rien pu faire », claironne les deux amis, avant de replonger dans la composition de l’équipe. Appuyés au bar de la buvette, comme en 76…

Fabian Bosmans (en blanc), du KHO Merchtem-Brussegem, a été partie prenante de l'épopée du club brabançon en Coupe.
Fabian Bosmans (en blanc), du KHO Merchtem-Brussegem, a été partie prenante de l’épopée du club brabançon en Coupe.© BELGAIMAGE

KHO Merchtem-Brussegem

Saison 1997-1998 (P1 Brabant)

Parcours: Élimine Betekom (P1) 0-0 (4-3 t.a.b.), Neervelp (P3) 2-1, l’Eendracht Hekelgem (Promotion) 3-2 au troisième tour, Mons (D3) 2-1 au quatrième, l’Olympic (D3) 1-0 au cinquième et perd 0-1 en seizièmes de finale contre Neeroeteren (Promotion).

Il a beau le triturer dans tous les sens, Eddy Cooremans ne digère toujours pas ce seizièmes de finale de Coupe de Belgique 1997. « On a joué à onze contre dix pendant une partie du match, on s’est créé suffisamment d’opportunités pour l’emporter, mais on a perdu sur une erreur de notre gardien. » Le tout devant 600 spectateurs, soit « moitié moins que si le match s’était déroulé à Merchtem ». Un sale souvenir, donc, que cet affrontement face à Neeroeteren, futur huitième de Promotion C, un dimanche d’octobre.

Un souvenir d’autant plus frustrant que les Brabançons avaient sorti deux écuries de D3 (Mons et l’Olympic) aux tours précédents et qu’à une boule près lors du tirage au sort, le matricule 2242 aurait hérité d’Anderlecht à la place des Limbourgeois. « Le week-end, j’étais souvent derrière le comptoir de ma friterie, je n’ai donc pas assisté à tous les matches cette année-là », reconnaît Eddy, fidèle joueur du KHO entre 1964 et 1981, qui s’arrangeait toutefois pour rejoindre la bande à la buvette après les succès. « C’était indescriptible: une bière après l’autre, sans arrêt. Merchtem est une commune festive, tout le monde est toujours prêt à mettre le feu. »

Betekom, Neervelp, Hekelgem en font donc les frais, avant les deux pensionnaires de D3. « On sortait d’une horrible saison en Promotion, on avait donc fait de gros transferts, des gars qui avaient le niveau pour la Promotion ou la D3, histoire de quitter au plus vite la P1. Ce n’était donc pas anormal de rivaliser avec des grosses cylindrées. » Mais la Coupe n’est pas le championnat. Obnubilés par leur parcours de rêve, beaucoup de joueurs « ont attrapé le gros cou » au point de lever le pied face à Boortmeerbeek, Wolvertem et autres Diegem en P1. Résultat des courses: le club est relégué en fin de saison. Deux ans plus tard, suite à des problèmes financiers, il disparaît même des radars. Aujourd’hui, Merchtem United essaie de renaître des cendres de son aîné, en P4. Eddy Cooreman, lui, gère une formation de fritiers.

RCS Libramontois

Saison 1987-88 (Promotion)

Parcours: Élimine Marloie et Mormont aux premiers tours, le Stade Leuven (D3) 2-1 en 64e, l’Antwerp (D1) 3-1 en 32e, puis perd 3-1 au Standard (D1) en seizièmes.

Ce samedi 29 août 1987, Andy passe devant le stade communal de Libramont quand il se rappelle soudain la présence d’un compatriote anglais, DavidMurray, dans le onze luxembourgeois. « C’était trop bête de louper un tel moment », se remémore ce supporter. Surtout que face aux Mauves se dresse l’Antwerp, leader de la D1 belge, dont le noyau compte des types de la trempe de JanPoortvliet, CisseSevereyns et FransVanRooy.

Les Anversois sortent d’une mise au vert à Bouillon. Et ils ne s’en font guère lorsqu’ils se retrouvent menés 1-0 après vingt minutes. Pas plus que quand le gardien local MichelCuvelier sort un pénalty de MarcVanDerLinden. « Je n’ai pas souvenir qu’ils se soient énervés, j’ai toujours eu l’impression qu’ils pensaient que ça allait aller vu qu’ils ont égalisé peu après la reprise », resitue le libéro ThierryJourdan. « Ce qui m’a étonné, c’est de ne pas avoir été pressé. J’avais le temps de lever la tête à chaque fois que je recevais le ballon. » En seconde période, BrunoRolin remet Libramont devant et Murray profite d’une erreur de HarryCnops pour faire le break. « Là, on se dit Pourquoi pas?! Mais c’est si vite arrivé… Au coup de sifflet final, on a du mal à réaliser, surtout quand on voit les visages des mecs que l’on vient de battre. Si on rejoue le match dix fois, on le perd peut-être dix fois. Mais c’était un jour où devait gagner, point final. »

Ah, cette époque où le
Ah, cette époque où le « G » était encore synonyme de victoire…© BELGAIMAGE

Les Libramontois retiendront la recette du succès lors des éditions suivantes en faisant trépasser Saint-Trond puis Mouscron, deux formations de D2. « On avait un super terrain, un véritable tapis chouchouté, et un groupe qui savait se transcender dans les grandes occasions », reprend Jourdan, qui se souvient de grosses fiestas, notamment après l’Antwerp. La buvette en travaux, c’est au restaurant L’Avenue que la réception se déroule, à coup d’assiettes froides alignées sur les tables. « Aucun Anversois n’est jamais venu. C’était pas très sympa… mais du coup, on s’est resservi. » La fête s’éternise, Andy doit s’armer de patience pour repartir parce que « des dizaines de tracteurs se promènent dans les rues de la ville en klaxonnant. » La fameuse foire de Libramont.

Au Great Old, la blessure est à ce point profonde que GeorgKessler, le coach de l’époque, confiera plus tard avoir détourné son regard du panneau de signalisation « Libramont » un jour où il visitait le sud du pays. En seizièmes de finale, les Luxembourgeois héritent du Standard, encore à domicile. Sauf que les dirigeants acceptent la demande des Liégeois de jouer en bord de Meuse. « Le club n’a pas pu refuser une certaine somme d’argent pour mettre du beurre dans les épinards et se produire devant 15.000 spectateurs », pense Jourdan.

En contrepartie, Libramont met gratuitement à disposition une trentaine de cars. « Les deux tiers de Sclessin étaient luxembourgeois. Je revois encore le kop mauve continuer à nous encourager même quand on était menés. » Battu 3-1, Libramont sort la tête haute, mais aussi pleine de questions. Les Mauves auraient-ils pu créer un deuxième exploit sur leur terrain, leur « tapis chouchouté »?

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