Contradictions

Le petit avant allemand a un gros appétit.

Rejeton d’un père allemand et d’une mère italienne, Neuville est né et a grandi en Suisse: « J’ai toujours eu la nationalité allemande, grâce à mon père. Et je me suis toujours senti allemand. Ce n’est pas ma faute si je suis né en Suisse. A la maison, nous parlions italien car c’était la langue véhiculaire du canton où nous résidions. A 18 ans, j’ai demandé une carte d’identité italienne. J’y avais droit grâce à ma mère. On ne parlait pas encore de Bosman et il semblait que j’allais recevoir ma chance en Italie. J’ai effectué cette démarche pour me faciliter la vie. Je n’ai jamais eu de passeport suisse ».

Il aurait donc pu tout aussi bien devenir international italien: « En effet mais je n’ai jamais été appelé. C’eût été à contre-coeur, d’ailleurs, car je supportais toujours l’Allemagne, quand je regardais la Coupe du Monde. Jamais l’Italie ».

Après sa formation dans des petits clubs, il a joué quatre ans au Servette Genève, puis Ténériffe l’a transféré: « C’était en 1996. La Juventus m’a invité à participer à une tournée. Je n’en avais pas envie car elle empiétait sur deux semaines de vacances. Ténériffe était alors dans le subtop de l’Espagne et de l’Europe. Il semblait mieux me convenir. Le jour où j’ai signé, j’ai reçu un coup de fil d’ Ottmar Hitzfeld, au nom de Dortmund ».

L’attaquant italianophone du Servette n’était donc pas passé inaperçu en Allemagne: « En 1995, j’étais pratiquement d’accord avec le Bayern mais les médecins m’ont trouvé quelque chose au genou et ça a fait capoter mon transfert. Le Bayern pensait que j’étais sérieusement atteint alors qu’il ne s’agissait que d’un ménisque ».

A-t-il dit non à la Juventus par peur des défenseurs italiens?

« Pas du tout. Regardez bien le classement des buteurs dans les différents championnats. On marque davantage en Italie qu’en Allemagne. Personnellement, je trouve la défense homme contre homme plus pénible que la défense en ligne à quatre. Celle-ci octroie plus de liberté aux joueurs rapides comme moi ».

Pas bon en Liga!

Il conserve des sentiments mitigés de sa seule et unique saison en Primera Division: « Ce fut une expérience positive même si je n’ai pas eu l’occasion de faire impression. Je n’étais pas aligné en attaque mais au médian gauche. Je jouais souvent et j’ai peu marqué. En tout, j’ai inscrit cinq buts ».

Ewald Lienen était entraîneur-adjoint. Il a compris qu’il n’aurait guère de chances avec le nouvel entraîneur de Ténériffe et lui a demandé s’il n’avait pas envie de rejoindre Hansa Rostock.

« Ce n’était pas une équipe connue. Rostock est dans l’ex-RDA. Ce n’est pas comme le Bayern ou Dortmund pourtant je dois dire que j’ai été surpris par ce que j’y ai vu. Je m’imaginais que cette région était grisâtre alors qu’elle est splendide. On est presque à la mer, c’est génial. Tout le monde dit du mal de l’Est mais les villes sont belles car elles ont toutes été rénovées. Il y a encore beaucoup de chantiers, c’est vrai ».

Jouer en Allemagne n’était pas vraiment un rêve pour Neuville: « J’étais las de la Suisse. Je voulais la quitter. La destination m’importait peu: Espagne, Italie, Allemagne. J’ai dû m’adapter. J’étais Allemand mais jusque-là, je n’avais jamais parlé allemand. C’était un peu dingue. Rostock en 1997 avait une belle équipe et beaucoup de spectateurs. C’est ce que j’apprécie en Allemagne: les stades sont toujours combles. C’est différent de… disons, Milan. J’ai rapidement appris à parler ».

Privé d’EURO par Ribbeck

Il a été sélectionné une première fois en équipe nationale mais les supporters ne l’ont pas vu jouer contre l’Afrique du Sud. En janvier 1998, il s’est gravement blessé et est resté sur la touche pendant trois mois. Il a raté la Coupe du Monde en France.

« Depuis lors, j’ai toujours été repris… sans être sélectionné pour l’EURO, à la surprise générale. Une déception énorme. La veille de la divulgation du noyau, Erich Ribbeck m’a convoqué. Il m’a dit qu’il avait préféré d’autres joueurs. Il ne pouvait me fournir d’explications car il ne savait pas pourquoi. Je n’ai pas posé beaucoup de questions. J’étais atterré. Deux jours avant, Leverkusen avait perdu de justesse le championnat et voilà ce qui me tombait dessus! Ce fut une période très pénible. Après l’EURO, Rudi Völler a repris l’équipe et m’a toujours fait confiance. Compte tenu de l’élimination de l’Allemagne au premier tour, Ribbeck m’a sans doute rendu service en ne me sélectionnant pas… Tout le monde a vu que l’entraîneur était responsable. Il n’y avait que des problèmes, rien ne fonctionnait.

