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Pourquoi le Sporting Charleroi a-t-il pris l’habitude de faire ses emplettes dans le championnat français ?

Il y a 11 ans, sans le savoir, le Sporting Charleroi lançait une mode qui allait contaminer le club durant une décennie mais également tout le championnat belge : celle des joueurs français. Alors mal en point au classement, les Zèbres décident de scruter le marché hexagonal. Nous sommes en fin d’année 2002. Après quelques mois de prospection, la première vague apporte sur les étaux carolos dès janvier 2003 Bertrand Laquait, Mickaël Ciani (qui ne jouera que la saison suivante) et Laurent Macquet (janvier 2003). Suivront en juillet Sébastien Chabaud, Loris Reina et Majid Oulmers. Tous ces noms feront leur chemin à Charleroi.

Devant ce 100 % de réussite, le RCSC décide d’en faire une politique. En 11 ans, pas moins de 48 joueurs français ont porté le maillot zébré. Si, à la fin de l’ère Abbas Bayat, cette politique fut quelque peu abandonnée, laissant la place à une tour de Babel, elle fut réactivée dès le retour de Mehdi Bayat aux affaires, celui-ci reprenant les bonnes vieilles recettes de son frère, Mogi. Car, rendons à César ce qui lui appartient, c’est bien celui qui est aujourd’hui agent de joueurs qui fut à l’origine de ce virage au Sporting.

Depuis lors, la recette a été largement copiée par de nombreux clubs comme Mons, Mouscron, Courtrai, Zulte Waregem et Malines. Mais nulle part, elle n’a fonctionné aussi bien et sur une aussi longue période qu’à l’ombre des terrils carolos. Pourquoi le Sporting s’est-il tourné vers ce marché ? La recette fonctionne- t-elle toujours aussi bien ? Et quelles sont les différences entre le marché français en 2003 et celui de 2014 ? Sport/Foot Magazine s’est penché sur la question.

Août 2014. Fabien Penneteau est présenté à une poignée de journalistes carolos. Il s’agit du nouveau renfort zébré. Aucun tambour ni trompette n’a accompagné son arrivée. On parle quand même d’un gardien qui a accumulé plus de 400 matches en Ligue 1 française. Peu de joueurs de son acabit ont rejoint la D1 belge cet été. Mais à Charleroi, on a appris à ne plus s’émouvoir de l’arrivée d’un élément hexagonal. Il s’entraînera d’ailleurs avec un autre gardien français, Parfait Mandanda, et prendra place au sein d’un vestiaire qui compte désormais 10 joueurs français.

Pourquoi avoir opté pour le marché français ?

Retour fin 2002, Mogi Bayat s’est vu confier la politique sportive par son oncle. Parce qu’il possède davantage de réseaux en France et qu’il se rend compte du nombre de joueurs français disponibles à petit prix, il sillonne l’Hexagone.  » Il faut bien comparer le marché belge et français. En Belgique, tu as 11 millions d’habitants pour 18 clubs de D1 en 2002. En France, tu as six fois plus d’habitants pour seulement 20 clubs de D1. La présence des centres de formation amplifie le phénomène. Il y a donc beaucoup de joueurs formés pour peu d’élus. Cela devient difficile pour les joueurs français de percer en Ligue 1. Mogi s’est rendu compte de cela et a décidé d’investir les divisions inférieures à la recherche des bonnes affaires « , explique l’actuel patron sportif du Sporting, Mehdi Bayat. A cela s’ajoutent également des joueurs qui ont touché à la D1 mais sont sur une voie de garage et ont besoin d’une seconde chance (Chabaud et Laquait).

Ces joueurs ne sont pas hors de prix, ont une mentalité exemplaire grâce à leurs années passées en centre de formation, disposent d’un niveau technique supérieur au joueur belge et s’adaptent facilement, ce qui leur permet d’avoir un impact direct et décisif.  » La langue a joué un rôle « , ajoute Mehdi.  » Nous sommes un club francophone et même si la langue n’est pas un élément prédominant dans la réussite d’un club, cela peut devenir un élément important. Les Français qui arrivent chez nous ne sont pas déboussolés. Le français devient un outil qui permet une intégration plus rapide.  » La relégation de Charleroi en 2011 intervient d’ailleurs à une époque où le vestiaire n’est plus composé essentiellement de joueurs francophones mais d’une multitude de nationalités. Il y avait alors clairement un déficit de communication. Cet élément n’explique pas la descente mais il y participe très certainement.

En 2003, il ne fut pas évident de convaincre des joueurs expérimentés de venir en Belgique.  » Le championnat de Belgique était complètement inconnu dans l’Hexagone « , explique Mehdi. Seul argument valable : la possibilité d’être titulaire en D1. Cela vaut toujours mieux que de moisir en CFA. Par contre, le discours est plus facile vis-à-vis d’une autre catégorie de joueurs français : les jeunes impatients de goûter aux joies de la vraie compétition. Une fois le club stabilisé, Mogi joue cette seconde carte en attirant des Fabien Camus, Dante (qui n’est pas français mais croupissait en réserve à Lille) ou Habib Habibou.

