Coup de maître

Guy Gilsoul Journaliste

A la fin du XIXe siècle, Gustave Moreau fait souffler un vent nouveau sur l’enseignement à l’Ecole des beaux-arts de Paris. Une exposition revient sur l’itinéraire de ce pédagogue résolument anticonformiste.

Sous le titre Souvenirs d’atelier, la nouvelle exposition du musée Gustave Moreau à Paris confronte des oeuvres (souvent inattendues) du vieux professeur à celle de son élève préféré, l’expressionniste Georges Rouault. Les comparaisons sont intéressantes parce qu’elles soulèvent la question, toujours d’actualité, des rapports entre maîtres et élèves :  » L’énorme qualité de Gustave Moreau, écrira Cézanne, c’est qu’il n’était pas justement un professeur mais un animateur.  » Et Proust de préciser,  » un maître à penser « . Il laissera en tout cas derrière lui, une légende, celle d’un atelier totalement atypique d’où sortiront des peintres aussi différents que le portraitiste belge Henri Evenepoel et les flamboyants Marquet, Manguin et Matisse. Explications.

Lorsque, en 1891, le peintre symboliste,  » mi-dandy, mi-rapin  » devient professeur dans la très officielle Ecole des beaux-arts de Paris, il a 65 ans. Il n’a plus rien à prouver et tout à donner. Tout à oser. Mais on ne bouscule pas impunément les habitudes. Moreau le sait. Alors, il prépare ses élèves au prix de Rome. Cela passe par la maîtrise progressive du dessin, de l’esquisse, des académies peintes mais aussi de la connaissance des mythes, légendes et textes sacrés.

Le combat du pédagogue

Dans le même temps, avec une rare empathie, Moreau conduit ses protégés  » non pas, se souviendra Matisse, sur le chemin mais hors des chemins « . Face à lui, ses deux collègues, Cabanel et Gérôme qui, comme de nombreux professeurs d’art, imposent les certitudes de l’establishment. Leur pédagogie tient en deux points : d’abord la soumission aux modèles proposés. Soit les plâtres romains et les copies de peintres italiens du XVIe siècle. Ensuite, la primauté du dessin, ses trucs et ses ficelles, la couleur demeurant au mieux, un supplément suspect. Résultat ? Une pratique docile relevant du préfabriqué, atone, attendu et sans vie intérieure.

Au contraire, l’atelier de Moreau relève du laboratoire. Deux exemples. Aux copies proposées au sein même de l’institution, il préfère envoyer ses élèves au Louvre mais en leur recommandant, une fois sortis, d’observer le ciel et la ville. Et lorsqu’il les confronte à l’un ou l’autre grand thème littéraire, il les encourage non plus à obéir aux vérités de l’archéologie ou de l’historicisme mais à interpréter ces sujets en fonction de leur propre psyché.  » Sa grandeur, poursuit l’un de ses étudiants, aura été d’avoir posé dans l’esprit des points d’interrogation.  » Et il le fait aussi en inscrivant la pratique de la couleur dès le début de la création. On ne le lui pardonnera pas.

Car, par cette expérimentation d’abord intérieure (que me dit telle ou telle teinte), rationnelle ensuite (comment rendre cette émotion), il effaçait les certitudes au profit, dira encore Matisse,  » de l’inquiétude « . En filigrane, se situait là un principe fondateur de sa pédagogie :  » L’art, écrivait-il, est l’unique moyen pour l’homme d’exprimer ce qu’il y a de sacré en lui « . C’en était trop pour ses collègues. Ils n’eurent donc de cesse, via l’organisation de jurys à leur cause complaisants, de toujours empêcher les  » protégés de Moreau  » d’accéder aux diverses sélections et récompenses officielles. Rien n’a changé depuis !

Gustave Moreau – Georges Rouault. Souvenirs d’atelier, au musée Gustave Moreau, à Paris. Jusqu’au 25 avril. www.musee-moreau.fr

Guy Gilsoul

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