Pendant le stage, j’ai téléphoné à quelques joueurs. D’après ce qu’ils m’ont raconté, je pouvais m’imaginer qu’après trois matches, l’EURO serait achevé. Ça reste malgré tout une surprise mais ça faisait partie des possibilités. Ça ne pouvait pas aller, puisqu’il n’y avait pas de ligne tactique. Il changeait cinq joueurs d’un match à l’autre, Bierhoff était capitaine sans être titulaire et il y a eu des problèmes avec Matthäus. Après l’EURO, Völler a fait le ménage. Il a fait partie de l’élite lui-même, il sait ce que pensent les joueurs. Il a bâti quelque chose » .

Au terme de l’EURO, la Mannschaft a été placée sous pression. On a tout remis en question, y compris la classe des joueurs: « A en croire les observateurs, une deuxième place dans les qualifications constituait un miracle. Nous avons terminé deuxièmes. Ce n’était pas un succès mais un drame, une catastrophe, un scandale. Cette vision des choses nous a endurcis pendant les dix jours de préparation consacrés aux matches de barrage contre l’Ukraine. La pression était brutale. Alors nous nous sommes battus. Nous ne voulions pas être étiquetés, pour le reste de notre vie, comme la première Mannschaft incapable de se qualifier pour une Coupe du Monde. Nous aurions préféré que l’Ukraine nous passe sur le corps. Et vous avez vu que les Allemands savent jouer au football ».

Souffrances anglaises: 1-5

Pendant les qualifications, l’équipe n’a sombré que contre l’Angleterre, 1-5.

Neuville: « Ce n’était pas un match si mauvais. Nous avons ouvert la marque, ils ont égalisé et pris l’avantage juste avant le repos. Il ne fallait pas changer beaucoup de choses. L’entraîneur était d’accord. Il nous a simplement demandé de jouer plus agressivement. Puis, juste après la reprise, l’Angleterre a réussi le 1-3 et a pu jouer le contre dans un fauteuil avec des joueurs aussi redoutables qu’ Owen ou Heskey, ça fait mal. Mais nous n’avons pas été aussi mauvais que le score laisse supposer ».

Prudemment, les premières critiques se sont abattues sur Völler. Il n’était pas si fin tacticien et il avait opéré d’étranges changements.

Neuville: « C’est typique de l’Allemagne. Ses réactions sont toujours exagérées. Deux semaines plus tôt, nous avions battu la Hongrie, une formation qui n’était pas brillante, et c’était l’euphorie. Après notre victoire contre l’Ukraine, nous voilà à nouveau candidats au sacre mondial. Un peu de réalisme ne serait pas déplacé. Nous avons bien joué contre l’Ukraine, soutenus par les supporters. Ça faisait longtemps, d’ailleurs. 20 millions de téléspectateurs, c’était du jamais vu. La nation est à nouveau derrière son équipe fanion, c’est sans doute ce qu’il faut retenir des qualifications. L’Ukraine nous a fait du bien. Vous savez, il y a peu, quand les Pays-Bas nous ont mouchés, dans un match amical, GüntherNetzer a déclaré à la chaîne ARD: -Il faudra dix ans à l’Allemagne pour refaire son retard. Nous serons au prochain Mondial. Pas les Pays-Bas ».

Donc, revoilà l’Allemagne parmi les favoris, comme d’habitude. Neuville: « Nous avons une bonne équipe et peut-être quelques joueurs-clefs retrouveront-ils leur forme à temps? Jeremies, Scholl, Deisler… »

Plus d’un système pour gagner

On dit que l’Allemagne n’a que des coureurs dépourvus de technique. Neuville n’est pas d’accord: « Il faut un mélange. Les techniciens ne suffisent pas ». Et le duo d’attaque idéal? « Actuellement, je joue avec Jancker. Nous progressons de match en match. Il est grand, je suis petit et rapide, nous nous entendons très bien ».

Il est impatient de participer à la Coupe du Monde, son premier rendez-vous avec l’élite internationale. Neuville: « Il ne faut pas anticiper. Il faut d’abord passer le premier tour. Nous affrontons l’Arabie Saoudite, le Cameroun et l’Irlande. Les Africains ont souvent des problèmes internes mais il ne faut pas les sous-estimer. L’Irlande a éliminé les Pays-Bas. La troisième équipe constitue la grande inconnue. Après, c’est l’élimination directe et tout peut arriver. Nous sommes ambitieux. A chaque tournoi, il y a une équipe qui surprend mais en fin de compte, les favoris se retrouvent toujours en finale ».

Neuville croit-il aux systèmes?

« Mon système favori est celui qui nous permet de gagner. Le reste m’est égal. Un 4-4-2 ne vous offre aucune garantie, pas plus que le 3-4-3. L’Italie aligne trois défenseurs qui jouent les yeux fermés. Tout le monde n’en est pas capable. En fait, il s’agit de changer très vite son fusil d’épaule. Comme le Bayern ces deux dernières années. C’est un exemple. Il maîtrise toutes sortes de systèmes mais mise avant tout sur un jeu de contre très rapide ».

Peter T’Kint, envoyé spécial aux Canaries.

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