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CONTRÔLE TECHNIQUE

Les doutes persistants de l’opinion publique, l’importance de Roberto Martinez dans son développement mais aussi ses principales lacunes : voici une analyse au crible de Romelu Lukaku chez les Diables.

Depuis Erwin Vandenbergh et les années 80, le football belge s’est longtemps cherché un grand numéro 9. Les années 90 ont été marqués par des  » 9 et demi  » type Marc Degryse ou des buteurs venus de la seconde zone tels Marc Wilmots ou Gert Verheyen. Quant à Wesley Sonck, il a beau avoir été un puncheur efficace (24 buts en 55 sélections), il a, malheureusement pour lui, fait partie de la génération maudite entre 2002 et 2012. Aujourd’hui, on est comblé ou l’on devrait l’être, du moins : jamais notre petit pays n’a connu une telle armada offensive avec les Romelu Lukaku, Michy Batshuayi, Christian Benteke et Divock Origi, figures de proue d’une Premier League toujours plus rayonnante.

Lukaku en est l’exemple éclatant avec des statistiques qui le hissent à seulement 23 ans parmi les plus grands buteurs du championnat. Et pourtant, en Belgique, les doutes à son sujet restent anormalement tenaces. La faute à un EURO décevant ? Une technique parfois brouillonne ? A une médiatisation trop rapide et parfois excessive du temps d’Anderlecht ? Ou des déclarations osées et une assurance peu commune ? Un peu de tout sans doute, ce qui laisse finalement peu de place à un jugement purement analytique. Et ses deux buts face à Chypre n’ont pas permis de bousculer les consciences.

DES DOUTES, TOUJOURS DES DOUTES

 » Le problème, en Belgique, c’est que les gens ne voient pas mes matches avec Everton « , nous expliquait Big Rom en mai dernier.  » Il faut voir ici (ndlr, en Angleterre) comment on me considère. Je parle de Thierry Henry, de Graeme Souness, de Jamie Carragher, etc.  »

L’attaquant des Toffees avance même des chiffres implacables :  » Je joue dans le championnat anglais et quand on regarde le nombre de buts que j’ai marqués à 23 ans, je suis quasiment devant tout le monde. Il n’y a que Ronaldo  » Fenomeno « , Messi et Raúl qui ont marqué plus que moi. Et depuis 2012, combien de joueurs ont marqué plus que moi en Premier League ? Un seul : Agüero.  »

Ces chiffres devraient mettre tout le monde d’accord. Et pourtant, la fracture reste grande entre les sceptiques et les certitudes d’un attaquant convaincu de pouvoir atteindre les sommets. Romelu Lukaku :  » Avec le peu de talent que j’ai et le travail que je fais tous les jours, je sais que si je ne termine pas au Real ou à Barcelone, j’en serai tout proche. Je sais qu’avec mes qualités et ma confiance en moi, je ne peux que m’améliorer. Je ne veux pas écouter ce que les gens disent. Je vise le top absolu à chaque entraînement, à chaque match.  »

Cet été, on a longtemps cru le voir passer à un échelon supérieur. Chelsea était prêt, paraît-il, à casser sa tirelire. On l’a annoncé aussi à Manchester United, au Bayern, à la Juventus, etc.  » Hors Angleterre, seuls le PSG, le Real et le Barça seraient capables de le transférer,  » avance le roi du mercato et agent de Lukaku, Mino Raiola. Une envolée qui n’a évidemment pas dégonflé l’assurance de son buteur.

LA LOVE STORY MARTINEZ-LUKAKU

Cette saison, Lukaku a dû attendre la quatrième journée de championnat pour faire taire les premières critiques. Il lui aura fallu 11 minutes et 37 secondes pour inscrire, sur la pelouse de Sunderland, un fabuleux hat-trick qui mettait un terme à 13 rencontres et 1139 minutes d’impuissance sur le sol anglais.

 » Je n’ai aucun doute concernant Lukaku. Pour un attaquant de 23 ans, il est incroyablement bon « , avait rassuré son nouveau coach, Ronald Koeman avant le déplacement à Sunderland. Aujourd’hui, Lukaku peut compter sur des soutiens de poids à la fois en sélection et en club alors que Wilmots, lui, a longtemps préféré un Christian Benteke capable de (mieux) jouer les remiseurs pour une deuxième ligne en totale improvisation.

 » Avec Wilmots, on faisait ce qu’on voulait dans les trente derniers mètres « , confirme l’aîné des Lukaku.  » L’un courait par là tandis qu’un autre allait dans l’autre sens. Nous avions une liberté totale devant.  » L’arrivée de Roberto Martinez à la tête des Diables semble enfin mettre un terme à ce système sans lignes directrices.

