CONTRITION à sens unique

Anecdote, archibanale en soi. Nous avions mené 1-0, été menés 1-2, puis étions revenus à 2-2 avant la pause. Et tout s’était jusqu’alors déroulé correctement entre les trois parties : je dis bien trois puisqu’en foot, il n’y a pas seulement deux adversaires mais aussi un directeur de jeu, inventé à l’origine pour que tout se passe bien entre les deux autres… mais par rapport auquel cela peut mal se passer ! Lustucru, c’est ce qui va se produire…

Nous rejouons depuis cinq minutes et sommes en possession de ballon dans le camp opposé : c’est-à-dire que mes deux défenseurs centraux et l’attaquant de pointe adverse stationnent à mi-terrain et regardent les autres. Un de mes médians, Atchoum pour les intimes, s’engage balle au pied, un peu décalé sur la droite, il est à 10 mètres du rectangle quand il se fait sécher, exploser, valdinguer, tout ce que vous voulez, du moment que c’est hard et flagrant : tout le monde pronostique un coup franc (lequel ne serait d’ailleurs pas pour nous une chance directe de but), et tout le monde s’arrête une fraction de seconde dans l’attente du coup de sifflet. Je dis bien une fraction car le coup de sifflet ne vient pas, la passe profonde est meurtrière vers l’attaquant de pointe, qui nique mes deux centraux et s’en va planter le 2-3. Entre la faute sur Atchoum et la crucifixion de mon gardien, il s’est tout au plus passé six secondes…

Je crois avoir bien regardé ce qui s’est passé. L’arbitre a vu la faute sur Atchoum, il a voulu la siffler, mais il a eu un mouvement bizarre du poignet : sans blague, clairement, j’ai remarqué l’emmêlement de pinceaux entre ses doigts et la cordelette de son sifflet ! Et le temps que ses doigts retrouvent son sifflet, la passe meurtrière avait déjà eu lieu, le sifflet était trop en retard pour trouver la bouche, le gars s’est dit que ce ne serait jamais qu’un bête coup franc oublié : sans imaginer, sur l’instant, que ça déboucherait l’instant d’après sur un but en contre qui mettrait le feu aux poudres… Car poudre il y eut.

Du plus zen au rouscailleur le plus pathologique, tous mes gars l’ont entouré pour lui dire des amabilités, ils lui en débitaient encore quand le 2-4 s’est amené dans la foulée, la sérénité n’est jamais revenue. J’aurais eu pitié du referee si j’avais été neutre, tant je l’ai alors senti culpabilisé et complètement perdu : il a sifflé de traviole, sans jamais distribuer les flopées de cartons jaunes qui s’imposaient alors. Puis, après que nous soyons revenus à 3-4 et tandis que nous poussions pour égaliser, il a laissé jouer sept minutes de temps additionnel parfaitement injustifiées : comme si, dans son égarement, surnageait l’espoir que nous égalisions… et que se tassent les ranc£urs !

Le pire restait à venir. Quelques-uns de mes gars ont encore entouré le referee au coup de sifflet final. Mon libero, qui-dit-que-non, l’aurait même touché, mais je n’ai rien vu ; il l’aurait peu après aspergé d’eau… et là, j’ai tout vu, j’ai même tout pris ! Il a saisi rageur la brosse du tonneau pour nettoyer les godasses, et il l’a fouettée dans l’eau en direction du vestiaire de l’arbitre : j’étais dans l’axe à un mètre à peine, j’ai tout pris en pleine poire, mais les gouttes que ma vaste carrure n’avait pas stoppées sont hélas arrivées à destination. Mon libero a pris six semaines de suspension.

Je ne conteste pas, même si c’est sévère pour un coup de brosse dans l’eau… au cas où mon joueur n’aurait pas touché l’arbitre auparavant ! Mais ce que je veux constater ici, c’est qu’aux audiences du Comité Provincial, alors que l’arbitre est lui aussi convoqué, ce ne sont jamais que les joueurs qui, la queue entre les jambes, y font leur mea culpa ! Je serais épaté qu’un jour, dans un contexte similaire à celui de cette anecdote, un arbitre ose déclarer, face à l’aréopage provincial, qu’il a fait ce jour-là un très mauvais match, qu’il a pris de mauvaises décisions : et qu’il fut lui-même, pour cela, en partie responsable des incidents… même s’il en fut aussi victime ! Je serais épaté que la contrition ne soit pas toujours à sens unique. On peut rêver, non ?n

par Bernard Jeunejean

 » Il a saisi rageur la brosse du tonneau pour nettoyer les godasses et l’a fouettée dans l’eau EN DIRECTION DU VESTIAIRE DE L’ARBITRE « 

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