Le succès de Ciani, arrivé en janvier 2003, et qui perça lors de la saison 2003-2004, étant très vite transféré en Ligue 1 (à Auxerre, puis Lorient, Bordeaux et ensuite la Lazio de Rome), a servi le club, permettant de convaincre tous ces jeunes de s’expatrier en Belgique.  » C’est évidemment plus simple d’attirer aujourd’hui un joueur français car on peut se servir de pas mal d’exemples de réussites pour démontrer qu’un passage par Charleroi est souvent bénéfique pour la carrière d’un joueur. A ce niveau-là, notre meilleur ambassadeur se nomme Dante. On parle quand même d’un titulaire au Bayern de Munich et demi-finaliste de la Coupe du Monde !  »

Pourquoi cette politique a-t-elle connu un coup d’arrêt ?

Les coups gagnants allaient pourtant se raréfier au cours des saisons. Sans doute qu’à force de croire que tout ce qui vient de France se transforme en or, on se focalisa moins sur la qualité. Des joueurs de moindre niveau (Rémy Ribault, Remi Sergio, Steeve Théophile, Gérald Forschelet) aboutirent au Mambourg.

A un certain aveuglement, s’ajouta également une concurrence plus accrue sur le marché puisque d’autres clubs de D1 commençaient à s’intéresser au filon français.  » On a eu tellement de réussites avec des joueurs libres ou en fin de contrat que le président a voulu qu’on continue à ne pas délier les cordons de la bourse pour attirer ces joueurs alors que notre modèle était imité un peu partout « , ajoute Mehdi Bayat.

 » Les autres clubs s’étaient réveillés. A l’époque, il aurait fallu augmenter nos moyens car les réseaux commençaient à s’entremêler. Or, quand plusieurs clubs sont sur un même produit, les prix commencent à monter. Mon oncle ne l’a pas compris et a mis trop de pression sur Mogi qui devait continuer à ramener au Sporting des joueurs gratuits.  »

Après avoir connu quelques déconvenues et suite au départ de Mogi Bayat, Abbas Bayat préféra diversifier ses réseaux.  » C’est vrai qu’on connaissait bien le marché français et qu’on savait quels étaient les agents sérieux avec lesquels il fallait travailler « , reconnaît Mehdi.  » On faisait des affaires avec les six-sept mêmes agents, tout simplement parce qu’on pouvait avoir confiance. Ceux qui étaient rejetés ont commencé à se plaindre auprès de mon oncle et à lui faire miroiter toute une série de choses.  »

Cela appauvrit sportivement le club carolo qui, en 2011, descend en D2. Après la reprise du club en 2012, Mehdi, en charge des transferts, réactive le réseau français.  » Pendant dix ans, j’avais pu observer ce qui avait bien et moins bien fonctionné à Charleroi. J’ai décidé de réutiliser les bonnes recettes.  »

Et voilà comment Charleroi renoue avec une politique largement éprouvée. Oui mais voilà entre 2004 et 2014 une décennie s’est écoulée et on peut se demander si le vivier français est toujours intéressant et s’il s’agit d’un marché porteur sur le plan sportif pour les club belges.  » Encore plus maintenant car non seulement, il y a davantage de joueurs français dans le championnat belge « , continue Mehdi Bayat.  » Ils connaissent le produit. Mais aussi parce que le championnat de France est moins bon et en crise par rapport aux années 2000. L’écart entre les salaires des joueurs de Ligue 2 et les joueurs de D1 belges s’est comblé. Le joueur français est donc moins cher. On peut donc se positionner sur ces joueurs-là alors qu’on devait se fixer davantage sur le National (D3) ou la CFA (D4) auparavant.  »

De plus, les finances du Sporting ne lui permettent pas encore de concurrencer les clubs du Nord du pays dans les salaires. Il faut donc sans cesse trouver des débouchés meilleurs marchés. Un joueur de D1 belge confirmé a une valeur. Il est rarement libre de contrat et aujourd’hui, le Sporting ne peut pas encore offrir une somme de transfert et un contrat conséquent pour un seul et même joueur.  » Même quand on offre une prime à la signature à un joueur libre, celle-ci n’excède jamais ce qu’on devrait sortir en somme de transfert si ce même joueur n’était pas libre.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » L’écart entre les salaires des joueurs de Ligue 2 et de D1 belge s’est comblé.  » Mehdi Bayat

 » 48 joueurs français ont porté la vareuse du Sporting Charleroi ces 11 dernières années.  »

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