Coup de main

Pierre Bilic

L’entraîneur des portiers zébrés est sévère à propos des derniers remparts de l’élite.

Gulyas est une espèce de cow-boy Marlboro avec des pattes comme des étaux. Quand il vous serre la pince, cela se sent. Son accent du Danube est toujours aussi sympathique avec un timbre de voix usé par un évident abus de tabac. Mauvais pour la santé !

 » Putain, je sais que ces cibiches, c’est pas bon « . Car Istvan Gulyas saupoudre parfois son discours de l’un ou l’autre gros mot qui, dans sa bouche, deviennent même assez savoureux. Les joueurs en raffolent, se marrent en l’écoutant.

Que pense-t-il des gardiens de D1 ? On a beau chercher, où sont les successeurs des Jean Nicolay, Christian Piot, Jean-Marie Pfaff, Gilbert Bodart, MichelPreud’homme, Jacky Munaron et FilipDe Wilde ?

 » Le football a beaucoup changé, ce n’est plus le même métier mais une chose est sûre : un gardien qui réfléchit trop ne sera jamais un super « , dit-il en se marrant.  » Pour s’imposer dans ce domaine, c’est comme avant : il faut être un peu fou. Comme je l’étais. Un gardien de but ne peut pas avoir peur « .

Gulyas se souvient du temps où il débarqua chez nous, en 1992. L’Anversois Louis Devries était alors le proprio du Honved de Budapest. Après avoir été cité au Maccabi Tel-Aviv, il préféra bifurquer vers le Pays Noir. Charleroi allait découvrir un bon gardien de but et un équipier serviable.

Quatre ans plus tard, miné par deux hernies discales, Istvan raccrochait ses gants et opta pour le métier d’entraîneur des gardiens de but d’un club devenu sa raison de vivre, l’essence de son enthousiasme :  » On m’a offert un contrat à période indéterminée. C’était une preuve de confiance qui m’a fait un plaisir immense. Quand je suis arrivé, il n’y avait pas d’entraîneur des gardiens. L’adjoint du coach, Raymond Mertens, s’occupait de moi, c’était tout. C’est LukaPeruzovic qui me demanda d’intégrer le staff technique. A Charleroi, en tant que joueur, puis entraîneur des gardiens, j’ai eu la chance de travailler avec Robert Waseige. Un Monsieur. Le top du top dans son métier et une personnalité en dehors du football aussi : je suis fier d’avoir évolué sous sa direction « .

En quelques années, Gulyas prit le meilleur sur tous ses concurrents : David Baetslé, Peter Kerremans, Ranko Stojic, Franky Frans, etc. Belle carte de visite pour l’homme de Gerpinnes dont les deux fils, Gergö (18 ans) et Gabriel (15 ans) se destinent aussi à la passion de gardien de but.  » Je n’ai jamais aimé la ligne « , explique-t-il pour revenir au c£ur du débat.  » En Hongrie, j’avais des problèmes à cause de cette manie. A l’époque, on jouait encore à dix plus un. Le gardien de but était là pour défendre ses filets et rien de plus. C’était frustrant. Je ne le supportais pas. Aujourd’hui, on joue enfin à onze durant 90 minutes. Toute la géométrie du jeu a changé car le gardien est désormais un superbe point d’appui. Cela demande une fameuse concentration. Sur certaines phases de jeu, il est le libero, le dernier défenseur et le premier attaquant. Une bonne passe en profondeur de sa part peut être mortelle. Mais, pour cela, il doit quitter son rectangle, si c’est nécessaire, et savoir jouer balle au pied. Moi, j’osais le faire. On demande plus aux portiers. Les équipes jouent généralement plus haut mais je constate cependant que les clubs de D1 ont surtout des gardiens de ligne. Fameux anachronisme. Ils sont souvent faibles dans les sorties aériennes ou balle au pied. Il n’y a aucun gardien complet en D1. C’est la résultante de carences dans la formation et les entraînements individuels. A mon avis, les clubs font encore confiance à des entraîneurs de gardiens à l’ancienne, parfois qui, au niveau des jeunes, ne connaissent pas les obligations actuelles. Quand je teste un gardien, s’il ne sort pas bien, je ne le retiens pas « .

