© BELGAIMAGE

COUP DE FOUDRE SUR LE ROCHER

Un arôme de Porto parfume la Turbie. Avec le rocher pour ombrelle, l’ASM se sculpte dans une ivresse mesurée. Ses (quelques) supporters titubent déjà…

Les Monégasques posent un genou à terre. Mathieu Duhamel se charge très tôt de la sentence assénée par les visiteurs lorrains. Le coup de grâce intervient en seconde période, par l’intermédiaire de Pierre Bouby. 66 minutes suffisent aux Grenats pour coucher un monument historique du championnat français. Sambou Yatabaré, aligné dans le coeur du jeu, ne peut rien faire. Sur sa Côte d’Azur, dans son antre de Louis II habitué aux joutes européennes, l’AS Monaco s’incline 0-2 contre le FC Metz.

En soi, le résultat ne mérite pas le statut d’événement. Sauf si l’on ajoute que l’on est en 2011, qu’il s’agit d’une rencontre de Ligue 2 et que l’ASM n’a plus qu’une lanterne rouge pour éclairer la noirceur de son futur proche. La saison précédente, l’unique but en six mois de Dieumerci Mbokani n’empêche pas la descente du septuple champion de France. Une première en 34 ans, synonyme de reconstruction impérative. Les signes d’une possible reprise restent pourtant infimes.

Mais le 23 décembre 2011, trois semaines après la déroute messine, Dmitry Rybolovlev devient l’actionnaire majoritaire du club (66,67%). Jamais l’entité principautaire n’avait été aux mains d’étrangers. Pas moins de neuf recrues débarquent, dont Nabil Dirar. Monaco termine huitième, avant d’être sacré l’année suivante. Le projet russe, démarré en grande pompe, prend depuis des accents portugais. Il prévoirait même de s’installer au Cercle de Bruges, pour y faire polir ses joyaux. Retour sur les rouages d’une machine en marche.

STRASS ET PAILLETTES

Le richissime Rybolovlev voit les choses en grand pour le retour de son nouveau joujou en Ligue 1. En coulisses, il active les siens. Vadim Vasilyev, son vice-président et visage du projet, fait passer le message à Filips Dhondt, directeur général adjoint belge, et surtout à Luis Campos, le directeur sportif très proche de l’hyperactif Jorge Mendes. Les transfuges entrants portent forcément la griffe de Gestifute, la boîte de l’agent portugais, ainsi que de Doyen Sports. Les chiffres démontrent les ambitions neuves de l’ASM : 20 millions pour Geoffrey Kondogbia, 43 pour Radamel Falcao et 45 pour James Rodríguez.

Deux grosses promesses et une superstar confirmée, pour le strass et les paillettes, accompagnées par plusieurs arrivées intelligentes. 25 autres millions sur João Moutinho, 6 sur le Brésilien Fabinho, 5 sur le jeune Anthony Martial, pareil pour l’expérimenté Jérémy Toulalan, et zéro pour les vieux routiers Éric Abidal ou Ricardo Carvalho. La mutation s’amorce et la mayonnaise prend sur le pré. Monaco finit bon dauphin du PSG, avec un record de 80 points, et s’offre une demi-finale de Coupe de France. L’argent possède cette vertu d’effacer les mémoires d’un passé trouble et d’un présent de promu.

Mais il a peu de chances d’échapper malgré tout au fair-play financier cher à Michel Platini. Alors Rybolovlev change complètement de cap. L’axe est mis sur la formation, valeur sûre des rouge et blanc, un recrutement ciblé, une organisation cohérente et bien sûr, la revente juteuse de ses meilleurs actifs. Rodríguez quitte le navire en premier. Un mouvement vers le Real estimé à 90 millions d’euros, soit le double de son prix d’achat, selon les révélations de Football Leaks. Un an plus tard, Martial fait chavirer United dans les ultimes instants du mercato. Les Red Devils posent 80 millions sur la table des dirigeants russes.

JOUE-LA COMME PORTO

Inutile de préciser que ces derniers ont de quoi voir venir. Les autres ventes de Kondogbia, Yannick Carrasco, Layvin Kurzawa et Aymen Abdennour remplissent les caisses dans le même temps qu’elles permettent de redessiner les plans. Et peu importe si cela ne plaît guère au coach monégasque, Leonardo Jardim, remplaçant de Claudio Ranieri. L’enfant de Madère se veut néanmoins lucide.  » Je crois aux projets dans le football, mais je pense qu’il faut aussi faire avec notre époque « , dit-il dans So Foot.  » L’objectif est de former rapidement des jeunes pour compenser la sortie d’autres joueurs. C’est un projet différent. Il n’existe pas de projet sur le long terme, on ne va pas se dire que ce n’est pas grave si on n’obtient pas de résultats cette année, parce que dans trois ans on jouera mieux.  »

Même si Monaco reste Monaco, un paradis tout autant luxueux qu’exonéré, son club n’accueille plus que des noms ronflants à la relance. Sous la forme de prêts, Stephan El Shaarawy, Fábio Coentrão et Vágner Love viennent ainsi se dorer la pilule sur le rocher. Sans grande réussite cependant. La seule vraie folie de l’ASM voit de nouveau le jour au pays d’Eusébio. A l’hiver 2015, Bernardo Silva rallie le sud de la France depuis Benfica, pour un peu moins de 16 millions. Inconnu dans l’Hexagone, il frappe aujourd’hui à la porte des cadors européens et porte son équipe du haut de son mètre 73.