 » Les consignes pour les attaquants sont très claires et chacun sait où il doit aller « , confirme l’attaquant d’Everton.  » Il a une approche globale qui peut faire du bien.  » Le néo-sélectionneur des Diables, lui, n’en fait pas un mystère, il compte aujourd’hui en priorité sur son ex-puncheur à Everton pour occuper le poste de numéro 9.

 » Je veux faire de Romelu Lukaku une machine à marquer des buts « , a lancé Martinez.  » C’est un des plus grands talents du football mondial.  » Si la fin de saison passée fut compliquée à la fois pour Martinez et Lukaku, au sein d’un Everton en roue libre et sans réels objectifs, avec comme conséquences une multitude de défaites en championnat, leur relation de confiance, qui ne date pas d’hier, ne s’est pas effritée.

L’AMBITION D’ÉVOLUER ET DE COMBINER

Romelu Lukaku est un véritable stakhanoviste. En dehors des séances d’entraînement, il repasse sur son PC des extraits de ses propres actions en matches et les analyse, les corrige. Il y a, chez lui, un côté quasi control-freak, presque scientifique, qui expliquerait en grande partie, pour ceux qui ont croisé sa route, la précocité de sa réussite.

 » Pourquoi je suis parti à Everton ? Parce que Roberto Martinez, du temps où il coachait Wigan, dominait toutes les équipes « , nous raconte Lukaku. Je me disais : ‘A Chelsea, on est très fort en contre-attaque. À West Brom, on était ultra-fort en contre-attaque. Maintenant, pour mon développement, à 20 ans, il faut que je joue dans une équipe qui domine des matchs.’ C’est pour ça que je suis parti à Everton. Je voulais développer l’aspect foot : les déviations, les mouvements quand on joue contre une équipe qui défend à dix derrière…

La première semaine, quand je suis arrivé Everton, on m’a pris à part avec un entraîneur adjoint et pendant une semaine, c’était mouvement dans les 16 mètres, appel/contre-appel, premier poteau/deuxième poteau, contrôle, passe, remise… Je n’avais jamais eu ça. Comme je dis souvent : les gens qui m’ont vu jouer à Anderlecht ont vu un Romelu qui n’avait pas fini sa formation. À Anderlecht, tout le monde le savait : j’étais arrivé trop tôt en équipe première.  »

En trois saisons, Roberto Martinez a étoffé la palette du Toffee. Sa dernière campagne en est la meilleure preuve et l’actuelle ne fait que confirmer son développement. Le contraste est grand désormais avec l’attaquant de West Bromwich, qui termina à seulement 20 ans une saison à 17 buts en championnat, mais laissait encore derrière lui une image d’un avant puissant un peu bourrin.

POINTS FAIBLES

Il est évident que l’arrivée de Martinez à la tête des Diables donne quelques longueurs d’avance à Lukaku sur la concurrence car l’entraîneur espagnol sait mieux que quiconque comment placer son poulain dans les meilleures conditions.

La rencontre à Chypre n’a pas mis en lumière, malgré les deux buts, son numéro 9 mais le système en 3-5-2 a permis de libérer des espaces pour les créatifs Kevin De Bruyne et Eden Hazard touten leur permettant de se positionner plus près de l’avant-centre. Dans le pressing offensif, aussi, Lukaku ne court plus en pure perte, seul en pointe, comme ce fut trop souvent le cas sous Wilmots.

Martinez n’est pas dupe non plus. Si Lukaku s’est amélioré dans le jeu en déviation grâce aux soutiens techniques de Goodison Park que sont Ross Barkley, Gerard Deulofeu ou Kevin Mirallas, son puncheur est encore loin de maîtriser l’art du tiki-taka et ne soutiendra sûrement jamais la comparaison avec le toucher de balle d’un De Bruyne ou d’un Hazard.

Martinez connaît ses faiblesses dans le jeu court mais sait à l’inverse comment l’utiliser au mieux. Afin de fatiguer les défenses, les user, l’attaquant doit être au top physiquement et continuellement en mouvement : 80 % de ses buts chez les Diables (voir tableau Décryptage) résultent d’un appel en profondeur ou d’une coupure de trajectoire.

Il lui faut donc du rythme et du mouvement autour de lui. Et une équipe qui doit enfin assumer une possession de balle ambitieuse. Et rapide. Le frein à main est-il enfin lâché après deux dernières années bien trop somnolentes ? Lukaku, lui, ne rêve que de ça.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE

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