 » Nos gardiens valent tous les autres de D1  »

A un moment, Charleroi disposait du trio Stojic-Frans-Gulyas. Cette triplette était-elle plus douée que le tiercé formé par Bertrand Laquait, Istvan Dudas et Wilfried Godart ?  » Oui « , répond tout de suite Istvan Gulyas.  » Mais il faut nuancer. Ranko Stojic avait défendu les filets du Partizan de Belgrade et du Dinamo Zagreb en ex-Yougoslavie. 17 fois international, il avait été au top européen. Je m’entendais bien avec lui. Ranko était complet mais arrivait en fin de carrière lors de son deuxième passage à Charleroi. Il a eu des problèmes avec Georges Leekens. J’étais sa doublure et l’entraîneur me raya même de la carte avant de me rappeler. J’avais un très gros vécu. Franky Frans était un gardien de ligne, l’homme de réflexes inouïs mais les sorties balle au pied, c’était pas son truc. Franky réalisa une saison fabuleuse à Charleroi car Robert Waseige lui fit confiance. Tout se passe aussi dans la tête. A trois, nous avions du métier à revendre. Le trio actuel n’est pas encore à l’heure des bilans, loin de là. Ils seront un jour aussi brillants que leurs prédécesseurs. Ma mission est de les faire progresser au quotidien. J’écoute, je les encourage, je les motive mais je ne les sélectionne pas : cette responsabilité appartient à Dante Brogno. Je suis fier dans la mesure où les gardiens de but carolos n’ont pas posé de problèmes. Je m’entends bien avec ces trois personnalités différentes l’une de l’autre. Bertrand Laquait a retrouvé ses sensations chez nous. Il écoute, travaille, est bon balle au pied et a un impact positif sur l’équipe. Après sa fracture de la main, il ne s’est pas désuni et est très vite revenu dans le coup. Je l’ai aidé avec mon travail et je suis heureux de constater que cela le relance au niveau de la D1 ici pour le moment, peut-être en France à l’avenir. Istvan Dudas a été le grand malchanceux de la saison. Il s’est blessé plusieurs fois. Il a prouvé qu’il était un des meilleurs gardiens de D1, notamment balle au pied et dans le trafic aérien. Wilfried Godart ne m’a pas déçu. C’est plus un gardien de ligne. J’espère que le travail investi à Charleroi lui permettra de continuer sa carrière en D1 pendant trois ou quatre ans « .

Gulyas affirme que Charleroi a finalement une division gardiens de buts qui vaut largement celle des autres clubs de D1.  » Filip De Wilde a longtemps été le plus complet parmi l’élite « , lance Istvan Gulyas.  » Daniel Zitka prend la relève et est sur le bon chemin. Ce ne fut pas toujours évident pour lui mais il jouit désormais de la confiance du coach, c’est décisif. Le Tchèque ne se sent plus menacé et peut jouer plus libéré, sans crainte d’être écarté à la première erreur. Dabanovic, Van de Putte, Belic, Van der Straeten, Stack, Willockx, Habrant, Carini, Luciano et les autres sont de bons gardiens mais sans plus. Pas des supers. Les sorties ne sont pas leurs spécialités. Danny Verlinden se fait vieux. On parle beaucoup de Proto. Il a du potentiel mais aussi des défauts. Le Louviérois n’est pas impérial dans les sorties aériennes. De plus, je constate qu’il se retrouve souvent sur le dos quand il encaisse un but. C’est une mauvaise habitude. Un gardien doit couvrir le maximum de terrain quand il est obligé d’intervenir au sol. Dès lors, il doit plonger sur le côté. Silvio a des atouts mais pour briller, il doit corriger ce manquement au plus vite « .

 » En Belgique, on a surtout des gardiens de ligne « 

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