La politique monégasque trouve des similitudes dans celle prônée par Porto, cet ennemi que l’on pensait juré suite à une soirée de mai 2004, en finale de la Champions League à Gelsenkirchen. Monaco s’appuie également sur son réputé centre de formation. Si l’idée n’est pas nécessairement novatrice, elle semble logique sachant que la France est le deuxième pays exportateur de joueurs, juste derrière le Brésil. D’après le CIES, observatoire du football, l’ASM se poste à la huitième place des clubs ayant formés le plus de joueurs évoluant dans le Big 5. Cinq constituent son noyau, dix-sept s’aguerrissent sous d’autres cieux. Et bien que sa balance soit déficitaire en termes d’indemnités de transferts entre 2010 et 2016 (370 millions dépensés pour 339 perçus), elle tend clairement à s’équilibrer.

DES PARIS GAGNANTS

L’effectif de Monaco avant la trêve hivernale ne lui a coûté  » que  » 202 millions d’euros, loin des 611 de Manchester City, son futur adversaire en Champions League. Un montant en baisse qui s’explique par la jeunesse de ses recrues. Dans ce domaine, les asémistes se classent deuxièmes de Ligue 1, dauphins de Bordeaux, avec une moyenne d’âge de 24,15 ans. C’est aussi une des équipes qui a transféré le moins cet été.  » Seulement  » cinq joueurs ont dû s’acclimater à la Côte d’Azur, soit un de plus que ses concurrents directs de l’OL et du PSG. Dès 2015, l’ASM mise avec succès sur des joueurs en devenir et pas trop onéreux.

Les meilleurs exemples sont les médians Français Thomas Lemar, recruté pour quatre millions à Caen, et Tiémoué Bakayoko, venu de Rennes pour huit millions. Le premier a connu sa première sélection avec les Bleus en novembre dernier, le second subit le pressing des écuries de Premier League. Selon le CIES, Bakayoko est même le troisième meilleur milieu défensif du Big 5 dans la catégorie des non-internationaux. Les seules erreurs de casting se comptent ainsi sur les doigts d’une main, à l’instar d’Ivan Cavaleiro et Lucas Ocampos, respectivement lâchés à perte vers Wolverhampton et l’OM. L’AS Monaco doit ces paris gagnants à Luis Campos. Le Portugais, désormais tête pensante du projet lillois de Gérard Lopez, a laissé cet été son fauteuil de directeur sportif à Antonio Cordon. L’Espagnol arrive de Villarreal avec son réseau sud-américain et une discrétion bien à lui.

Embaucher cet homme méticuleux permet à un Rybolovlev empêtré dans les révélations de Football Leaks, relatées en Belgique par Le Soir, de montrer que l’ASM ne sert pas uniquement à mettre en valeur le portefeuille bien garni du Gestifute de Mendes. Au total, son club compte 40 joueurs sous contrat, dont 14 prêtés, mais le noyau tourne autour d’une grosse vingtaine de soldats. Jardim profite déjà de l’apport de ses recrues, à l’instar du Polonais Kamil Glik, mais également de l’éclosion de Kylian Mbappe, récent vainqueur de l’EURO U19, et du retour en grâce de Falcao. A 32 ans, les rescapés du projet initial Andrea Raggi et Danijel Suba?ic font figure de doyens et encadrent un groupe bien balancé.

MEILLEURE ATTAQUE D’EUROPE

Leonardo Jardim peut enfin s’atteler à ce qu’il sait faire de mieux : mettre en place un collectif et former. Le natif du Venezuela étudie et enseigne le football depuis ses 20 ans. Pour lui, le  » nous  » doit toujours primer sur le  » moi « .  » Il existe une division claire entre le joueur et l’entraîneur « , poursuit-il pour So Foot.  » Dans la plupart des cas, le joueur est une personne qui perçoit le football à travers le  » moi « . Il y a moi, et après l’équipe. Il est très rare qu’un joueur pense au collectif avant de penser à lui, et cela se ressent dans 99 % de ses choix.  » L’homme, qui a révélé William Carvalho, Adrien Silva ou Islam Slimani au Sporting Lisbonne, est en train de façonner Bernardo Silva par et pour le  » nous « .

Après deux défaites pour ses débuts en 2014, Jardim courbe le dos. Critiqué pour ses méthodes, qu’il dit  » écologiques  » dans le sens où le jeu prime sur le physique, il parvient tardivement à faire taire les huées. Il élimine Arsenal en huitièmes de Ligue des Champions en 2015 (3-1, 0-2), avant d’échouer de justesse en quarts contre la Juve (0-1, 0-0). Là, les langues commencent doucement à tourner dans le même sens. La troisième saison de l’ancien de Braga, qui tourne à près de 70 % de victoires, peut donc être celle de la consécration. Et en comparaison avec l’exercice précédent, la mutation est totale. L’an passé, Monaco n’inscrit  » que  » 57 buts et se reconnaît plutôt par sa solidité défensive qui lui donne les moyens de s’asseoir sur la dernière marche du podium français.

Jardim coule ensuite le sous-marin jaune de Villarreal en tour préliminaire de C1 et délaisse une philosophie de jeu rationnelle, pour ne pas dire ennuyeuse, au profit du spectacle. L’ASM avait remporté 13 rencontres par au moins trois unités d’écart pour 90 pralines au compteur, toutes compétitions confondues. En L1, les asémistes font déjà mieux que l’an dernier avec 64 banderilles. Un réalisme frappant inégalé dans le Big 5 pour un feu d’artifices de goals qui peut partir de n’importe où. Et Monaco pourrait bel et bien profiter de la phase de transition du PSG. Depuis le passage de la Ligue 1 à vingt équipes en 2002, la meilleure attaque l’a emporté dix fois sur quatorze… Vous avez dit champion ?

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

Depuis 2002, la meilleure attaque de Ligue 1 a remporté dix fois le championnat français.

« L’objectif est de former rapidement des jeunes pour compenser la sortie d’autres joueurs.  » LEONARDO JARDIM

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire